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(1 A
42 LE TOUR DU MONDE.
cavaliers européens el deux Tin{/-tchai\ ce (fui prouve
le degré de sécurité dont on jouit maintenant à
Pékin.
« Qui eût pu prévoir cela , il y a deux ans, alors que
l'entrée de cette ville mystérieuse était interdite sous
peine de mort aux Européens !
i La curiosité de la population commence à s'émousser;
on nous regarde, on se retourne pour nous voir
plus longtemps, mais nous ne sommes plus suivis par
une masse de peuple, ce (jui est un progrès véritable, et
rend ces longues promenades plus faciles et plus
agréables.
« Nous sommes sortis de la Ville Mongole par la
porte de Tien, et suivant la large chaussée qui sépare
les deux villes, cous avons fait notre entrée dans la Ville
Chinoise par la porte de Tchoaen-Tche.
I Nous avons débouché alors sur l'avenue de l'Est qui
est d'une assez belle largeur et régulièrement bâtie : de
nombreuses boutiques de marchands de soieries, de porcelaines
et de laques s'étalent des deux côtés de la rue ;
chaipje marchand a devant sa porte une planche haute de
dix à douze pieds soigneusement vernie et dorée, sur laquelle
sont indicpiées en gros caractères les marchandises
qu'il débite : cette suite de pilastres, placés de
part et d'autre le long des maisons et à égale distance,
jiroduit la perspective la plus agréable, et donne à ces
longues rues l'apparence d'une décoration théâtrale.
L'usage de cette sorte d'écriteaux est commun à tous les
marchands des grandes villes de la Chine.
a En avançant dans l'avenue de l'Est, nous avons dû
diriger rapidement nos montures sur le côté de la
chaussée, pour éviter une formidable maciiine qui marchait
sur nous, ébranlant sur son passage les maisons et
le sol même qui tremblaient tout îi l'enloui'.
Qu'on se figure deux cents chevaux au moins attelés
en éventail avec un câble presque aussi gros que le corps
d'un enfant à un chariot sur lefjuel est placé un gigantesque
monolithe! Pour combiner la simultanéité d'efforts
qui leur permet de transporter des poids énormes,
les Chinois sont d'une habileté merveilleuse; j'ai vu des
portefaix transporter à dos des pièces de fonte ou des
canons dont la pesanteur aurait fait reculer les Euro-
])écus les plus vigoureux. Ce n'est pas par la force
seulement, c'est jiar l'adresse qu'ils réussissent.
1 Rien n'était plus étonnant ijue la manière dont les
charretiers s'y prenaient pour pousser lem's chevaux;
les coups de fouet et les excitations verbales se succédaient
avec un ensemble merveilleux, et le chef du travail,
l'ingénieur sans doute, précédant la lourde machine,
devant larjuelle il marchait à reculons, faisait avec
ses bras un télégraphe animé, comme un capitaine de
navire sur son bord, lorsqu'il commande une manœuvre
difficile.
<r Nous sommes arrivés au bout de la chaussée à un
vaste carrefour formé ])ar l'avenue de l'Est ([ui s'y termine
et la grande rue qui traverse la Ville Chinoise de
I. Messagers chinois ou cavas altacliiis au service des ligalions
européennes.
l'orient à l'occident, en reliant ensemble, par une voie
directe, les portes de Conan-Tsu et de CIta-Coua.
« Ce carrefour populeux emprunte un caractère tout
particulier à la grande quantité de revendeurs de la campagne
qui viennent y étaler des viandes, du gibier et
surtout des légumes; j'y remarquai des las énormes
d'oignons et de choux qui s'élevaient jusqu'à la hauteur
des portes des maisons. Les paysans et paysannes, assis
par terre sur une natte de jonc ou sur un escabeau en
bois, fument tranquillement leurs pipes, tandis que les
vieilles mules rétives, les ânes tout pelés, qui ont servi
au transport des marchandises, errent sur le marché
au milieu de la foule, allongeant leur long cou pour
saisir au passage quelque légume ou quelque herbe
moins surveillés.
chaque pas des citadins à la démarche nonchalante
et prétentieuse, armés d'un éventail , au moyen
duquel ils protègent leur teint blême et farineux contre
les ardeurs du soleil, se rencontrent avec de robustes
campagnards au teint cui\Té , chaussés de sandales et
coiifés de larges chapeaux de paille.
" Un pavillon, placé au milieu du carrefour et garni
d'une devanture en papier huilé, contient un poste de
soldats de police chargés de maintenir l'ordre dans le
marché.
<i Nous ne savions comment guider nos chevaux au
milieu de cette cohue que les cris énergiques et les imprécations
sonores de nos Ting-tchal finirent cependant
par faire ranger , et nous gagnâmes les abords du pavillon
de police , espérant y être plus tranquilles et
voulant tenir conseil sur la direction qu'il nous fallait
suivre.
Nous que
« y étions à peine depuis quelques instants
mon cheval se mit à broncher et à renâcler énergiquement
: j'avais toutes les peines du monde h. le maintenir,
lui ordinairement si doux et si obéissant. Certainement
quelque chose l'épouvantait. Je levai machinalement la
tête, et je pensai me trouver mal devant le spectacle
horrible qui vint frapper mes yeux 1
« Derrière et tout près de nous était une rangée de
mâts, auxquels étaient fixées des traverses en bois; aux
traverses étiiient suspendues des cages en bambou, et
dans cha([ue cage il y avait des têtes de mort qui me
regardaient avec des yeux mornes tout grands ouverts;
leurs bouches se disloquaient avec d'aflVcuses grimaces,
leurs dents étaient convulsivement serrées par l'agonie
du dernier moment, et le sang découlait goutte à goutte
le long des mâts de leurs cous fraîchement coupés I
ce En un instant nous nous lançâmes tous au galop
pour nous dérober h. la vue de ce hideux charnier, auquel
je penserai longtemps encore dans mes nuits d'insomnie!
(Voy. le Tour du Monde, t. IX, p. 125.)
« Il parait (jue j'ai été heureuse de ne voir que ce que
j'ai vu! J'étais exposée, grâce à notre ignorance des lieux,
à assister â quelque cho.se de plus hideux encore !
« Les malheureux dont les têtes étaientainsi exposées
à la vindicte publique, et il y en avait plus do ciu-
(juante, appartenaient à une bando de voleurs des en-