Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
422 LE TOUR DU MONDE.
l'on assure que c'est elle surtovit, la jeune miss Alexandrina,
qui échauffe de son enthousiasme l'imagination
plus rassise de sa mère et de sa tante. Tout cela jt^lte
sur cette audacieuse excursion une teinte de romanes([ue
qui en double l'intérêt. Ajoutons que dédaigneuses des
routes battues, ces dames cherchent de préférence les
parties les moins fréquentées ou tout à fait
inconnues de
cet immense bassin du haut Nil; c'est dans le réseau
d'affluents à peu près inexplorés qui se déploie à l'ouest
du fleuve Blanc, entre le 9° degré de latitude N. et
l'équateur, qu'elles ont définitivement pon.ssé leur fortune.
Elles ont organisé h très-grands frais une véritable
flottille,
puis enfin, — et
avec toute une armée de porteurs indigènes; et
par là cette course lointaine des dames
touristes prend un côté tout à fait sérieux,— elles ont pu
s'adjoindre plusieurs liommes d'une grande valeur scientifujue,
qui donnent au voyage le caractère d'une véritable
exploration. De ce nombre et au premier rang est
M. de Heuglin, qui avait lui-même rc'solu, de compagnie
avec le docteur Steuduer, de poursuivre individuellement
ses recherciies dans les contrées du haut Nil
après la dislocation de l'expédition allemande dont il
était le chef, et qui a été heureux de trouver près des
dames hollandaises des facilités d'études qu'il aurait
cherchées vainement ailleurs.
Ainsi recrutée, la flottille quitta Ivhartoum au commencement
de 1863, et se dirigea, pleine d'entrain et de
bon espoir, vers le haut du fleuve. On voulait, comme
je l'ai dit, gagner le 9' degré de latitude, et là, quittant
le
Bahr el-Abyad, s'engager dans le réseau de rivières
peu ou point connues qui viennent de l'ouest. Pour comprendre
de quel intérêt pouvait être cette entreprise, il
sufiit de considérer la disposition physique de la haute
région du Nil. Une des singularités caractéristiques du
grand fleuve, est, on le sait, de traverser toute l'immense
étendue de la Nubie (du 18" au 24» parallèle)
avant de gagner l'Egypte , sans rencontrer un seul
affluent. C'est un sillon qui coupe isolément le désert
aride, le désert que nulle source ne rafraîchit, que
jamais la pluie du ciel ne vivifie. C'est seulement vers le
18' degré de latitude, trois degrés au-dessous de I\hartoum,
que commence la zone des pluies tropicales, faibles
d'abord et irrégulières, puis plus fortes et plus fréquentes
àmcsure que, s'avançant au sud, on se rapproche
davantage de l'équateur. Avec les pluies tout change
d'aspect. La végétation se montre, la nature se renouvelle,
et les eaux, concentrées dans les parties hautes du
pays, se déversent en courants réguliers ])0ur se porter vers
la vallée du Nil, qui est la grande artère centrale. A
partir du confluent du Bahr el-Azrek, le bassin du Nil,
alimenté d'affluents de plus en plus nombreux, se déploie
en un immense éventail, au moins de 400 lieues
d'envergure, dont la pointe est h Khartoum et la base
vers l'équateur. Or, quand on songe que dans cet immense
triangle, où les pluies diluviennes de l'équateur
doivent créer d'innombrables courants dont les eaux réunies
forment le Nil, cinq à six tout au plus de ces rivières
affluentes ont été non pas même explorées, mais entrevues,
on peut se former une idée de ce qui reste à faire
avant que l'on puisse se flatter de connaître réellement
la haute région du Nil, et de discerner avec certitude
branche principale, celle qui prendra rang définitivement
comme la tète du grand fleuve.
Parmi les affluents inexplorés du fleuve Blanc, l'un
de ceux dont le nom revient le plus souvent dans la
bouche des indigènes' est celui que les Arabes du haut
Nil désignent sous le nom poétique de rivière des Cazelles,
Bahr el-Gliazal. C'est celui-là qui a son confluent
aux environs du neuvième degré, el vers lequel s'étaient
tournés les projets des dames Tinné. Mais si le nom est
poétique, le pays ne l'est guère. D'immenses marécages,
des eaux fétides , de vastes lagunes cachées sous des
forêts de roseaux, une armée de reptiles et des myriades
de moustiques, c'est pour l'explorateur un aspect ])eu
engageant. C'est celui devant lequel reculèrent, il y a
aujourd'hui dix-huit cents ans, les centurions que l'empereur
Néron, dans un jour de fantaisie géograj)iiique,
avait envoyés à la découverte des sources du Nil, et qui
remontèrent jusqu'à ces marais sans oser s'y aventurer.
Nos exploratrices, plus courageuses, avaient résolu de
les franchir; il était d'ailleurs plus que probable qu'une
fois sorti de ces terrains noyés, on trouverait, en remontant
le Bahr el-Ghazal ou les autres courants, un pays
plus sain dans une région plus élevée. Ces prévisions,
hélas! devaient être cruellement démenties.
L'expédition des dames Tinné, renforcée de M. de
Heuglin et du docteur Stcudner, quitta donc Khartoum
le 25 janvier 1863. Le 4 lévrier la flottille passait devant
le confluent du Sobat; le 5, on arrivait au lac marécageux
(le lac Nô) où le Bahr el-Ghazal fait sa jonction
avec le fleuve Blanc.
Nous avons sur ce voyage le journal de M. de Heuglin
et quelques fragments des lettres de Mme Tinné,
la mère de miss Alexandrina. Pour qui voudra suivre
le côté scientifique de l'expédition, ce sont les notes du
naturaliste qu'il faut avoir sous les yeux, cela va sans
dire (sans oublier d'y joindre la carte construite par
MM. Petermann et Hassenstein pour l'expédition à la
recherche de Vogel ') ;
mais dans l'espace dont nous disposons,
et comme première impression sur les choses
et les lieux, les lettres de Mme Tinné sont d'un vif intérêt.
Les barques, en remontant le Bahr el-Ghazal,
avaient à traverser la région basse et marécageuse dont
nous avons parlé. Ou voulait gagner d'abord le lac Rek,
que le Bahr el-Ghazal traverse à plusieurs journées dans
1 . Cette
carte en 10 feuilles a été puWiée dans les n" 7 .
S, 10 et
11 des Ernânzungshrflc , avec un mémoire analytique de M. Hassenstein.
kUe comprend tout le N. E. de TAfrique. C'est une admirable
élude, où toutes les données, sans la moindre exception, (]ne
Ton possédait il y a quatre ans sur le liassin du Nil, le Soudan
oriental et la presque totalité de la zone équatoriale, ont été réunies
et discutées avec une étendue de recherches et une science
critique cxlrCmement remarquables. Uicn que ce travail ait été
construit seulement comme une épure destinée ?i sen'ir de cadre
aux itinéraires de la grande e.vpédition de 1860, il suffirait pour
mettre leurs auteurs au premier rang des géographes de notre époque,
et de toutes les époques.
la