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376 LE TOUR DU MONDE.
vaisseaux à ceux qui, ne voulant plus rester à GrenaJe,
préféraient passer en Afrique; — toutes les armes devaient
être remises aux vainqueurs; quant à Abdallah,
ou lui assigna une ville et quelques places voisines dans
les Alpujarras, avec trois mille vassaux et un revenu de
six millions de maravédis.
- Abdallah, ou Boabdil, comme l'appellent les E'spagnols,
s'était engagé à remettre les clefs de la ville et
des forts soixante jours après la date de la capitulation ;
mais les bruits de pourparlers avaient commencé à circuler
parmi la population, et les conseillers de Boabdil,
craignant une révolte, l'engagèrent à devancer l'époque
fixée pour la reddition de la ville. Il fut en conséquence
décidé que les Rois Catholiques feraient leur
entrée dans Grenade le 2 janvier 1492.
Dans la matinée de ce jour à jamais mémorable, tout
le camp espagnol présentait l'aspect de la plus grande
allégresse ; le cardinal Gonzalez de Mendoza fut envoyé
en avant à la tète d'un fort détachement composé des
troupes de sa maison et d'un corps de vétérans d'infanterie
blanchis dans les batailles contre les Mores;
ces troupes prirent possession de la citadelle de l'Alhambra;
Ferdinand et Isabelle se placèrent à quelque distance
en arrière, près d'une mosquée arabe, consacrée
depuis à saint Sébastien. Bientôt la grande croix d'argent
portée par saint Ferdinand dans ses campagnes
contre les Mores, brilla au sommet de la Torre de la
Vêla, et les étendards de Castille et de San-Yago flottèrent
sur les hautes tours de l'Alhambra. A ce glorieux
spectacle, le chœur de la chapelle royale entonna le Te
Deum, et toute l'armée, pleurant d'émotion, se prosterna
à genoux.
Le 2 janvier de chaque année, Grenade est en fête
pour célébrer l'anniversaire de l'entrée des Rois Catholiques.
Il y a ce jour-là une foule énorme à l'Alhambra,
et on peut y voir beaucoup d'habitants des montagnes
voisines dans leurs costumes les plus pittoresques.
Les jeunes filles ne manquent jamais de monter à la
tour de la Xah, car, suivant une croyance très-ancienne,
celles qui frappent un coup sur la cloclie doivent être
mariées dans l'année; on ajoute même que celles qui
frappent très-fort auront un meilleur' mari....
On peut
imaginer facilement quel vacarme il y a ce jour-là an
sommet de la tour.
Sur un des piliers qui supportent la cloche placée au
sommet de la tour, nous lûmes une inscription gravée
en espagnol sur une plaque de bronze, et dont
nous donnons la traduction à cause du grand événement
qu'elle rappelle.
« Le deuxième jour de janvier l'i92 de l'ère chrétienne,
après sept cent soixante dix-sept ans de dominalion
arabe, la victoire étant déclarée, et cette ville étant
livrée aux S. S. rois catholiques, ou plaça sur celle toui',
comme une des plus hautes de la forteresse , les trois
étendards, insignes de l'armée castillane ;
et les saintes
bannières étant arborées par le cardinal Gonzalez de
Mendoza et par don Gutierre de Gardenas, le comte de
Tendilla agita l'étendard royal, tandis que les rois d'armes
disaient à haute voix : Granada qanadn (Grenade
gagnée) par les illustres rois de Castille don Fernando
et dofialsabel. »
Les auteurs ne sont pas d'accord sur la disposition d'esprit
des habitants de Grenade pendant les joure qui suivirent
la prise de possession de leur ville par les troupes
espagnoles. Suivant quelques-uns, ils se trouvèrent si
heureux de cet événement, que tous en pleuraient de
joie ; le son des trompettes guerrières et de mille instruments
de musique résonna dans l'enceinte de r.\lhambra.
Les Mores partisans du roi Boabdil, qui s'étaient
déclarés pour les chrétiens, et à la tête desquels était le
valeroso Muça, se promenèrent par toutes les rues de la
ville au son des tambours, des trompettes et des dulzaynas
; les cavaliers mores passèrent toute la nuit à exécuter
le jeu des lances et toutes sortes d'exercices équestres
auxquels les rois catholiques assistèrent avec le plus
grand plaisir. Cette nuit-là Grenade devint folle de
gaieté, et les illuminations étaient si brillantes qu'on
aurait cru que la terre était en feu.
Suivant le récit d'autres écrivains, récit beaucoup
plus vraisemblable, Grenade était loin de présenter cet
air de fête ; la ville avait un aspect triste et morne ; les
rues étaient silencieuses et désertes, car les habitants
s'étaient renfermés dans leurs maisons pour pleurer la
perte de leur ville.
La reddition de Grenade excita dans tous les pays
chrétiens une sensation immense, comme peu de temps
auparavant parmi les musulmans la prise de Gonstantinople.
A Rome, la chute de la cité moresque fut célébrée
par une messe solennelle, par des processions et
des fêtes publiques. A Naples, on représenta à cette occasion
une espèce de drame, Farsa, mélange allégorique
dans lequel la Foi, l'Allégresse et le faux prophète
de Mahomet remplissaient les principaiLx rôles.
Les Mores d'Afrique apprirent avec consternation la
triste fin du royaume de Boabdil ; pendant plusieurs années,
ils continuèrent à prier tous les vendredis dans les
mosquées pour que Dieu rendît Grenade aux musulmans;
et aujourd'hui encore, lorsqu'ils voient un des leurs
mélancolicjue et pensif, ils disent : // pense à Grenade !
Il ne nous reste que peu k voir avant d'entrer dans le
palais des rois mores ; l'église de Santa-Maria de la
Alhambra, bâtie vers la fin du seizième siècle, n'a rien
qui puisse nous arrêter, et nous en dirions autant de
l'ancien couvent des moines Franciscains, si leur église
n'avait ve^n, le 18 septembre 1504, la dépouille mortelle
d'Isabelle la Catholique, qui resta \h juscju'à ce qu'elle
fut transportée dans la cathédrale de Grenade, après la
mort de Ferdinand, son époux.
Ces églises et bieu d'autres constructions occupent la
place de divers édifices moresques, de la grande Mezquita,
du harem; l'aspect primitif est bien changé, hélas!
et si un des rois de Grenade revenait, il pourrait
demander à Abenamar, Moro de la Moreria, comme on
lui demandait dans le célèbre romance morisco :
Quelles sont ces hautes forteresses
Qui brillent devant moi ?