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LE TOUR DU MONDE. 371
d'un petit marteau de poche. Doré, qui dessinait en ce
moment une frise moresque, interrompit son croquis
pour consigner sur son album celte petite scène de vandalisme,
que nous vîmes plusieurs fois se renouveler.
Qu'est devenue la belle porte de bronze de la Mezquita?
Hélas! on rie le sait que trop : elle a été brisée
ainsi que les azulejos, et vendue au poids comme vieux
cuivre. Les portes en bois sculpté de la salle des Abencerrages
subirent un aussi triste sort. C'est M. de
Gayangos qui nous raconte cette incroyable dévastation.
Ces belles portes étaient encore à leur place, et en parfait
état de conservation, lorsque, vers le milieu de l'année
1837, elles furent déplacées et sciées par ordre du
gouverneur, et cela pour fermer une brèche dans une
autre partie du palais ; mais ce n'est pas tout : comme
elles étaient trop grandes pour l'ouverture à laquelle on
les destinait, on se servit du reslant comme de bois à
brûler.
Le gouverneur Montilla ne trouva guère à conserver
que les murs du palais, car les serrures, les verrous et
jusqu'aux vitres des fenêtres avaient disparu sous ses
prédécesseurs; cependant il restait les deux vases de l'Alhambra;
on a vu cpiil en oftrit un à une visiteuse étrangère
:
Théophile Gautier nous a dit le peu de cas que
l'on faisait de l'autre à l'époque où il visita Grenade.
N'oublions pas dans cette nomenclature le gouverneur
Manchot, el Gobernador Munco, dont Washington Irving
a. tracé un portrait si amusant : ce singulier personnage,
qui se faisait remarquer par ses moustaches en croc et
par ses bottes à retroussis, portait toujours au côté une
longue rapière de Tolède avec une garde à panier dans
le creux de laquelle, — ô profanation !
—• il avait coutume
de mettre son mouchoir. Ce gouverneur excentrique
avait été surnommé le roi des gueux, à cause des
nombreux fainéants et vagabonds qui vivaient tranquillement
dans le palais sous son paternel gouvernement.
Il n'y a pas longtemps encore que l'Alliambra servait
de bagne et de magasin aux vivres; d'ignobles présidiarios
traînaient leurs chaînes et leur vermine dans la salle
où Yousouf, commandeur des croyants, recevait ses vassaux;
et des las de morue salée s'empilaient dans celle
où jadis la divine Lindaraja respirait les plus suaves
parfums.
Après tant d'actes de vandalisme , on songea enfin à
prendre quelque soin de celte pauvre Alhambra; des
restaurations furent commencées, et on n'a pas cessé de
les continuer jusqu'aujourd'hui, avec lenteur, il est
vrai, mais non sans habileté ; des préposés qui exploitaient
h leur profit, de la façon la plus scandaleuse, la
bourse des visiteurs, ont été com-ageusement congédiés,
et une inscription, récemment placée au-dessus de la
porte d'entrée, défend aux employés de recevoir lu
moindre propina.
Quelques-unes des tours qui s'élèvent au-dessus de
l'enceinte de l'Alhambra, renfermaient autrefois de splendides
appartements; quoique ruinées en partie aujourd'hui,
plusieurs, comme la Iodx de las Infantas, la torir
dcl Caulivo et celle de la Cauliva (du captif et de la
captive) , conservent encore les traces de très-bell/s décorations;
on suppose qu'elles faisaient partie du harem
et servaient de résidence aux sultanes favorites.
C'est pendant les chaudes et belles nuits du mois de
juillet que nous aimions à errer au milieu de ces ruines
sans égales, témoins de tant de scènes d'amour et de
sang ;
quand les rayons de la lune venaient glacer d'une
lumière argentée la haute tour de la Vêla ou les créneaux
de la tovre de Comarès qui se détachaient en dents de
scie sur l'azur sombre d'un ciel étoile, quand les hauts
cyprès aux formes fantastiques projetaient au loin leurs
grandes ombres comme autant de géants, alors nous nous
attendions à voir se dresser devant nous les fantômes
des anciens hôtes de l'Alhambra; le valeureux More
Gazul et sa bien-aimée l'incomparable Lindaraja, du
sang des Abencerrages, passaient sous la voûte des figuiers,
se tenant enlacés; un peu plus loin, le fier Abenamar
se penchait vers la belle Galiana; seule, l'ingrate
Zayda, la plus cruelle parmi les beautés moresques,
restait insensible à la voix qui chantait dans le silence
de la nuit ce romance inorisco :
Bella Zayda de mis ojos ,
Y dul aima bella Zayda,
De las Moras la mas bella
,
Y mas que todas ingrata!
Mais les dames et cavaliers mores ne sont pas les
seuls qui reviennent errer la nuit dans les ruines de
l'Alhambra : la tour de las Siete Suelos, ou des sept
étages, passe pour être visitée par des fantômes, et, suivant
la légende populaire, personne n'a jamais pu dépasser
le quatrième étage. Des hommes courageux ayant
osé tenter l'aventure, ont été repoussés à plusieurs reprises
par un souffle furieux, qui non-seulement éteignait
leur lumière, mais les laissait sur place immobiles et
comme pétrifiés. D'autres fois ces téméraires visiteurs
se sont trouvés face à face avec nn terrible Éthiopien qui
les menaçait de les tuer s'ils ne retournaient sur leurs
pas; mais ce qui contribue par-dessus tout à rendre infranchissable
ce terrible passage, c'est la présence d'une
légion de Mores qui se jettent sur tous ceux qui osent
paraître. Quelques personnes, il est vrai, ont essayé
d'expliquer l'impossibilité de dépasser le quatrième
étage en prétendant que la tour, malgré son nom, n'en
a que quatre au lieu de sept; mais ceux-là sont assurément
des esprits forts et des gens qui ne croient à rien.
De la même tour sort aussi, quand le ciel est bien
noir, un terrible animal auquel la légende populaire a
donné le nom de Caballo descabezado, c'est-à-dire le
cheval sans tête, et un autre appelé el Vellado, ou le
Velu; tous deux sont les gardiens perfjétuels des immenses
trésors enfouis sous ces tours par les Mores, qui
les ont confiés à la garde de ces esprits infernaux. Ces
deux ombres se promènent toutes les nuits dans les sentiers
obscurs des alamcdas de l'Alhambra, et bien des
gens les ont vus : deux d'entre eux vivent encore aujourd'hui,
ajoute le P. Écheverria ;
cet historien de Grenade,
qui habita longtemps ces parages, et (pii prend le