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LE TOUR DU MONDE 1864 viaje a españa

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LE TOUR DU MONDE. 371

d'un petit marteau de poche. Doré, qui dessinait en ce

moment une frise moresque, interrompit son croquis

pour consigner sur son album celte petite scène de vandalisme,

que nous vîmes plusieurs fois se renouveler.

Qu'est devenue la belle porte de bronze de la Mezquita?

Hélas! on rie le sait que trop : elle a été brisée

ainsi que les azulejos, et vendue au poids comme vieux

cuivre. Les portes en bois sculpté de la salle des Abencerrages

subirent un aussi triste sort. C'est M. de

Gayangos qui nous raconte cette incroyable dévastation.

Ces belles portes étaient encore à leur place, et en parfait

état de conservation, lorsque, vers le milieu de l'année

1837, elles furent déplacées et sciées par ordre du

gouverneur, et cela pour fermer une brèche dans une

autre partie du palais ; mais ce n'est pas tout : comme

elles étaient trop grandes pour l'ouverture à laquelle on

les destinait, on se servit du reslant comme de bois à

brûler.

Le gouverneur Montilla ne trouva guère à conserver

que les murs du palais, car les serrures, les verrous et

jusqu'aux vitres des fenêtres avaient disparu sous ses

prédécesseurs; cependant il restait les deux vases de l'Alhambra;

on a vu cpiil en oftrit un à une visiteuse étrangère

:

Théophile Gautier nous a dit le peu de cas que

l'on faisait de l'autre à l'époque où il visita Grenade.

N'oublions pas dans cette nomenclature le gouverneur

Manchot, el Gobernador Munco, dont Washington Irving

a. tracé un portrait si amusant : ce singulier personnage,

qui se faisait remarquer par ses moustaches en croc et

par ses bottes à retroussis, portait toujours au côté une

longue rapière de Tolède avec une garde à panier dans

le creux de laquelle, — ô profanation !

—• il avait coutume

de mettre son mouchoir. Ce gouverneur excentrique

avait été surnommé le roi des gueux, à cause des

nombreux fainéants et vagabonds qui vivaient tranquillement

dans le palais sous son paternel gouvernement.

Il n'y a pas longtemps encore que l'Alliambra servait

de bagne et de magasin aux vivres; d'ignobles présidiarios

traînaient leurs chaînes et leur vermine dans la salle

où Yousouf, commandeur des croyants, recevait ses vassaux;

et des las de morue salée s'empilaient dans celle

où jadis la divine Lindaraja respirait les plus suaves

parfums.

Après tant d'actes de vandalisme , on songea enfin à

prendre quelque soin de celte pauvre Alhambra; des

restaurations furent commencées, et on n'a pas cessé de

les continuer jusqu'aujourd'hui, avec lenteur, il est

vrai, mais non sans habileté ; des préposés qui exploitaient

h leur profit, de la façon la plus scandaleuse, la

bourse des visiteurs, ont été com-ageusement congédiés,

et une inscription, récemment placée au-dessus de la

porte d'entrée, défend aux employés de recevoir lu

moindre propina.

Quelques-unes des tours qui s'élèvent au-dessus de

l'enceinte de l'Alhambra, renfermaient autrefois de splendides

appartements; quoique ruinées en partie aujourd'hui,

plusieurs, comme la Iodx de las Infantas, la torir

dcl Caulivo et celle de la Cauliva (du captif et de la

captive) , conservent encore les traces de très-bell/s décorations;

on suppose qu'elles faisaient partie du harem

et servaient de résidence aux sultanes favorites.

C'est pendant les chaudes et belles nuits du mois de

juillet que nous aimions à errer au milieu de ces ruines

sans égales, témoins de tant de scènes d'amour et de

sang ;

quand les rayons de la lune venaient glacer d'une

lumière argentée la haute tour de la Vêla ou les créneaux

de la tovre de Comarès qui se détachaient en dents de

scie sur l'azur sombre d'un ciel étoile, quand les hauts

cyprès aux formes fantastiques projetaient au loin leurs

grandes ombres comme autant de géants, alors nous nous

attendions à voir se dresser devant nous les fantômes

des anciens hôtes de l'Alhambra; le valeureux More

Gazul et sa bien-aimée l'incomparable Lindaraja, du

sang des Abencerrages, passaient sous la voûte des figuiers,

se tenant enlacés; un peu plus loin, le fier Abenamar

se penchait vers la belle Galiana; seule, l'ingrate

Zayda, la plus cruelle parmi les beautés moresques,

restait insensible à la voix qui chantait dans le silence

de la nuit ce romance inorisco :

Bella Zayda de mis ojos ,

Y dul aima bella Zayda,

De las Moras la mas bella

,

Y mas que todas ingrata!

Mais les dames et cavaliers mores ne sont pas les

seuls qui reviennent errer la nuit dans les ruines de

l'Alhambra : la tour de las Siete Suelos, ou des sept

étages, passe pour être visitée par des fantômes, et, suivant

la légende populaire, personne n'a jamais pu dépasser

le quatrième étage. Des hommes courageux ayant

osé tenter l'aventure, ont été repoussés à plusieurs reprises

par un souffle furieux, qui non-seulement éteignait

leur lumière, mais les laissait sur place immobiles et

comme pétrifiés. D'autres fois ces téméraires visiteurs

se sont trouvés face à face avec nn terrible Éthiopien qui

les menaçait de les tuer s'ils ne retournaient sur leurs

pas; mais ce qui contribue par-dessus tout à rendre infranchissable

ce terrible passage, c'est la présence d'une

légion de Mores qui se jettent sur tous ceux qui osent

paraître. Quelques personnes, il est vrai, ont essayé

d'expliquer l'impossibilité de dépasser le quatrième

étage en prétendant que la tour, malgré son nom, n'en

a que quatre au lieu de sept; mais ceux-là sont assurément

des esprits forts et des gens qui ne croient à rien.

De la même tour sort aussi, quand le ciel est bien

noir, un terrible animal auquel la légende populaire a

donné le nom de Caballo descabezado, c'est-à-dire le

cheval sans tête, et un autre appelé el Vellado, ou le

Velu; tous deux sont les gardiens perfjétuels des immenses

trésors enfouis sous ces tours par les Mores, qui

les ont confiés à la garde de ces esprits infernaux. Ces

deux ombres se promènent toutes les nuits dans les sentiers

obscurs des alamcdas de l'Alhambra, et bien des

gens les ont vus : deux d'entre eux vivent encore aujourd'hui,

ajoute le P. Écheverria ;

cet historien de Grenade,

qui habita longtemps ces parages, et (pii prend le

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