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LE TOUR DU MONDE 1864 viaje a españa

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LE TOUR DU ^lOXDE.

terrible encore, et qu'eux seuls savent manier avec dextérité.

Il n'est guère en Espagne, depuis les Pyrénées

jusqu'aux Alpujarras, de cheval, mulet ou âne qui ne

passe chaque année par les mains d'un esquUador ou

tondeur gitano : cette industrie semble avoir été depuis

plusieurs siècles leur privilège exclusif, et parmi les

Espagnols de vieille souche, cristianos vitjos y rancios,

chrétiens rances et vieux, comme ils aiment à s'appeler

eux-mêmes, on ne trouverait que difficilement des esquiladores,

si ce n'est dans quelques parties de l' Aragon.

Les gitanos sont donc les seuls qui se servent pour le

combat de cette arme d'un nouveau genre : comme ils

portent presque toujours suspendue à leur ceinture la

grande trousse qui contient leurs cachas de différentes

dimensions, ils ne sont pas longtemps à se mettre en

garde en cas de duel. La longueur de leurs grands ciseaux

atteint presque un pied et demi; seulement, au

lieu de les tenir fermés et de s'en servir comme d'un

punal ou d'une navaja, ils les tiennent ouverts, les serrant

de leurs mains noires et calleuses au point d'intersection

des deux branches, de manière qu'on les croirait armés

de ces anciens poignards italiens dont la lame s'ouvrait

en deux au moyen de la pression d'un bouton.

Un autre métier dont les gitanos ont le monopole,

c'est celui de maquignon : il n'est pas de secret qu'ils ne

connaissent pour donner aux rossinantes les plus maigres

la vigueur, ou du moins l'apparence de la vigueur:

nous eûmes, au marché de Totana, l'occasion d'admirer

leur merveilleuse adresse sous ce rapport. Quant aux

femmes, elles n'exercent guère d'autre métier que celui

de danseuses et de diseuses de bonne aventure : dès

qu'elles aperçoivent un étranger, elles se dii-igent vers

lui, prennent sa main, et, lisant dans les plis, elles prononcent

d'un air inspiré quelques paroles inintelligibles,

qui leur valent ordinairement quelques menues pièces

de monnaies.

M. Georges Borrow, l'auteur du curieux livre intitulé

The Zincali, est celui qui les a le mieux étudiés : on sait

qu'il eut la patience d'apprendre leur langue, le calô, et

qu'il vécut plusieurs années au milieu d'eux pour les

convertir au protestantisme ; il raconte qu'un jour, ayant

un mulet chargé de bibles, un gitano prit son chargement

pour des paquets de savon : « Oui, lui répondit-il,

c'est du savon, mais du savon pour nettoyer les âmes ! »

Cet apôtre des gitanos avait fini par se faii-e passer pour

un des leurs : cependant ceux qui les connaissent bien

ont de la peine à croire qu'il ait fait beaucoup de prosélytes

parmi eux.

Un peu avant de quitter Totana , nous vîmes dans la

cour de la posada une de ces petites scènes de toilette

comme il n'est pas rare d'en rencontrer en Andalousie,

et qui nous rappela certains détails de mœurs cpû nous

avaient déjà frappés à Naples et dans le ghetto de Rome.

Une superbe gitana d'une vingtaine d'années , brune

comme une Morescpie , aux longs cils et aux cheveux

noirs et crépjvi) les oreilles chargées de lourds pendants,

se tenait debout derrière une vieille femme accroupie

véritable type de sorcière, dans les bras de laquelle dormait

un enfant; un autre enfant prescpae nu, couché à

côté d'un large pandero aux pieds de sa grand'mère,

nous regardait d'un air sauvage et mélancolique, la tête

appuyée sur sa main ; la Jeune fille, les mains plongées

dans la chevelure ébouriffée et gi-isonnante de la neille

gitana, se livrait consciencieusement à une chasse active,

vi'ai devoir filial, tandis qu'un autre gitano à la mine rébarbative,

à la peau couleur de bistre, la tête coiffée d'un

foulard tombant derrière la nuque, se tenait gravement

en arrière du groupe, contemplant d'un air sérieux et

indifférent une scène à laquelle il paraissait habitué.

Nous avions recommandé à notre calesero de se tenir

prêt dès le lever du soleil; car il était important de partir

de Totana de très-grand matin , afin d'arriver à Lorca

avant la chaleur du jour. La contrée que nous traversâmes

manque absolument d'eau; aussi est-elle poudreuse

et desséchée, et les bords de la route n'offraient

plus cette plantureuse végétation que nous admirions

tant aux environs de Murcie. Bien que le soleil ne fût

pas encore très-élevé au-dessus de l'horizon quand nous

arrivâmes à Lorca, nous sortîmes de notre galère complètement

poudrés à blanc par la poussière du chemin

comme si nous avions fait vingt lieues, tandis que nous

venions d'en faire à peine cinq ou six.

Lorca est une grande ville, à l'aspect assez sauvage,

aux rues tortueuses et escarpées; on estime sa population

à quarante-cinq mille âmes, chiffre qui nous parut exagéré,

autant cju'un séjour peu prolongé nous permit

d'en juger. Au-dessus de la ville s'élève un monticule

couvert de cactus et d'aloès, le Monte de Oro, au pied duquel

coule, — quand elle a de l'eau, — une rivière appelée

el Sangonera, ou de son ancien nom arabe et Guadalentin,

qui va se jeter dans le Ségura, la rivière de

Mm-cie. Sur les pentes du Monte de Oro est bâtie la

vieille ville arabe dont il reste encore des tours carrées

et des murs crénelés en briques d'un ton rougeâtre ; c'est

dans cette partie de la ville qu'habitent la partie pauvre

de la population et quelques gitanos. La partie basse,

située sm" l'autre rive du Guadalentin, est beaucoup

plus propre et mieux bâtie; en revanche les grandes

rues modernes, qui viennent aboutu- à la Plaza ^layor,

n'ont aucun caractère particulier.

Lorca n'est pas très-riche en monuments : c'est à

peine s'il faut citer la cathédrale, sous l'invocation de

san Patricio, grand édifice corintliien, froid et correct,

et une petite église gothique ,

appelée Santa Maria

comme celle d'Elche. L'Alameda, qui s'étend sur le

bord de la rivière, est une promenade agréable, après

la chaleur du jour seulement, car le climat de Lorca est

un des plus chauds de l'Espagne. Nous aperçûmes, en

nous promenant dans la Corredera, un pilastre antique,

sur lequel est gravée une inscription à moitié effacée de

l'époque romaine : les habitants de Lorca sont très-fiers

de ce fragment ,

qu'ils considèrent avec raison comme

un titre de noblesse pour leur ville, à lacp.ielle il donne

une existence authentique de dix- huit cents ans, et

dont l'ancien nom, Elicroca, a été changé par les Arabes

en celui qu'il porte encore aujourd'hui.

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