LE TOUR DU MONDE 1864 viaje a españa
346 LE TOUR DU MONDE.lement personne à qui parler. Surces entrefaites et pendantque JB cherciiaisen moi-même comment pourraits'opérer lfe> réconciliation des Klionds avec le gouvernement,je reçus l'ordfe formel d'aller déposer le rajahd'une principauté voisine, celle d'Ungool, située au delàde la rivière Mahanuddy.Je rentrai après quelques semaines d'absence dans leBoad avec six comjiagnics d'infanterie et un escadrond'irréguliers à dieval. La tranquillité n'y avait pas ététroublée, malgré les continuels elforls de Chokro Bis-Koi pour commettre ses compatriotes dans quelque actede résistance ouverte aux ordres du gouvernemenl.Sadressant de préférence à leurs préjugés religieux,il leur promenait, entre autres choses, la liberté absolue(l'oH'rir à leurs dieux des victimes humaines, etcomme ils étaient encore en possession de celles quele capitaine Macpherson leur avait rendues si mal àpropos, on j)ouvait craindre qu'une immolation généralene fût le préliminaire de la révolte à laquelle onles poussait. La tentation était forte, une hésitation généralesemblait prévaloir, t^ans la crainte salutaire quele sirkar (le gouvernement) inspire à ces populationslongtemps opprimées, sans les prompts et heureux résultatsque venait d'avoir la guerre portée dans les domainesdu rajah d'Ungool, on ne peut guère savoir cequi fût arrivé. En somme, les instigations du chef rebelledemeurèrent sans effet, et l'officier que j'avaischargé de me suppléer pendaut mon absence n'eut à repousseraucune attaque directe. Entamer dans le Boadl'abolition des sacrifices humains n'en était pas moinsune entreprise fort épineuse et fort délicate. Le gouvernementsuprême de l'Inde ne s'y décida qu'avec une certainehésitation. Nous avions cependant pour nous lessuccès obtenusdans le Goomsur où la prospérité publiquen'avait nullement souffert, on le pense bien, et où lesdieux, frustrés du sang des hommes, n'avaient manifestéaucun ressentiment. La moindre épidémie, une mauvaiserécolte, un désastre quelconcjue auraient été certainementinterprétés en ce sens ; mais un heureux hasardnous les avait épargnés et ôtait ainsi tout prétexte auxrécriminations fanatiques. Je reçus enfin les ordres nécessaireset préludai aussitût à mon entreprise par unesoigneuse distribution des petites forcesdont je disposais.(]efut ainsi que, juscju'au mois de mai, je parcourusle Boad dans tous les sens, malgré les fièvres qui déjàsévissaient, malgré la chaleur ,malgré les inconvénientsparticuliers à celte saison où les gens du pays, en vuedes pluies de juin, mettent le feu aux herbes sèches desjungles et aux' broussailles de leurs forêts. On se fei-aitdifficilement une idée de ce que devient, envahie par destorrents d'acre fumée, l'atmosphère ardente de ces contréesmalsaines. Mon camp fut litt('ralement décimé parla fièvre ; il me fallait à chaque instant renvoyer deshommes dans le plat pays ;deux de mes officiers périrentet bon nombre durent aller chercher, sous descieuxplus ch'-ments, les moyens de rétablir leur santé compromise.Mais, au prix de tant de sacrifices et de souffrances,nous vîmes l'autorité du gouvernemenl reprendresou prestige. Les tribus les plus éloignées sesentirent sous notre main , et les chefs, qui les premiersavaient fait leur soumission, virent strictement accomplirla promesse que nous leur avions faite d'imposer àtous ce ((up nous obtenions d'eux. Sur les cent soixantedixvictimes vainement délivrées naguère, les Kliondsen avaient déjà immolé trois pour mettre le ciel de moitiédans la résistance qu'ils espéraient nous opposer. Arexce])lion de celles-là, toutes nous furent rendues et lerésultat total de nos opérations dans le Boad fut le salutde deux cent trente-cinq malheureuses créatures dcstinéts à ])érir tôt ou tard sous le couteau des prêtres. Choseétrange à dire, la grande majorité des Mériahs semblaitcompli'tement inditférente à la déliviauce ((ue nous leura]jportions, et beaucoup s'effrayaient à l'idée de descendreavec nous dans la plaine, méfiants du sort qui les yattendait. Je dois dire cependant qu'il ne fallut pas longtempspour les réconcilier avec leur destinée et leur faireapprécier la lûenveillante tutelle (jui allait désormaisveiller sur eux.La campagne suivante (novembre (1849) .eut pourthéâti-e le Chinna-Kimedy, dont les districts montagueuxconfinent à ceux du Boad et du Goomsur. Là cen'était pas seulement à la terre, mais à Manuck-Soro, ledieu des coml)ats , à Boro-Penno, le dieu grand, à Zaro-Penoo, le dieu du soleil, qu'on offrait des sacrifices humains.L'ignorance des populations confinées dans leur;;montagnes et sans rapports avec la ]3laine, faisait prévoirune résistance obstinée, et j'avais pris mes mesuresen consé(|uence. Muni par le gouvernement des plusam})les pouvoirs, je ne voulais cependant en faire usagequ'à la dernière extrémité. Dans ces montagnes où jamaisun Euroi)éen n'avait mis le pied, parmi ces forêtsdont pas un sentier ne nous était connu, sous ce ciel dévorant,plus terrible que des armées, la guerre eût éti'un fléau sans nom, et la moindre imprudence, la moindreerreur pouvaient amener la guerre. L'aide des principauxr.ijahs que j'avais su me concilier et dont la confiancem'était acquise, la netteté de mon langage, le soinivec lei[uel je précisais les intentions du gouvernemenlet je limitais notre action à l'anéantissement du rite sanglantque nous voulions abolir, détournèrent de nouscette nécessité fatale. On nous accueillit d'abord, il estvrai, avec plus d'étonnement et de terreur ([ue de sympathie.Des groupes effarés contemjilaient de loin notrecamp sans oser ypénétrer. On réjiandait partout le bruilque je venais chercher des Mériahs pour en faire moimêmeun immense holocauste à la divinité des eaux quiavait tari un lac artificiel creusé près de ma demeure:mais ces vaines rumeurs s'effacèrent bientôt, et la rjgoureuse discipline observée par mes troupes rendit les populationsplus confiantes. Les conférences jiarlementairespuient commencer alors, et après force haranguesde |iart et d'autre, force récits de ce qui s'était passé'dans le Goomsur et le Boad, j'obtins la délivrance dedeux cent six Mériahs et la promesse formelle que, dansles sacrifices ultérieurs, les buffles, les chèvres et lespourceaux seraient exclusivement offerts aux divinités de
,LE TOUR DU MONDE.la conti'L'e. Le capitaine Macviccar, mon suppléant, quiopérait de son côté dans certains districts du Boad oùnous n'avions pu pénétrer l'année précédente, arriva luiaussi à d'heureux résultats. Nous ramenâmes, à nousdeux, trois cent sept Mériahs, dont cent \ingt petits enfantsqui furent placés aux frais du gouvernement chezles missionnaires de Berhampore et de Cuttack. Parmiles adultes, ceux qui étaient mariés furent dispersés dansdivers villages oii on leur fournit les moyens de formerun établissement agricole ;les jeunes gens commencèrentl'apprentissage de différents métiers; douze ou quinzeentrèrent chez des particuliers qui se constituaient leurspatrons, et j'en enrôlai vingt-cinq pour mou escadrond'irréguliers. Les jeunes filles, à mesure qu'elles deviennentnubiles, trouvent facilement des maris, attendu([ue le gouvernement, dont elles sont les pupilles, leurassure un douaire suffisant. Enfin on a établi à Sooradah,pour les femmes non mariées et pour les plus jeunes enfants,un asile spécial où, sous la surveillance de respectablesmatrones, les premières apprennent les soins duménage, tandis que les seconds sont mis on état d'entrerplus tard dans les écoles de missionnaires.En 1850, l'état de ma santé me força de quitter l'Inde,et j'allai au cap de Bonne-Espérance passer le tempsnécessaire à. mon rétablissement. Pendant mon absencele capitaine Macviccar et le capitaine Frye continuèrentl'œuvre sacrée à laquelle nous étions voués ensemble.Le second, orientaliste érudit, qui avait fait une étudespéciale des dialectes khonds, et auquel on doit l'impressiondes seuls ouvrages qui existent en cette langue, apéri depuis victime de son zèle. Une fièvre pestilentiellea terminé la carrière de ce brillant officier dont les vuessaines et la politique habile ont particulièrement contribuéau succès définitif de notre œuvre commune.Une singulière anecdote que je tiens de lui et qui serattache à l'époque dont je parle doit trouver ici sa place.Averti qu'une jeune et belle fille de quinze à seizeans devait être immolée à bref délai, il n'hésita pas àse porter rapidement sur le lieu du sacrifice escorté seulementde quelques cavaliers. Il était grand temps qu'ilarrivât, car, au milieu des Khonds réunis, le prêtre officianttenait déjà la victime. Sommés de la livrer immédiatement,nos montagnards, hésitèrent ; ils étaient dansun état d'excitation et de colère qui pouvait avoir lesplus fâcheux résultats. Argumenter avec eux dans depareilles circonstances eût été parfaitement inutile; aussile capitaine Frye, une fois que la Mériah lui eut été remise,reprit-il en toute hâte le chemin de son camp.Les Khonds, déçus et furieux, ne savaient après sondépart sur qui faire tomber leur rage ; ils n'entendaientpas être frustrés du sacrifice pour lequel ils étaientvenus. Une idée s'ofl'rit à eux qui tout à coup fit fortune.Le prêtre était là, vieillard inutile, membre parasite dela communauté, pourquoi ne remplacerait-il pas la victimedérobée aux dieux? L'étrange substitution s'accomplità l'instant même et le malheureux sacrificateur,dont le meurtre fut d'ailleurs puni comme il devait l'être,prit la place de la Mériah qu'on lui avait arrachée.En présentant le tableau de ses opérations, le capitaineMacviccar faisait remarquer que l'abolition des sacrificeshumains n'impliquait aucun changement dans lareligion des Khonds, aucune idée de progrès moral.Sous beaucoup de formes symboliques et de noms divers,la divinité que ces montagnards adorent est toujoursla terrible Dourgha des Indous, cette divinité hostilequ'on apaise à force de sang et qui accepte seulementlorsqu'elle y est forcée, la substitution du sang des animauxà celui des hommes. L'idée fondamentale restantlamême, le rite n'est véritablement aboli dans un districtque lorsqu'il l'est également dans tous les pays voisins.Sans cela les vrais fidèles se transportent à de longuesdistances pour voir s'accomplir dans toute la rigueurdans toute la vérité, le sacrifice essentiel, et pour rapporterdans leurs champs ainsi fertilisés, un lambeau dela précieuse offrande. Aussi tout en reconnaissant lesrésultats obtenus dans le Chinua Kiraedy, le capitaineMacviccar ajoutait-il que ces vastes régions ne pourraientêtre considérées comme complètement et définitivementsoumises à la prohibition nouvelle, si les immolationshumaines continuaient dans le Jeyporeprincipauté limitrophe d'une étendue considérable. Cetteconclusion parfaitement juste et bien étudiée fut lepoint de départ de nos nouvelles expéditions qui commencèrentle 17 décembre I85I, et employèrent les troisannées suivantes. Notre marche était la même ;nosmoyens d'action tout à fait identiques, les obstacles àvaincre ne changeaient guère ;c'étaient toujours, en premièreligne, la fièvre, la petite vérole et autres maladiesépidémiques; puis l'ignorance et le fanatisme obstinésdes populations, parfois la méfiance des rajahs qui cherchaientun but politique à nos efforts humanitaires. Onne se fait pas une idée de la patience, de la persévérancequ'il faut déployer dans ces transactions délicates,où le langage de l'autorité ne se rend acceptable quegrâce à mille ménagements conciliateurs, et où l'emploimal entendu de la force risquerait à chaque instant desoulever des régions entières. Je n'y ai eu recours. Dieumerci, qu'une seule fois, en janvier 1852, dans des circonstancesexceptionnelles. Nous étions alors dans lecanton de Godairy, au centre de six villages ordinairementen guerre l'un avec l'autre, mais qui s'étaient liguéscontre nous, se figurant que nous venions tirervengeance d'un triple assassinat dans lequel ils étaienttous plus ou moins compromis. Us avaient effectivementassassiné, peu de temps avant, trois messagers du Nigbbaude Godairy, qui sous prétexte de lui porter leurréclamation touchant le rite mériah leur avaient extorquédes buffles, des chèvres, des vases de bronze, etc.Aussi restaient-ils sourds à toutes mes exhortationsrebelles à tous mes ordres, et je dus passer onze joursentiers, campé à la belle étoile, dans des rizières, quipendant ce laps de temps furent inondées à deux reprisesdifférentes. Après bien des démonstrations menaçantes,enhardis par la faiblesse du détachement quej'avais avec moi, ces farouches montagnards, au nombred'environ trois cents, attaquèrent mon camp avec des
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la conti'L'e. Le capitaine Macviccar, mon suppléant, qui
opérait de son côté dans certains districts du Boad où
nous n'avions pu pénétrer l'année précédente, arriva lui
aussi à d'heureux résultats. Nous ramenâmes, à nous
deux, trois cent sept Mériahs, dont cent \ingt petits enfants
qui furent placés aux frais du gouvernement chez
les missionnaires de Berhampore et de Cuttack. Parmi
les adultes, ceux qui étaient mariés furent dispersés dans
divers villages oii on leur fournit les moyens de former
un établissement agricole ;
les jeunes gens commencèrent
l'apprentissage de différents métiers; douze ou quinze
entrèrent chez des particuliers qui se constituaient leurs
patrons, et j'en enrôlai vingt-cinq pour mou escadron
d'irréguliers. Les jeunes filles, à mesure qu'elles deviennent
nubiles, trouvent facilement des maris, attendu
([ue le gouvernement, dont elles sont les pupilles, leur
assure un douaire suffisant. Enfin on a établi à Sooradah,
pour les femmes non mariées et pour les plus jeunes enfants,
un asile spécial où, sous la surveillance de respectables
matrones, les premières apprennent les soins du
ménage, tandis que les seconds sont mis on état d'entrer
plus tard dans les écoles de missionnaires.
En 1850, l'état de ma santé me força de quitter l'Inde,
et j'allai au cap de Bonne-Espérance passer le temps
nécessaire à. mon rétablissement. Pendant mon absence
le capitaine Macviccar et le capitaine Frye continuèrent
l'œuvre sacrée à laquelle nous étions voués ensemble.
Le second, orientaliste érudit, qui avait fait une étude
spéciale des dialectes khonds, et auquel on doit l'impression
des seuls ouvrages qui existent en cette langue, a
péri depuis victime de son zèle. Une fièvre pestilentielle
a terminé la carrière de ce brillant officier dont les vues
saines et la politique habile ont particulièrement contribué
au succès définitif de notre œuvre commune.
Une singulière anecdote que je tiens de lui et qui se
rattache à l'époque dont je parle doit trouver ici sa place.
Averti qu'une jeune et belle fille de quinze à seize
ans devait être immolée à bref délai, il n'hésita pas à
se porter rapidement sur le lieu du sacrifice escorté seulement
de quelques cavaliers. Il était grand temps qu'il
arrivât, car, au milieu des Khonds réunis, le prêtre officiant
tenait déjà la victime. Sommés de la livrer immédiatement,
nos montagnards, hésitèrent ; ils étaient dans
un état d'excitation et de colère qui pouvait avoir les
plus fâcheux résultats. Argumenter avec eux dans de
pareilles circonstances eût été parfaitement inutile; aussi
le capitaine Frye, une fois que la Mériah lui eut été remise,
reprit-il en toute hâte le chemin de son camp.
Les Khonds, déçus et furieux, ne savaient après son
départ sur qui faire tomber leur rage ; ils n'entendaient
pas être frustrés du sacrifice pour lequel ils étaient
venus. Une idée s'ofl'rit à eux qui tout à coup fit fortune.
Le prêtre était là, vieillard inutile, membre parasite de
la communauté, pourquoi ne remplacerait-il pas la victime
dérobée aux dieux? L'étrange substitution s'accomplit
à l'instant même et le malheureux sacrificateur,
dont le meurtre fut d'ailleurs puni comme il devait l'être,
prit la place de la Mériah qu'on lui avait arrachée.
En présentant le tableau de ses opérations, le capitaine
Macviccar faisait remarquer que l'abolition des sacrifices
humains n'impliquait aucun changement dans la
religion des Khonds, aucune idée de progrès moral.
Sous beaucoup de formes symboliques et de noms divers,
la divinité que ces montagnards adorent est toujours
la terrible Dourgha des Indous, cette divinité hostile
qu'on apaise à force de sang et qui accepte seulement
lorsqu'elle y est forcée, la substitution du sang des animaux
à celui des hommes. L'idée fondamentale restant
lamême, le rite n'est véritablement aboli dans un district
que lorsqu'il l'est également dans tous les pays voisins.
Sans cela les vrais fidèles se transportent à de longues
distances pour voir s'accomplir dans toute la rigueur
dans toute la vérité, le sacrifice essentiel, et pour rapporter
dans leurs champs ainsi fertilisés, un lambeau de
la précieuse offrande. Aussi tout en reconnaissant les
résultats obtenus dans le Chinua Kiraedy, le capitaine
Macviccar ajoutait-il que ces vastes régions ne pourraient
être considérées comme complètement et définitivement
soumises à la prohibition nouvelle, si les immolations
humaines continuaient dans le Jeypore
principauté limitrophe d'une étendue considérable. Cette
conclusion parfaitement juste et bien étudiée fut le
point de départ de nos nouvelles expéditions qui commencèrent
le 17 décembre I85I, et employèrent les trois
années suivantes. Notre marche était la même ;
nos
moyens d'action tout à fait identiques, les obstacles à
vaincre ne changeaient guère ;
c'étaient toujours, en première
ligne, la fièvre, la petite vérole et autres maladies
épidémiques; puis l'ignorance et le fanatisme obstinés
des populations, parfois la méfiance des rajahs qui cherchaient
un but politique à nos efforts humanitaires. On
ne se fait pas une idée de la patience, de la persévérance
qu'il faut déployer dans ces transactions délicates,
où le langage de l'autorité ne se rend acceptable que
grâce à mille ménagements conciliateurs, et où l'emploi
mal entendu de la force risquerait à chaque instant de
soulever des régions entières. Je n'y ai eu recours. Dieu
merci, qu'une seule fois, en janvier 1852, dans des circonstances
exceptionnelles. Nous étions alors dans le
canton de Godairy, au centre de six villages ordinairement
en guerre l'un avec l'autre, mais qui s'étaient ligués
contre nous, se figurant que nous venions tirer
vengeance d'un triple assassinat dans lequel ils étaient
tous plus ou moins compromis. Us avaient effectivement
assassiné, peu de temps avant, trois messagers du Nigbbau
de Godairy, qui sous prétexte de lui porter leur
réclamation touchant le rite mériah leur avaient extorqué
des buffles, des chèvres, des vases de bronze, etc.
Aussi restaient-ils sourds à toutes mes exhortations
rebelles à tous mes ordres, et je dus passer onze jours
entiers, campé à la belle étoile, dans des rizières, qui
pendant ce laps de temps furent inondées à deux reprises
différentes. Après bien des démonstrations menaçantes,
enhardis par la faiblesse du détachement que
j'avais avec moi, ces farouches montagnards, au nombre
d'environ trois cents, attaquèrent mon camp avec des