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LE TOUR DU MONDE 1864 viaje a españa

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342 LE TOUR DU MONDE.

riiomicide. Celte loi n'étail-elle pas la leur, universellement

reconnue? Ne demandaient-ils pas sang pour sang,

tête pour tète? Et qu'auraient-ils à dire si ou exigeait

d'eux la même rétribution pour ces meurtres commis au

])ied de l'autel? Où était d'ailleurs la nécessité de j)areils

holocaustes? Nous aussi, je n'hésitais pas à l'avouer,

nous avions autrefois sacrifié des êtres humains; nous

avions cru apaiser Ja colère divine (;n immolant nos semblables,

mais c'était à une époque de grossière ignorance,

alors que, sauvages insensés, nous menions une

existence avilie, pareille ù celle des animaux. Ces ténèl)res

pourtant s'étaient graduellement dissipées et nous

avions fini par rononcer pour jamais à ces pratiques sacrilèges.

Qu'en était-il résulté pour nous? Depuis leur

abolition, toutes sortes de prospérités nous avaient été

départies. Mieux instruits, plus sages, nous pouvions

maintenant apprécier nos erreurs, notre folie passée.

Quant à eux, ils pouvaient s'assurer par notre exemple

que ces vaines cérémonies de leur religion ne contribuaient

en rien à leur bien-être :

— Mais, sans parler

de nous, coutinuai-je, examinez ce qui se passe chez vos

voisins de la plaine? Leurs moissons ne sont-elles pas

aussi belles, aussi abondantes que les vôtres? Leur bétail

u'est-il pas en meilleure condition? Ne vivent-ils pas

mieux qu'aucune tribu montagnarde? Trouve-t-on chez

vous de plus beaux fruits ou des hommes plus forts?...

Et maintenant les vojez-vous jamais sacriher leurs semblables?...

»

Après avoir développé longuement ce parallèle, je les

snppliai de croire k mon amitié, à mon désir de leur

être utile; je leur rappelai que, comme représentant du

gouvernement anglais, j'avais à dispenser les faveurs qui

seraient toutes à leur disposition s'ils se rendaient pacifiquement

à nos désirs. Nous n'entendions ni porter atteinte

à leurs principes religieux, ni les troubler dans

leur foi,

mais simplement prohiber un usage que n'avaient

jamais sanctionné ni les lois divines, ni les lois

humaines. Nous ne leur demandions en somme que de

mériter, en renonçant à une coutume barbare, la protection

du gouvernement dont ils étaient devenus les sujets,

de garder la paix entre eux, de vivre en Lous ternies

avec leurs voisins.

Lorsque je crus n'avoir omis aucune des considérations

qui pouvaient agir sur ces intelligences primitives, je

priai mes auditeurs de discuter entre eux la question et

de me notifier le résultat du conseil qu'ils allaient tenir.

L'assemblée, qui avait écouté avec patience et calme

tout ce que j'avais à lui dire, se dispersa sur-le-champ

pour aller tenir séance' dans quelque endroit écarté. Je

n'étais ]ias sans inquii'lude sur l'issue du débat qui allait

s'engager, alteudu que, préalablement à la réunion, un

compromis m'avait été sinon proposé, du moins suggéré,

lequel consislait à autoriser un seul sacrilice annuel

pour tous les Khonds du Goomsur. On comprend bien

que j'avais immédiatement d('cliné ce moyen terme.

La séance reprise, et après (juelques préliminaires,

cinq ou six des chefs khonds, les j)lus âgés et les plus inlluents,

s'avancèi'ent vers moi pour interpréter les sentiments

de la majorité, ce qu'ils firent avec beaucoup de

sang-froid et une remarquable facilité de parole. Leurs

discours revenaient à ceci :

« Nous avons de tout temps sacrifié des créatures humaines.

Nos ancêtres nous avaient transmis cette coutume;

ils ne croyaient pas mal faire, nous ne le croyions

pas davantage; au contraire, il nous semblait que nous

accomplissions un devoir. Nous étions alors les ^ujets du

rajah de Goomsur, nous sommes devenus ceux du grand

gouvernement aux ordres duquel nous devons obéir. Si

la terre nous refuse ses produits, si des maladies contagieuses

viennent nous décimer, la faute n'en sera pas à

nous. Donc nous renonçons aux sacrifices et nous nous

contenterons, si on nous le permet, d'immoler des animaux

comme font les habitants de la plaine. »

Jl serait oiseux de raconter ici les divers incidents,

les diseussions qui s'engagèrent ensuite et que je dus

soutenir jusqu'au bout avec une patience e.\eiD|ilaire

Au total le résultat passait mes espérances. Il était convenu

que rassemblée se réunirait de nouveau à jour fixe

pour me remettre officiellement lesMériahs qui devaient

être immolées. On me les amena effectivement au nombre

d'une centaine, tant hommes que femmes, et après

une nouvelle harangue de ma paît, appuyé par plusieurs

chefs qui firent valoir la nécessité d'obéir aux ordres du

gouvernement, ils prêtèrent tous un serment qui leur

est particulier. Assis sur des peaux de tigre et tenant

dans leurs mains un peu de terre et de riz arrosés de

quelcfues gouttes d'eau, ils répétaient les paroles suivantes

: « Puisse la terre me refuser ses fruits, puisse le

riz m'étouffer, puisse l'eau me noyer, puisse le tigre me

dévorer moi et mes enfants si j'étais un jour parjure au

vœu que je fais actuellement pour moi et mou peuple

de renoncer pour jamais à tout sacrifice humain ! »

Mon sabre ensuite, circulant à la ronde, passa tour à

tour dans les mains de chaque chef, ce qui impliquait

de leur part une martpie de soumission, de la mienne un

gage de protection bienveillante. Puis la distribution

des présents eut lieu, et chacun reprenant le chemin

de son village , mon second Durbar dans le pays des

Khonds se trouva virtuellement dissous.

Parmi les chefs des tribus les plus lointaines, quelquesuns

avaient négligé de m'amener leurs .Mériahs, mais ils

s'exécutèrent peu après, entraînés par l'exemjile de leurs

collègues, et avant qu'un mois ne fût expiré, je j)us me

rendre ce témoignage que j'avais arraché cent cinq

malheureux au plus horrible trépas. Il fallait maintenant

régler leur sort. Un grand nombre furent reconduits

chez leurs parents de la plaine. Plusieurs lurent adoptés

avec empressement par des artisans en quête d'apprentis;

d'autres se virent engagés à divers titres chez c-erlains

habitants des basses terres. Les agents du service

civil et mililaii-e se chargèrent de quelques-uns et j'en

choisis douze que je fis instruire comme domestiques

avec l'arrière-pensée qu'ils nous serviriaeni d'interprètes

dans nos rapports ultérieurs avec les Khonds.

Ces rapports devinrent deplusenplussuivis. Jeparcoulais

assidûment leurs villages, cherchant tous les moyens

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