LE TOUR DU MONDE 1864 viaje a españa
340 LE TOUR DU MONDE.décrire, ajoutait M. Russell, est peut-être encore lemoins cruel de ceux qu'on inflige en pareil cas. On cite,en effet, des localités où l'on dépèce vivante, morceaupar morceau, la victime offerte aux dieux.« D'après M. Ricketts, qui avait recueilli ces renseignementssur la frontière du Bengale, les Khondsavaient surtout recours aux sacrifices humains lorsqu'ilss'adonnaient à la culture du safran, et, raisonnant àfroid sur ce sujet, ils déclaraient impossible d'obtenirsans effusion de sang que cette plante leur donnât unebelle couleur foncée à laquelle ils attachent un grandprix. Du reste, sur le sacrifice lui-même, les versionsvariaient à l'infini. En certains endroits, on étouffait lavictime entre deux planches de bambou ,graduellementresserrées autour de son buste, et c'était seulementlorsqu'on la voyait aux prises avec la suprême angoisse,que le prêtre, à coups de hache , séparait son corps endeux. Ailleurs, nous disait-on, le cadavre est enfoui sansmutilations préalables; mais, dans ce cas, la croyancegénérale limite le profit du sacrifice au domaine de celuiqui en a fait les frais. Ainsi s'explique l'empressementdes Khonds à se partager les débris pantelants du cadavreet à les disséminer sur la plus grande étendue deterritoire possible; l'offrande, pour être efficace, devantavoir lieu dans la journée même oii le rite sanglant a étéaccompli, on a vu transporter à des distances incroyables,par des relais de coureurs établis tout exprès, les misérablesdébris de cette boucherie humaine. Tous les enfantsou adolescents que les Khonds se procuraient parl'entremise des Panoos n'étaient pas invariablement des-; chci £ih3id.U I. Dsruay-Tioiua.linés au rôle d'offrandes propitiatoires. Un certainuombre, sous le nom de possia pocs, formés de bonneiieure aux soins domestiques ou aux travaux des champs,passaient peu à peu du rang de serviteur à celui demembre de la famille; leur sort, il est vrai, demeuraitassez précaire, et tel ou tel concours de circonstancespouvait faire d'eux, au besoin, l'objet d'un holocaustepublic ou privé; mais il était assez rare que les chosestinirnassent aussi mal pour eux, et, en général, le lapsdes années finissait par les assimiler complètement aureste de la population : de serfs ils devenaient citoyens.»111Lorsqu'au mois de décembre 1837 commença ma premièrecroisade contre le rite abominable dont je viensde parler, je n'emmenai pour escorte qu'un petit nombrede sebtmdis (soldats irréguliers) choisis un à un parm iles plus intrépides chasseurs de la contrée. Pas un d'euxqui, dans (juelquc rencontre singulière, n'eût méritéquelque surnom honorifique, de ceux que les rajahs décernentet qui se transmettent de génération en génération.L'un de nos hommes, par exemple, s'appelaitLion-de-guerrc (Joogar singh), un second Fort-à-labalaillc(Runnah singh), et ainsi de suite. Quelques-unsde ces braves possédant une légère teinture du dialectekliond me furent très-utiles comme interprètes. Maisla [irincipale assistance me vint d'un des chefs du hautGooiusur que M. Russell et moi nous nous étions attachédans le cours de la récente guerre et auquel nous avionsfait confi'rer, avec le titre de Babadur-Bukshi, une autoritéprédominante sur les Khonds de Goomsur. Son nom
LE TOUR DU MONDE.3!.létait Sam Bissoi. Doué d'un esprit très-siiljtil et trèséveillésur les intérêls de son ambition, cet liomme nousétait par là même tout dévoué. Je l'avais vu à l'œuvre;nous avions combattu côte à côte dans mainte escarmoucheet je ne doute pas qu'il n'eût pour moi unesorte d'attachement. Je l'appelai donc à mon aide ainsiqu'un autre chef assez renommé quoique beaucoup moinsintelligent. Celui-ci s'appelait Punda Naïk. Je leur avaisfait connaître d'avancele plan decampagne auquelje les associais ets'était chargé deilme préparer unaccueilfavorable.Ce fut par leurentremise que j'invitaitous leschefs de village etde district [moolahs)à venir metrouver avec leursinterprètes ( digaloos)sous les mursdu petit fort drBodiagherry ,celui-làmême oiis'était réfugié eufin de compte ledernier rajah etoù , après de longuesvicissitudes .la mort était venuele surprendre.Mes anxiétésétaient grandes àla veille de cettepremièrerencontre,bien que j'eussedéjà quelque^chances de moncôlé. J'étaisen effetassez généralementconnu et lespopulaiions mevoyaient sans tropd'ombrage; c'étaitpar mon influence([ue la plupart deschefs avaient reçuleur rang en vertu d'une coutume pratiquée autrefois parleurs anciens rajahs et (pie nous avions maintenue, nevoyant aucune raison de l'abolir. Presque tous répondirentdonc à mon appel et chacun arriva suivi d'unenombreuse escorte. Ils étaient environ trois mille autouide l'arbre sous lequel je les reçus. Les cheis et leursprincipaux suivants s'assirent par terre en demi-cercle;derrière eux, réunis en groupe tt fumant à qui mieuxPunila-Naïk, chef khond. — Dessin de sir John Campbell.mieux, le reste des Khonds prêtaient une oreille attentive.C'étaient en général des jeunes gens de chacpietribu qui, par égard pour leurs anciens et vu la confianceque ceux-ci leur inspirent, se permettent rarement deprendre la parole dans un débat public.Avec ces peuples à demi sauvages une argumenlalionprolixe est de rigueur : il faut exposer le sujet dans leplus grand détail; faire valoir un à un chaque motif depersuasion ,revenirà satiété surles mêmes raisonnements;aussi maharangue, quePunda Naïk etSam Bissoi se chargèrentd'interpréterfut-elle d'unelongueurextraparlementaire.« Il ne s'agissaitpas, leur dis-je, deblâmer le passé,mais d'inaugurerun meilleur avenir.Le gouvernementanglais avaitétépéniblementaffecté en apprenantchaque annéequ'un nombre considérablede victimesétaientexpiatoiressacrifiéespour détourner lacolère des dieux.C'était là une coutumeimpie, barbare,à laquellefallaitilrenoncerpour jamais, souspeine de rester enarrière des autrestribus, et montrermoinsd'intelligenceet d'aptitudeà la civilisation.Une nouvelle èreallait commencerpour eux. Ils n'étaientplus sous lejoug d'un ignorant rajah qui ue s'intéressait ni à leurbien-être, ni à leur bonheur. La fortune des armes lesavait fait passer sous l'empire du gouvernement anglaisdans les domaines duquel n'existait plus et ne pouvait êtretoléré un rite si abominable. Ce gouvernement paternelne faisait pas de différence entre ses enfants : le Khondet le Ooryah étaient égaux à ses yeux ; il protége?it égalementla vie de l'un et de l'autre, il punissait de mort
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décrire, ajoutait M. Russell, est peut-être encore le
moins cruel de ceux qu'on inflige en pareil cas. On cite,
en effet, des localités où l'on dépèce vivante, morceau
par morceau, la victime offerte aux dieux.
« D'après M. Ricketts, qui avait recueilli ces renseignements
sur la frontière du Bengale, les Khonds
avaient surtout recours aux sacrifices humains lorsqu'ils
s'adonnaient à la culture du safran, et, raisonnant à
froid sur ce sujet, ils déclaraient impossible d'obtenir
sans effusion de sang que cette plante leur donnât une
belle couleur foncée à laquelle ils attachent un grand
prix. Du reste, sur le sacrifice lui-même, les versions
variaient à l'infini. En certains endroits, on étouffait la
victime entre deux planches de bambou ,
graduellement
resserrées autour de son buste, et c'était seulement
lorsqu'on la voyait aux prises avec la suprême angoisse,
que le prêtre, à coups de hache , séparait son corps en
deux. Ailleurs, nous disait-on, le cadavre est enfoui sans
mutilations préalables; mais, dans ce cas, la croyance
générale limite le profit du sacrifice au domaine de celui
qui en a fait les frais. Ainsi s'explique l'empressement
des Khonds à se partager les débris pantelants du cadavre
et à les disséminer sur la plus grande étendue de
territoire possible; l'offrande, pour être efficace, devant
avoir lieu dans la journée même oii le rite sanglant a été
accompli, on a vu transporter à des distances incroyables,
par des relais de coureurs établis tout exprès, les misérables
débris de cette boucherie humaine. Tous les enfants
ou adolescents que les Khonds se procuraient par
l'entremise des Panoos n'étaient pas invariablement des-
; chci £ih3id.U I. Dsruay-Tioiua.
linés au rôle d'offrandes propitiatoires. Un certain
uombre, sous le nom de possia pocs, formés de bonne
iieure aux soins domestiques ou aux travaux des champs,
passaient peu à peu du rang de serviteur à celui de
membre de la famille; leur sort, il est vrai, demeurait
assez précaire, et tel ou tel concours de circonstances
pouvait faire d'eux, au besoin, l'objet d'un holocauste
public ou privé; mais il était assez rare que les choses
tinirnassent aussi mal pour eux, et, en général, le laps
des années finissait par les assimiler complètement au
reste de la population : de serfs ils devenaient citoyens.
»
111
Lorsqu'au mois de décembre 1837 commença ma première
croisade contre le rite abominable dont je viens
de parler, je n'emmenai pour escorte qu'un petit nombre
de sebtmdis (soldats irréguliers) choisis un à un parm i
les plus intrépides chasseurs de la contrée. Pas un d'eux
qui, dans (juelquc rencontre singulière, n'eût mérité
quelque surnom honorifique, de ceux que les rajahs décernent
et qui se transmettent de génération en génération.
L'un de nos hommes, par exemple, s'appelait
Lion-de-guerrc (Joogar singh), un second Fort-à-labalaillc
(Runnah singh), et ainsi de suite. Quelques-uns
de ces braves possédant une légère teinture du dialecte
kliond me furent très-utiles comme interprètes. Mais
la [irincipale assistance me vint d'un des chefs du haut
Gooiusur que M. Russell et moi nous nous étions attaché
dans le cours de la récente guerre et auquel nous avions
fait confi'rer, avec le titre de Babadur-Bukshi, une autorité
prédominante sur les Khonds de Goomsur. Son nom