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superstition. Nous avions acquis la certitude que dans
les régions montagneuses de plusieurs districts limitrophes,
le Goomsur, le Boad, le Chinna Kimedj', le .Teypore,
des victimes humaines étaient fréquemment offertes,
soit au dieu de la terre , Tado Pennor, soit au
dieu rouge des batailles , Manuck-Soro, — au premier
afin de s'assurer des moissons abondantes ou pour
conjurer un désastre imminent, — au second, à la
veille d'une entreprise militaire quelconque pour se ménager
une chance victorieuse. Indépendamment des victimes
offertes dans un intérêt publjc, il n'était pas rare,
nous disait-on, que des individus en vue de tel ou tel
avantage particulier sollicitassent par les mêmes moyens
la faveur divine. D'une tribu à l'autre, le mobile et le
cérémonial du sacrifice pouvaient différer; mais on retrouvait
chez toutes la même impitoyable cruauté.
L'achat des victimes appelées Mériabs était une condition
essentielle du rite. Ni l'âge, ni le sexe, ni le culte
n'étaient d'ailleurs déterminés; on préférait cependant
les adultes aux enfants ou aux vieillards comme coûtant
plus cher et mieux venus par conséquent de la divinité à
laquelle on les immolait. Le plus ou moins d'embonpoint
était aussi un motif de préférence. Il existait pour
cet odieux trafic des agents professionnels appartenant
presque tous à la caste Panoo. Sans avoir pour eux
l'excuse de la superstition ou de l'ignorance, obéissant
simplement à d'ignobles calculs, ces misérables pourvoyeurs,
cent fois plus dignes de châtiments que les
Khonds eux-mêmes, profitaient des époques de famine
pour aller acheter dans les villages de la plaine des
enfants que leurs parents, abrutis par la misère, leur
livraient à vil prix. Le rapt, l'enlèvement leur étaient
d'ailleurs familiers ; sous prétexte de leur fournir un
travail lucratif, ils attiraient dans les montagnes les
jeunes gens ou les jeunes filles mériabs. Captifs une
fois là, et traités d'ailleurs avec de certains ménagements,
ces malheureux attendaient quelqT:efois pendant plusieurs
années consécutives, avec cette résignation fataliste,
qui se retrouve partout en Orient, le moment où
leur destinée devait s'accomplir. Provisoirement les
jeunes gens travaillaient à la terre pour le compte du
Sirdar qui les avait achetés : fpiant aux jeunes filles, si
le chef du village ne s'arrogeait pas sur elles tous les
droits du maître sur son esclave, elles contractaient à la
longue, soit avec un des jeunes montagnards khonds,
soit avec un de leurs compagnons de captivité, Mériabs
comme elles, une sorte d'hymen imparfait qui les laissait
ainsi cpie leurs enfants sous le coup de la terrible
sentence
Le prix d'achat, variant de soixante à cent trente roupies
', était rarement payé argent comptant. On donnait
plutôt en échange quelques têtes de bétail, des
pourceaux, des chèvres, des vases ou des ornements de
bronze, etc.
Sur le sacrifice même auquel n'avait jamais assisté un
Européen, on n'avait fpie des témoignages indirects.
1. Cent cinquante à trois cent vingt-cfnq Trancs.
LE TOUR DU MONDE. 339
^'oici le résumé de ceux que recueillirent à la même
époque MM. Russell et Ricketts, les commissaires de
Goomsur et de Cuttack :
« La publicité de la cérémonie est une de ses conditions
essentielles. Pendant le mois qui précède, les festins
se multiplient, on s'enivre, on danse autour de la
Mériah, parée de ses plus beaux habits et couronnée de
fleurs. La veUle du sacrifice on l'amène stupéfiée, par
la boisson, au pied d'un poteau que surmonte l'effigie
de la divinité (un paon, un éléphant, etc.). La multitude
se met à danser au son de la musique, et ses hymnes
barbares, adressées à la terre, disent à peu près ceci :
o Nous vous offrons, ô dieu, cette victime, donnez-nous
des saisons clémentes, de riches moissons et la santé ! . . . "
Après quoi, parlant à la victime : « Nous vous avons eue,
continuent-ils, par achat et non par violence ; nous allons
maintenant vous immoler selon nos coutumes-; nul
crime par conséquent ne doit ne nous être imputé.... i
a Le j our d'après on la ramène plongée dans une ivresse
nouvelle, après avoir frotté d'huile certaines parties de
son corps que chaque individu présent vient toucher afin
de s'oindre à son tour en essuyant sur ses cheveux
l'huile que ses doigts ont gardée. Une procession se
forme alors, en tête de laquelle marche la musique, pour
promener la victime portée à bras tout autoxu- du village
et du territoire adjacent. Le prêtre officiant, ou
zani (qui peut appartenir à n'importe quelle caste), ramène
le cortège autour du poteau toujours placé près
de l'idole locale (Zacari Penoo) représentée par trois
grosses pierres. Il accomplit alors le rite appelé pooga,
c'est-à-dire qu'il offre à l'idole des fleurs, de l'encens,
etc., par l'intermédiaire d'un enfant au-dessous de
sept ans, nourri, babillé aux dépens de la communauté,
qui mange toujours seul et auquel on n'impose aucun
des actes réputés impurs. Cet enfant s'appelle le Zoomha.
Cependant une espèce de fosse vient d'être creusée au
pied du poteau; un pourceau, qu'on égorge au bord de
cette fosse, y verse peu à peu tout son sang, et la Mériah,
que l'ivTesse a privée de tout sentiment, est précipitée
dans ce trou fangeux; on lui tient la tête contre t«rre
jusqu'à sufibcation complète. Le zani détache du corps
un morceau de chair et l'enfouit auprès de Tidole comme
une offrande au dieu de la terre. Chacun des assistants
l'imite à son tour, et ceux qui sont venus des villages
environnants emportent les hideux lambeaux qui leur
sont échus pour les enterrer soit aux limites de leur territoire,
soit au pied de leurs idoles respectives. La tête
de la victime demeure intacte et on la laisse, avec les os
dénudés, au fond du trou sanglant que Ion se hâte de
combler.
o Quand l'horrible cérémonie touche à son terme, un
jeune buffle est conduit près du poteau sacré. On lui
coupe les quatre jambes, et après l'avoir ainsi mutilé on
le laisse là jusrpi'aii lendemain. Des femmes viennent
alors, en vêtements d'homme et armées comme des
guerriers, boire, danser, chanter autour de l'animal
expirant; on le tue ensuite, on le mange, et le zani est
renvoyé avec un présent. — Le supplice que je viens de