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LE TOUR DU MONDE 1864 viaje a españa

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LE TOUR DU MONDE. 335

de les éviter; mais telle était l'élasticité du terrain sur

tout notre parcours, que la calèche bondissait comme si

elle eût roulé sur du caoutchouc, s'enfonçant quelquefois

assez pour qu'il fallût les efforts de six cavaliers pour

nous tirer du bourbier.

« Des vapeurs blanches , sorties du sein de la terre,

donnaient un aspect fantastique à nos postillons : on eût

dit des ombres noires, d'uno taille fjigantesque, montées

sur des chevaux transparents et microscopiques. Nous

nous amusions de ce mirage grotesque, Mme de Baluseck

et moi, quand notre attention fut attirée par un

phénomène plus bizarre encore : le soleil , en se levant

et en chassant devant lui les brouillards vaporeux du

matin, nous fit apercevoir le capitaine Bouvier caché jusque-là

dans la brume et qui galopait à une centaine de

pas en avant de la voiture ; il était devenu triple, c'est-àdire

que de chaque côté de lui un autre lui-même

avait pris place , imitant fidèlement ses mouvements

et ses gestes ; suivant que notre voiture s'éloignait

ou se rapprochait de lui, ces sosies mystérieux et insaisissables,

quoicjTie parfaitement distincts, changeaient

aussi de place , tantôt précédant ou suivant le cavalier,

tantôt rejjrenant leur première position à droite

et à gauche de lui. Je dois chre ,

pour être vraie, que ce

mirage disparaissait aussitôt que nous levions nos voiles

i[ui, cependant, n'étaient pas bien épais. Je ne me rappelle

pas avoir jamais vu pareil phénomène, et je laisse

à plus savant que moi le soin de décider quelle loi d'optique,

quelle décomposition de la lumière le produisait à

nos yeux étonnés.

<t Nous venons de rencontrer, en arrivant à Nara,

toute une tribu, émigrant et emportant avec elle, vers de

jilus gras pâturages, tout ce qu'elle possédait. Les hommes

et les femmes à cheval poussent devant eux leurs

troupeaux; les plus petits enfants, suspendus dans des

paniers aux flancs des chameaux, sont arrangés symétriquement

d'après leur poids et leur âge; au-dessus d'eux

sont entassés les tapis et les couvertures en feutre, avec

les bois formant la carcasse des tentes ;

des grils en fer,

des armes, des marmites de cuivre pour faire bouillir le

thé; enfin, des sacs de farine d'orge. Je remarque, sur

un vigoureux chameau qui passe plus près de nous, deux

gros bébés tout nus au milieu du fouillis pitytoresque des

ustensiles de ménage ;

de l'autre côté, et comme équivalent,

se trouvent une fillette de six ans et un pot de fer.

Les pauvres petits voyageurs jouent et rient comme s'ils

étaient à leur aise parmi ce cliquetis efiroyable de ferrailles

qui menacent leurs tètes à chaque cahot. Les

Mongols, comme tous les peuples pasteurs, ont plus

d'égards et de soins pour leurs animaux que pour leurs

enfants. Ce sont les gens les plus simples, les plus

pauvres et les plus sales que j'aie encore rencontrés; la

seulo chose qui leur fasse honneur, c'est l'état de prospérité

de leurs bœufs, de leurs chevaux, de leurs moutons,

de leurs chèvres, encore faut-il en tenir compte à

la nature qui a produit spontanément ces magnifiques

pâturages, et j'en conclus que la Mongolie est un pays

qui convient à tous les animaiu, excepté à riiomme.

a Je ne sais vraiment pas comment j'ai le courage c'e

plaisanter. Le climat affreux de cet affreux pays détruit

chaque jour ma santé que j'avais restaurée à Pékin; il

n'y a qu'à force d'énergie que je supporte la fatigue de

chaque jour; si je me laisse aller au découragement,

comment pourrai-je gagner la frontière de Sibérie, distante

encore de deux cents lieues? Ce doit être bien

triste d'être gravement malade dans ces déserts, loin de

ses habitudes, de son pays, sans savoir ce qui vous attend

et ce que Dieu voudra bien décider de vous! »

C'est à iXara'^ qu'on peut vraiment placer la limite du

grand désert de Gobi. Les prairies redeviennent aussi

belles que dans la terre des Herbes, mais le sol est

moins pierreux et plus accidenté. Des coteaux plantes de

saules rabougris et de genévriers succèdent aux vallons

herbeux. De nombreux troupeaux, des hordes de cerfs,

d'antilopes animent ce paysage plantureux. En repartant

d'Enderlab, au moment de la ]ilus grande chaleur, le

passage des voitures effaroucha une bande d'hémiones

qui étaient couchées dans les roseaux d'un pelit étang,

et partirent au galop, non sans retourner la tète et en

poussant des cris élranges d'une sonorité retentissante,

auxquels répondirent à l'unisson les hennissements des

chevaux; ces animaux élégants ne sont pas rares dans

ces régions, à ce qu'assura Gomboë. Il y en a deux espèces

: l'une grise avec une raie noire, qui estl'hémionc

des savants; l'autre, plus petite, à longs poils, d'une

couleur plus brune, qui parait être voisine du dziggetai

du Turkestanetdu Thibet. Gomboë prétendait aussi que

ce désert était habité par des chameaux sauvages, el

qu'il en avait vu de ses propres yeux. Faul-il en conclure

que cet animal, dont l'origine se perd dans la nuit des

temps, existe encore à l'état de nature dans les plaines

du plateau central de l'Asie, ou plutôt que quelques

chameaux domestiques se sont échappés et y vivent en

liberté comme les chevaux sauvages des pam-pas de

l'Amérique du Sud?

Cependant, à mesure ([u'on avance, les vallons à leur

tour deviennent des vallées et les coteaux se changent en

collines élevées. Avant de descendre à Djirgalanlou

il faut traverser une véritable chaîne de montagnes,

ramification des monts Koukou - Daba qui s'élendenl

en demi- cercle de l'est à l'ouest à travers le pays des

Kbalkhas.

Au versant , coule dans un profond ravin une rivière

torrentielle large de plus de cent mètres et grossie parla

fonte des neiges : l'eau écume et se précipite en tourbillonnant

au milieu des rochers qui encombrent son

cours. L'assurance des postillons mongols, qu'un semblable

obstacle ne semble embarrasser que médiocrement,

ne rassure qu'à demi les voyageurs ; il faut passer

pourtant. Il n'y a pas de chances que l'eau baisse à

cette époque; elle croit même de minute en minute. On

1. Mme (le Bouiboiilon ayant cessé depuis Nara jusiiu'à son arrivée

en Sibérie de prendre des notes à

cause du mauvais élut de

sa santé, nous regrettons de remplacer par un simple récit les épisodes

intéressants que nous avons empruntés à son carnet d<; route

et qui ont lait voyager le lecteur avec elle dans le désert do Gobi.

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