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334 LK TOUR DU MONDK.
K Un nouveau nuage de poussière qui vient à nous,
lie la direction du nord, nous annonce près de Couloul
l'approche d'une caravane. C'est la première que nous
ayons rencontré dans le désert. En tête galopaient
(juelr|ues cava!ier.s parmi lesquels nous avons été fort
surpris de reconnaître à leur costume presque européen,
à leurs grandes Lottes, et à leurs chapeaux de
feutre, doux marchands sibériens chefs et propriétaires
de la caravane ;
l'un d'eux s'approche et, après force civilités,
s'informe à quelle distance il est à'IIomoutch,
demandant si l'eau et les pâturages sont encore abondants
dans le Gobi. Ces Russes étaient accompagnés de
nombreux Mongols, loués dans le nord du pa3's des
Khalkhas, plus misérables et plus sauvages d'aspect que
les nomades qui nous conduisaient : enveloppés des
pieds à la tète dans des peaux de bouc, placés entre
les bosses de leurs chameaux comme des ballots de marchandii-es,
à peine daignaient-ils tourner la tète. La
caravane très-considérable comptait une centaine de
chameaux chargés de caisses couvertes de peaux de buflle,
à ])eu près autant de cavaliers, tt quelques yacks
ou bœufs à long poil achetés à Ourga. Ce qu'il y avait
de plus curieux, c'était trois grands bateaux, construils
dans le genre des maisons de bains qu'un voit sur les
lleuves des villes européennes, placés sur des essieux et
des roues énormes, et traînés chacun par un attelage de
douze chameaux. Ces singuliers véhicules contenaient
la famille et toutes les richesses des marchands sibériens.
Les cris plaintifs des chameaux, les grognements
des yacks, les pilflements aigus que faisaient entendre
les conducteurs pour animer les bêtes de somme, et
par-dessus tout les nombreuses clochettes suspendues
au cou des animaux produisaient de loin une harmonie
inimitable.
a Après un échange de renseignements mutuels, nous
continuons notre route vers le nord, tandis que les Sibériens
se dirigent vers la Chine. Nous avons su plus
tard qu'ils avaient donné de nos nouvelles à. nos amis de
P.'kin.
a
Le 3 juin nous avons couché à Soudji; les chemins
sont affreux entre cette station et Hildir/nc; il a fallu six
heuiespour faire 48 verstes. La surface du sol couverte
de tertres et de pierres est boursouflée par l'infiltration
des eaux ; on dirait l'Océan avec ses longues houles.
Ce no sont plus des secousses brutales que nous éprouvons,
mais un roulis régulier qui a donné un véritable
mal de mer à Atmolte, la femme de chanil)re de Mme do
Ralusock.
« Le soir, en arrivant kDuro-Bouraclî, nous trouvons
notre camp placé au versant d'une éminence, dans une
position pittoresque. De petites hauteurs s'clevant au
milieu de la steppe lui donnent l'air d'un archipel com-
])nso d'une nmltitude d'îlots. Le coucher du soleil est
axlmirable : des vapeurs rouges jettent un voile obscur
sur la ligne qui sépare la terre du ciel; celui-ci, d'abord
d'un bleu foncé ,
prend des teintes d'un vert tendre, et à
mesure qu'il s'éclaircit la terre se revêt d'une, couleur
d'un pourpre sombre et impénétrable. De véritables collines,
les plus hautes que nous ayons vues depuis longtemps,
bornent l'horizon du côté du nord. Malgré la fatigue,
nous ne pouvons résister au désir d'aller leur
rendre visite ; il faut avoir éprouvé le sentiment d'uniformité
monotone que donne la platitude infinie des
steppes pour expliquer ce que nous ressentons. C'est à
dos de chameau que nous faisons cette excursion beaucoup
plus longue que nous ne croyions. Ces collines,
qui semblent très-voisines du camp, en sont h. plus de
([ualrc verstes; nous avons été trompés par un effet de
perspective qui, ici comme en pleine mer, rapproche les
objets les plus éloignés. Notre curiosité est trompée : ce
ne sont que des dunes de sable blanc accumulé dans des
rochers de granit; il n'y a ni végétation, ni flem-s, ni
.sources; de gros serpents gris, tachetés de rouge, en
sont les seuls habitants; et comme leur aspect n'a rien
de rassurant et que Gomboé nous assure qu'ils sont
très-venimeux, nous nous empres.sons de leur céder
la place. En revenant, la nuit, une nuit profonde, nous
surprend, et sans les Mongols qui sont venus à notre
rencontre avec des torches, nous nous égarions dans
cette immensité.
a Je n'irai plus voir les collines dans le désert et je ne
monterai plus sur des chameaux; rien de plus pénible
que le trot saccadé de ces animaux.
« Nous sommes rentres ici exténués de fatigue. C'est
:ivec un jilaisir extrême que je date ces quelques lignes
de Boro-Dourack. Ici ces.se le véritable désert de Gobi. A
^'ara, où nous arriverons demain, commence le pays des
Khalkhas, la région des grands bois, des pâturages et
des rivières aux eaux limpides.
Nara, 5 juin. — « J'ai voulu monter à cheval ce matin,
séduite par l'aspect des belles prairies vertes de Taïriyii.
Mon cheval bondissait sur leur surface, et, lui lâchant la
bride, je le laissais franchir l'espace dans un galop effréné,
bercée par le bruit sourd de ses sabots qu'amortissait
un épais tapis d'herbes, sans m'occuper de rien et
rêvant profondément. Soudain j'entends derrière moi des
cris inarticulés, et au moment où je me retourne, je me
sens tirer par la manche de ma veste : c'est un Mongol
de l'escorte qui s'est lancé à ma poursuite. Il abaisse
tantôt une main, tantôt l'autre, en imitant avec ses doigts
le galop d'an cheval emporté; enfin, voyant que je ne
comprends pas, il me montre fixement le sol. La présence
d'esprit me revient; j'ai
l'intuition d'un danger auquel
j'aurais échappé, et je m'aperçois que si nos inontures
paraissent si animées, ce n'est pas l'aspect des verts
pâturages qui les met en joie, mais la jieur, la peur
d'être englouties vivantes! Le sol se dérobe sous leurs
pas, et si elles restaient immobiles, elles enfonceraient
dans les tourbières perfides qui ne rendent plus leur
|)roie. Je frissonne encore (|uand je songe au danger auquel
j'ai
échappé; mon cheval, mieux servi par son instinct
que moi par mon intelligence, s'emportait et je ne
m'en .apercevais pas; quelques jias de )ilus et j'étais
perdue 1
Œ Les prairies tourbeuses nous barraient la route ;
le
chef mongol fit faire un grand détour aux voilures, afin