You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
.
LE TOUR DU MONDE.
Dieu merci, aucun accident grave. A peine étions-nous
repartis qu'un ressort de la calèche s'est cassé en deux;
il a fallu faire la route au petit pas; nous étions fort effrayées,
Mme de Baluseck et moi de la perspective de
continuer le voyage en charrettes chinoises ;
c'est un
triste mode de transport auquel il faudrait condamner
les admirateurs exagérés de la civilisation de l'Empire
du milieu. Heureusement noire sergent du génie a habilement
réparé l'avarie à Toli-Boulack où nous avons
déjeuné, et où les Mongols ont mis nos trois heures
de halte à profit pour réparer les autres voilures
plus ou moins avariées au passage du fossé. Un de nos
malheureux chevaux, qui s'y était cassé la cuisse, a été
abattu, dépecé et dévoré en grillades par les gens de
notre escorte et d'autres nomades accourus sur notre
passage. La chair de cheval est le mets le plus estimé
des Mongols; il n'y a cpie dans les grandes fêles qu'on
tue un de ces animaux pour les festins d'apparat.
•< Il y a à Toli-Boulack une petite pagode en briques
rouges : c'est la seule construction que nous ayons vue
depuis Kalgan , c'est-à-dire pendant six cenis kilomètres.
a La végétation devient de plus en plus rare : on voit
encore par-ci par-là quelques touffes de saxifrages élevant
au milieu des pierres leurs bouquets roses, une
plante grasse épineuse et rampante', quelques maigres
bruyères, et enfin dans les anfracluosités des rochers
un peu de chiendent; depuis que nous avons quitté la
terre des herbes j'ai dit adieu aux iris pourpres, blancs
et jaunes, et aux œillets rouges qui bordaient la route,
et embaumaient la steppe de leur odeur délicieuse. Cette
aridité extrême me fait penser avec regret aux beaux
parcs des palais et des temples de Pékin tapissés de violettes,
de roses, de jasmins, de mauves, et de tant d'autres
charmantes fleurs auxquelles la science n'a pas encore
donné un nom.
<t C'est la journée aux accidents. Un peu avant la station
de Mouhour-Kaclwûm, un de nos postillons a fait
une chute, et a été roulé d'une manière effroyable sous
les jambes des chevaux de l'attelage. Il a été emporte de
suite, et malgré mes questions il m'a été impossible de
savoir de ses nouvelles : les chutes sont si fréquentes que
personne n'a l'air d'y faire attention.
<i Je viens d'assister ici à Hoimioiitch à un spectacle
aussi imposant que pittoresque : nous arrivions, c'était
au coucher du soleil; le désert empourpré par ses derniers
rayons s'étend aride, nu, et infini jusqu'aux extrêmes
limites où la terre se confond avec le ciel; nos
gens avaient dressé notre camp autour de nos tentes
préparées à l'avance; nos charrettes placées en longue
file avaient l'air avec leurs roues énormes, l'étroitesse et
la forme demi-circulaire de leurs capotes, de caissons
d'artillerie rangés en bataille
;
quelques chameaux accroupis
ruminaient les jambes repliées et le cou allongé
en avant à raz de terre comme de gigantesques limaçons
;
nos chevaux entravés erraient {,à et là avec un
1. Plante de la famille des crassula.
bruit de fers ' à la recherche de quelques touffes d'herbe ;
au loin s'étendaient semblables à des champignons une
foule de petites tentes pointues, à pans coupés, carrées
par le haut, auxquelles semblaient commander les nôtres
avec leurs flammes nationales et leurs vastes chapiteaux.
C'est que Homoutch est une des capitales du désert, un
lieu d'arrêt pour les caravanes, et que les pasteurs y affluent
sans cesse de tous les points du Gobi pour y faire
des échanges avec les marchands chinois ou sibériens.
Quoiqu'il n'y ait pa.s d'autres habitations que des tentes
à Homoutch, on rencontre sur ce point une lamaserie
assez vaste, entourée de pyramides funéraires et défendue
par une muraille (voy. p. 333).
« Une foule considérable nous entoura dès que nous
eûmes mis pied à terre : nous voulions visiter avant la
fin du jour la lamaserie située à quelques centaines de
mètres au nord de notre campement. A mesure que nous
avancions, la foule se séparait pour nous livrer passage,
et chacun croisant respectueusement ses mains sur son
front faisait une génuflexion en nous saluant du mot
mcndou ^. Ces hommages qui nous étaient rendus
avaient quelque chose de plus patriarcal, de plus digne,
que le salut chinois ' accompagné de la kyrielle de compliments
obligés, et des perpétuels branlements de tête
qui les font ressembler aux magots qu'ils fabriquent
pour l'exportation européenne. Un lama en robe et bonnet
jaune à pompon rouge vint nous ouvrir les portes
de la lamaserie, et nous servit de guide pour en visiter
les bâtiments qui se composent d'un temple d'architecture
mongole accompagné de plusieurs pagodes chinoises
moins ornées et d'une forme plus écrasée. Rien de tout
cela n'est très-curieux et n'approche comme grandiose
et comme luxe des temples de Pékin. Les pyramides
funéraires qui bordent régulièrement l'enceinte donnent
seules un aspect bizarre à cet ensemble de constructions
; un escalier pratiqué dans leur intérieur mène à
une chambre souterraine contenant des ossements humains
sur lesquels sont gravées en rouge des sentences
mystiques. Homoutch est un lieu renommé pour la sanctification
des morts, Bouddha passant pour en visiter
souvent la lamaserie dans ses pérégrinations mystérieuses
; aussi les Tartares riches obtiennent-ils des lamas,
moyennant des redevances annuelles considérables,
la promesse d'y recevoir la sépulture. La lamaserie
d'Homoutch, construite tout entière, murailles, pyramides
et pagodes en briques enduites d'un vernis blanc
qui a l'éclat et le poli du marbre, se détache avec vigueur
sur l'horizon comme une blanche et fantastique
apparition, réjouissant et reposant les yeux du voyageur
fatigué des teintes sombres du désert. Notre visite faite
et après avoir récompensé notre guide lama, nous nous
sommes acheminés vers nos tentes jjour goûter un repos
que nous avions bien mérité. Le tintement des clochettes
annonçait l'approche de notre caravane de ba-
1
Les entraves dont se senent les Mongols sont des chaînes de fer.
2. Memiou est un souhait de bienvenue.
3. I-es Chinois saluent en portant les deux poings fermés à hauteur
du menton.