LE TOUR DU MONDE 1864 viaje a españa
I310 LE TOUR DU MOXnF.« Les bâtiments de la mission catholique sont immenses; une semaine auparavant, le gouvernement chinoisles avait concédt's aux lazaristes de Suan-liou, et ilest tout naturel que les bons Pères aient voulu nous entémoigner leur reconnaissance.« C'est un ancien jialais faisant partie du domaineimpérial ; on pourrait y loger facilement cinq centspersonnes.a On y trouve de vastes cours, de grands parcs plantésde beaux arbres ; tout cela pour l'usage de deux missionnairesfrançais cl de leurs néophytes chinois.« Il n'est pas douteux que cette mission ne prenne unjour beaucoup d'importance.« En attendant, rinslallatioji y avait été rapide, grâceà l'incessante activité des missionnaires ; les princijiauxappartements étaient déjà tajùssés de riches papiers européenset garnis de meubles confortables.« On nous a désigné tout un corps de bâtiments avecun vaste jardin pour nos appartements privés, et c'estdans la grande .salle de réceptiou qu'on nous a offert undîner ou j)lutôt un banquet somptueux." La table à manger, ornée de fleurs et de surtoutsen carton doré, est entourée de superbes paravents chinois.« Le maître d'hôtel de sir Frederick Bruce, qu'il aeu l'heureuse idée d'emmener avec lui, nous a préparéun vrai repas à l'européenne : service élégant en vaisselleplate, vins de toute espèce : bordeaux, xérès, Champagne; rôtis, gibiers, légumes, truites du Wcii-lio,entremets sucrés. Le cuisinier chinois s'est surpassé, eta voulu nous ])rouver une fois de plus son talent d'imitation.K C'est une chose remarquable que la perfection aveclaquelle les Chinois s'assimilent eu peu de temps tousles secrets de l'art culinaire ;— ces gens-là sont nés cuisiniers,aurait dit lirillat-iSavarin.« Une seule chose dans notre repas a conservé la physionomieindigène, c'est le pain. 11 provient d'un boulangermahométan en réputation dans la ville ; il estIrès-blanc, a le goiJt de beurre et de lait, et est pétri enforme d'oreille comme les pains allemands.« C'est le meilleur que j'aie mangé eu Chine; à Pékinest lourd et indigeste, parce qu'on le fait sans levure;ilil est digne en tout point des pâtisseries à la graisse,qu'on retrouve partout.1 La conversation n'a pas été vive pendant le repas ;nous sommes tous fatigués du long trajet de la journée;cependant, j'écoute avec curiosité une discussion entrele pro-vicaire de Mongolie et le chef de la missionlazariste au sujet de l'exorcisme du démon jiar l'eaubénite.« Il parait que l'ennemi du genre humain s'occupetout sj)écialement de la Chine pour y tourmenter nosmissionnaires; car aucun d'eux ne semble mettre endoute sa jiarticipation dans les sortilèges des idolâtres.«t Nous re|)artons ce matin de Suan-lioa-fou où nousavons jiassé une excellente nuit. »Sunii-liiiii-piu est une ville d'origine assez ancienne,qui a été pendant quelque temps, sous la dynastie mongole,la capitale du nord de la Chine.Elle est maintenant bien déchue de son importanceet compte à j)eine 80 000 habitants.Située au milieu d'une plaine fertile, arroséj par debelles eaux, et bornée à l'horizon par des collines pittoresqueset hoisées, cette ville est en outre régulièrementbâtie, largement percée et remarquablemenipropre j)0ur une cité chinoise.Toutefois le commerce ne jiarait pas y être florissant,el malgré la foule qui s'était portée à la rencontre desvoyageurs, les rues présentent un aspect désert et sontordinairement silencieuses; on peut com])arer Suan-housous ce rapjiort aux anciennes villes de parlements, enFrance, qui ont perdu par la centralisation leur importancepolitique et qui ne l'ont pas rem])lacéeparle mouvementindustriel et commercial.Deux choses sont remarquables à Suan-lioa-fou : lesmusulmans chinois el les Mongols.Les musulmans appelés hon-hocï sont très-nombreuxdans le nord-ouest de la Cliine ; ils sont même en majoritédans certaines localités des provinces du Kan-souet du Chcn-si.Originaires du Korfiijour, dans le Turkestan oriental,ils ont formé au neuvième siècle la garde mercenairedes empereurs chinois.Ils se sont multijiliés par les mariages, el leur race aperdu peu k peu son caractère particulier par le mélangeavec le sang chinois; maintenant rien ne les distinguede la race jaune : leur nez est devenu épaté, leurs yeuxse sont bridés et les pommettes de leurs joues sont saillantes.Ils n'ont conservé fidèlement que leur religion ;encore, aucun d'eux ne sait-il lire l'arabe ; il n'y a queles plus instruits de leurs prêtres qui soient en état d'épelerle Coran.Ils portent ordinairement une calotte bleue commesigne distinctif et s'abstiennent de porc et de liqueursfortes (voy. p. 312).Ces musulm.-ns chinois ont conservé une énergie individuelleplus grande que celle des sectateurs deBouddha.Les insurrections partielles qui se sont produites pendantces dernières années dans le nord de la Chine, celledu Nénuphar blanc entre autres, les ont eus pour chefsetpour ardents promoteurs.Dans le sud, où on n'en rencontre qu'un petit nombreet où la tradition les fait venir de l'Inde et de la Persesous la dynastie des empereurs Tong, il faut peut-êtreattribuer à leur influence dans les conseils des Tu'i-piiifile monothéisme qu'afliche dans tontes ses proclamationsle chef des révoltés.Ils jouissent d'une grande liberté religieuse qu'ils nese sont jamais laissé contester et .qu'ils doivent auxsages précautions que leurs mollahs ont prises de ne pass'attaquer au pouvoir de l'empereur el des mandarins.Il est bon de remarquera ce sujet que si la communautéchrétienne en Chine, si j)uissanle au siècle deLouis XIV, a subi d'afl'reusus persécutions, elle l'a dû il
LE TOUR DU MONDE.la lutte des diffri-enls ordres religieux, et à l'esprit d'empiétementqui gouvernait alors les missions catholiques.Les hoei-hoei sont au nombre de 500 000 environdans le Céleste-Empire, d'après le dernier recensement.Ils ont des mosquées dans toutes les grandes villes : àCanton, on trouve le Kouang-t'ah ou pagode brillante,au pied de laquelle est une mosquée élevée il y a milleans, mais c'est surtout Hniuj-tclicou qui est le centre dumahométisme en Chine.A Suaii-hoa-fim, on commence à rencontrer des caravanesde Mongols : ils campent à l'intérieur de la villedans de grands enclos réservés, où s'établit de suite unmarché de revendeurs chinois qui les volent tant qu'ilspeuvent. Ces Mongols apportent des fourrures, desviandes et du gibier qu'ils échangent à grande perlecontre le rebut des marchandises du pays.Le 22 mai, à huit heures et demie du matin, la cavalcade,à laquelle s'était joint le vénérable pro-vicaire deMongolie, traversait les faubourgs de la ville.Au nord-ouest de Suan-hoa, en dehors de l'enceintemurée, la route passe au milieu de l'ancien parc du palaisimpérial; comme il fait encore partie du domaine del'empereur actuel, on l'arespecté et on ne l'a pas renduà la culture ; on y voit des gazons verts entourés de massifsd'arbres centenaires ; des constructions de toute espèce,délabrées, mais rendues plus pittoresques encorepar la mousse et les plantes grimpantes qui les recouvrent; des lacs ,des rivières, des cascades, couverts desplantes aquatiques les plus variées ; nénuphars jaunes,nymphœas blancs et rouges, nélumbos, dont la fleur enforme de coupe est d'un bleu d'azur avec des étaminessemblables à des papillons qui volent; sur des rocaillesartificielles, des statues de bons, de tigres, toutes noiresde vétusté, et des balustrades en marbre blanc autourdesquelles s'enroulent des guirlandes de lierre. Il y acinq cents ans que ce beau parc a été planté, et depuisce temps la nature, qui en est restée la seule maîtresse,l'a revêtu de toutes ses magnificences que ne sauraitimiter la main des hommes.Ces futaies séculaires sont formées d'essences d'arbresparticuliers au nord de la Chine : on y remarquedes pnpins à troncs rouges, dont l'écorce semblable'à lapeau des serpents forme des losanges ,écailleux, descèdres gigantesques de la même espèce que ceux de lasépulture des Mings, des robiniers, des saules pleureurset des peupliers dont le feuillage jaune et transparentressort sur les masses sombres des arbres verts.Au-dessus de tous ces grands arbres s'élève commeune immense colonne le pin Pei-go-song, au feuillageélégant et découpé, dont le tronc et les branches sontd'un blanc d'argent éclatant.Les Chinois prétendent que quelques-uns de ces pinsont plus de deux mille ans ; son bois passe pour incorruptibleet l'arbre lui-même serait impérissable.Le parc impérial est très-vaste; il fallut près d'uneheure pour le traverser; autour de son enceinte, on remarquedes sépultures disséminées çà. et là dans la campagne: ce sont des centres demi-circulaires devantlesquels sont rangés les cercueils recouverts d'un peu deterre et formant de légers monticules (nulle part, enChine, on ne creuse de fosses pour enterrer les morts).Ces sépultures, qui servent à toute une famille, sont facilementreconnaissables aux arbres alignés derrièrechaque tombeau.La route se continue ensuite dans une belle vallée quirelie Suan-hoa-fou à Tchang-kia-keou ou Kalyan.A gauche, on côtoie des rochers au pied desquels estle lit d'un torrent, où il ne reste de l'eau que dans descavités peuplées de tortues.Peu à peu de grandes dunes de sable succèdent auxrochers, et le passage devient très-dilficile: les chevauxet les mulets n'avancent qu'à grand'peine au milieu dece terrain où ils enfoncent à chaque pas ; la chaleur estétouflante, et l'air respirable est plein d'une poussièreépaisse ; la route tracée se perd au milieu de ces sableset fait place à une suite interminable de petites collinesmouvantes.« Nous sommes arrivés à onze heures à la station deJulin, mourants de soif et suffoqués par la chaleur;aussi l'aspect de l'auberge, avec sa cour plantée d'arbreset le tapis vert qui l'entoure, nous a fait pousser à tousdes exclamations de joie, lorscpi'à un détour du cheminnous l'avons aperçue coquettement assise au fond dela vallée.« Cependant, la première réception qui m'y a étéfaite n'était pas rassurante : une énorme chienne deMongolie s'est précipitée de mon côté en aboyant avecfureur, comme si elle voulait me dévorer. C'était à mespauvres petits chiens japonais, réfugiés derrière moi,que cette affreuse bête en voulait ;enfin, son maître, lepropriétaire de l'auberge, l'a fait rentrer dans le devoiravec un gros bâton.« Après avoir déjeuné et fait la sieste, j'ai été voir monennemie qu'on avait attachée : elle venait de mettre bas,ce qui expliquait son inquiétude et sa colère ;quelle superbebête! toute noire, marquée de feu, avec delongs poUs soyeux et frisés! cette race de chiens ressembleun peu à nos chiens des Pyrénées, mais ils ontle museau allongé comme des loups, et l'air très-féroce, iLes voyageurs laissèrent passer la chaleur du jour (lethermomètre était monté à trente et un degrés centigrades)à la station de Jutin d'où ils repartirent seulementà trois heures de l'après-midi.En quittant Jiiliii, on prend ladirection nord-nord-estpour gagner KuUjan située à l'extrémité et au fond de lavallée qui rehe cette ville à Suan-hoa-fou.A mi-chemin on fut rejoint par une partie des gensde la légation française qu'on avait envoyés, trois joursavant le départ de Pékin, avec les charrettes et les provisionsà Kalgan pour y préparer la traversée du désert.Cependant en approchant de la ville on se croisaitavec une foule compacte de voyageurs et de marchands.Kalgan est entourée de cimetières ou plutôt de tombeaux.En Chine, il n'y a pas d'endroits affectés spécialementaux morts, et on se fait enterrer où on veut.On chemine ainsi pendant une demi-heure au moins
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310 LE TOUR DU MOXnF.
« Les bâtiments de la mission catholique sont immenses
; une semaine auparavant, le gouvernement chinois
les avait concédt's aux lazaristes de Suan-liou, et il
est tout naturel que les bons Pères aient voulu nous en
témoigner leur reconnaissance.
« C'est un ancien jialais faisant partie du domaine
impérial ; on pourrait y loger facilement cinq cents
personnes.
a On y trouve de vastes cours, de grands parcs plantés
de beaux arbres ; tout cela pour l'usage de deux missionnaires
français cl de leurs néophytes chinois.
« Il n'est pas douteux que cette mission ne prenne un
jour beaucoup d'importance.
« En attendant, rinslallatioji y avait été rapide, grâce
à l'incessante activité des missionnaires ; les princijiaux
appartements étaient déjà tajùssés de riches papiers européens
et garnis de meubles confortables.
« On nous a désigné tout un corps de bâtiments avec
un vaste jardin pour nos appartements privés, et c'est
dans la grande .salle de réceptiou qu'on nous a offert un
dîner ou j)lutôt un banquet somptueux.
" La table à manger, ornée de fleurs et de surtouts
en carton doré, est entourée de superbes paravents chinois.
« Le maître d'hôtel de sir Frederick Bruce, qu'il a
eu l'heureuse idée d'emmener avec lui, nous a préparé
un vrai repas à l'européenne : service élégant en vaisselle
plate, vins de toute espèce : bordeaux, xérès, Champagne
; rôtis, gibiers, légumes, truites du Wcii-lio,
entremets sucrés. Le cuisinier chinois s'est surpassé, et
a voulu nous ])rouver une fois de plus son talent d'imitation.
K C'est une chose remarquable que la perfection avec
laquelle les Chinois s'assimilent eu peu de temps tous
les secrets de l'art culinaire ;
— ces gens-là sont nés cuisiniers,
aurait dit lirillat-iSavarin.
« Une seule chose dans notre repas a conservé la physionomie
indigène, c'est le pain. 11 provient d'un boulanger
mahométan en réputation dans la ville ; il est
Irès-blanc, a le goiJt de beurre et de lait, et est pétri en
forme d'oreille comme les pains allemands.
« C'est le meilleur que j'aie mangé eu Chine; à Pékin
est lourd et indigeste, parce qu'on le fait sans levure;
il
il est digne en tout point des pâtisseries à la graisse,
qu'on retrouve partout.
1 La conversation n'a pas été vive pendant le repas ;
nous sommes tous fatigués du long trajet de la journée
;
cependant, j'écoute avec curiosité une discussion entre
le pro-vicaire de Mongolie et le chef de la mission
lazariste au sujet de l'exorcisme du démon jiar l'eau
bénite.
« Il parait que l'ennemi du genre humain s'occupe
tout sj)écialement de la Chine pour y tourmenter nos
missionnaires; car aucun d'eux ne semble mettre en
doute sa jiarticipation dans les sortilèges des idolâtres.
«t Nous re|)artons ce matin de Suan-lioa-fou où nous
avons jiassé une excellente nuit. »
Sunii-liiiii-piu est une ville d'origine assez ancienne,
qui a été pendant quelque temps, sous la dynastie mongole,
la capitale du nord de la Chine.
Elle est maintenant bien déchue de son importance
et compte à j)eine 80 000 habitants.
Située au milieu d'une plaine fertile, arroséj par de
belles eaux, et bornée à l'horizon par des collines pittoresques
et hoisées, cette ville est en outre régulièrement
bâtie, largement percée et remarquablemeni
propre j)0ur une cité chinoise.
Toutefois le commerce ne jiarait pas y être florissant,
el malgré la foule qui s'était portée à la rencontre des
voyageurs, les rues présentent un aspect désert et sont
ordinairement silencieuses; on peut com])arer Suan-hou
sous ce rapjiort aux anciennes villes de parlements, en
France, qui ont perdu par la centralisation leur importance
politique et qui ne l'ont pas rem])lacéeparle mouvement
industriel et commercial.
Deux choses sont remarquables à Suan-lioa-fou : les
musulmans chinois el les Mongols.
Les musulmans appelés hon-hocï sont très-nombreux
dans le nord-ouest de la Cliine ; ils sont même en majorité
dans certaines localités des provinces du Kan-sou
et du Chcn-si.
Originaires du Korfiijour, dans le Turkestan oriental,
ils ont formé au neuvième siècle la garde mercenaire
des empereurs chinois.
Ils se sont multijiliés par les mariages, el leur race a
perdu peu k peu son caractère particulier par le mélange
avec le sang chinois; maintenant rien ne les distingue
de la race jaune : leur nez est devenu épaté, leurs yeux
se sont bridés et les pommettes de leurs joues sont saillantes.
Ils n'ont conservé fidèlement que leur religion ;
encore, aucun d'eux ne sait-il lire l'arabe ; il n'y a que
les plus instruits de leurs prêtres qui soient en état d'épeler
le Coran.
Ils portent ordinairement une calotte bleue comme
signe distinctif et s'abstiennent de porc et de liqueurs
fortes (voy. p. 312).
Ces musulm.-ns chinois ont conservé une énergie individuelle
plus grande que celle des sectateurs de
Bouddha.
Les insurrections partielles qui se sont produites pendant
ces dernières années dans le nord de la Chine, celle
du Nénuphar blanc entre autres, les ont eus pour chefs
et
pour ardents promoteurs.
Dans le sud, où on n'en rencontre qu'un petit nombre
et où la tradition les fait venir de l'Inde et de la Perse
sous la dynastie des empereurs Tong, il faut peut-être
attribuer à leur influence dans les conseils des Tu'i-piiifi
le monothéisme qu'afliche dans tontes ses proclamations
le chef des révoltés.
Ils jouissent d'une grande liberté religieuse qu'ils ne
se sont jamais laissé contester et .qu'ils doivent aux
sages précautions que leurs mollahs ont prises de ne pas
s'attaquer au pouvoir de l'empereur el des mandarins.
Il est bon de remarquera ce sujet que si la communauté
chrétienne en Chine, si j)uissanle au siècle de
Louis XIV, a subi d'afl'reusus persécutions, elle l'a dû il