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LE TOUR DU MONDE. 307
un chaos de roches entassées les unes sur les autres, que
bornent à l'horizon les grandes plaines arides.
Par leur altitude, ces montagnes de Tchn-tao mériteraient
plutôt le nom de collines ; mais les effets du feu
volcanique qui les a soulevées y sont si visibles, qu'elles
sont restées dans la mémoire des voyageurs comme le
type d'un des bouleversements les plus formidables de
la nature.
Dès qu'on eut franchi la porte de Sin-young-couan,
on trouva une route moins difficile ; les rochers devenaient
plus rares et laissaient voir un peu de terre végétale
; des herbes vertes et quelques arbustes égayaient
le
paysage qui perdait peu h peu son aspect sauvage et
désolé.
Il est remarquable qu'à cette époque de l'année, au
mois de mai, cette grande route du nord couverte en automne
de caravanes, de voitures, de cavaliers et même
de portefaix qui transportent le thé en briques aux frontières
de Mongolie , soit si peu fréquentée qu'on y rencontre
à peine pendant toute une journée quelques charrettes
de marchands ambulants ou quelques ânes servant
de montures aux misérables habitants du pays.
Quelques instants avant d'arriver à Tcha-tao, qui
n'est qu'à une demi-heure du défilé, la route se bifurque
pour correspondre à deux entrées de la ville et à ses
deux rues principales.
Tcha-tao est une petite ville de deux <à trois mille
âmes, d'un aspect peu animé, et bien moins peuplée en
raison de sa grandeur que ne le sont orilinairement les
villes chinoises.
En arrivant à l'hôtellerie, qui est à l'extrémité de la
ville, les voyageurs eurent le courage, malgré les fatigues
qu'ils venaient de supporter, d'aller visiter les remparts,
les tours crénelées et les portions de courtines qui lui
donnent un aspect remarquable de ville fortifiée.
Cette ancienne enceinte de Tcha-tao, bâtie en pierres
de la montagne comme ses maisons , est en partie détruite
par l'action du temps et des hommes; les fortifications
antérieures à l'établissement de la dynastie
mandchoue sont complètement aliandonnées.
Les nomades en conquérant la Chine, ont été conquis
à leur tour par la eivihsation chinoise, et les souverains
actuels, suzerains de la Mandchourie et de la Mongolie
n'ont plus rien à craindre des Barbares du Nord.
Les voyageurs partirent de Tcha-tao le lendemain
20 mai à sLx heures et demie du matin ; ils traversèrent
dans la direction ouest-nord-ouest une vallée assez déserte,
d'une grande étendue et plantée c'a. et là de rares
bouleaux.
Il faisait très-froid : le thermomètre était descendu à
quatre degrés centigrades au-dessous de zéro ; le vent du
nord souifiait avec fureur et la poussière de sable, comme
la houle en mer, précédait les rafales.
Avant d'arriver à Houai-lai où l'on devait déjeuner, on
traversa sur un pont escarpé une petite rivière torrentueuse
;
la chaussée qui précède ce pont est à moitié détruite,
et il fallut littéralement monter à l'assaut pour
franchir ce passage difficile.
a Nous avons déjeuné assez confortablement à Houailai,
et nous y avons reçu les hommages d'un mandarin
militaire en tournée dans la province.
« Ce petit homme après nous avoir adressé d'une voix
aigre les trois questions que fait toujours un Chinois bien
élevé : « Quel âge avez-vous? comment vous appelezt
vous? où allez-vous? n nous a fait assister à une scène
de reconnaissance avec notre mandarin d'escorte , natif
comme lui de la province de Hou-pè.
« Ils se sont abordés en sa saluant avec les deux
poings fermés à hauteur du menton, puis ils se sont pris
la main droite avec la main gauche, puis enfin se sont
jetés avec effusion dans les bras l'un de l'autre, en se
donnant à tour de rôle des baisers de théâtre : après.
quoi ils se sont disputés pendant un quart d'heure pour
savoir lequel passerait devant l'autre.
K Cet officier avait au moment de notre arrivée la
queue enroulée autour de la tète ainsi qu'il convient à
un voyageur, mais , comme il est irrespectueux de se
présenter ainsi devant des étrangers, il s'est empressé à
notre vue de la rabattre sur son dos. Que de cérémonies
exige l'étiquette chinoise !
et J'ai remarqué aussi pendu à sa ceinture un morceau
de linge d'une propreté plus que douteuse : il paraît que
c'est sa serviette de voyage. Comme on ne vous en fournit
pas dans les auberges, il est bon de se précautionner.
« A ce propos, je noterai de nouveau qu'il est impossible
de se procurer de l'eau froide : les Chinois n'en
comprennent pas l'usage, et chaque fois que j'en demande,
on m'apporte de l'eau bouillante. >
Houai-lai est une petite ville murée de cinq mille
âmes, monotone comme le paysage qui l'entoure; en la
quittant, on continue à traverser la même vallée aride.
a Quelque temps avant d'arriver à So-tchen, nous
avons eu un orage cpii a amené des effets de lumière
bien curieux ; l'horizon était couvert de nuages transparents
et lumineux, et la poussière jaune apportée par le
vent donnait à tout le paysage un aspect bleuâtre que je
n'ai jamais vu nulle part.
« On aurait dit que la nature était éclairée par des
feux de Bengale !
a Ne serait-ce pas le mélange du vert des arbres et
des prés avec le jaune du sable qui donnait cette teinte
bleue à tout ce qui nous entourait, et même à nos habits
et à nos figures? »
So-tchen, petite ville de quatre mille âmes, est située
sur un coteau qui domine la vallée.
Il fallut traverser la ville pour arriver à l'auberge
placée près d'une muraille qui divise So-tchen en deux
parlies du nord au sud.
On y remarque plusieurs tours en ruine, et une série
de remparts qui annoncent une ancienne ville forte.
Ce fut à So-tchen que les voyageurs passèrent la nuit.
On en partit le lendemain de bonne heure, car on
avait à parcourir cinquante-sept kilomètres pour arriver
à la grande ville de S\ian-hoa-fou, où on devait prendre
quelque repos.