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306 LE TOUR DU MONDE.
En approchant des montagnes qu'on voit (b'jà ?e dessiner
à l'horizon, la route devient de plus en plus aride
et pierreuse.
Une demi-heure avant d'arriver à .\aii-kao, les voyageurs
furent assaillis par des coups de vent et une pluie
glaciale d'autant j)lus incommodes que la route, encombrée
de pierres roulées par les torrents, est presque
impraticaible.
Naii-kao, où on arriva à quatre heures de l'aprèsmidi,
est située au pied des montagnes, au milieu d'un
terrain excessivement tourmenté : c'est un amoncellement
de pierres d'obsidienne et de talc, violettes, vertes,
oranges, formant un elïet extraordinaire; çà et là quelques
touffes de hoiLx et de genévrier percent seules au
milieu des rochers.
La ville, peu peuplée et très-pauvre, se compose d'une
rue principale, entourée de maisons éparses ; la campagne,
d'une aridité extrême, n'est pas cultivée.
Les habitants de Nan-kao ne subsistent que du trafic
qu'ils peuvent faire avec les voyageurs venant du Nord
qui s'y arrêtent généralement au sortir des défilés de la
montagne.
On n'y trouve que très-peu de ressources et de misérables
auberges ; cependant, les voyageurs y passèrent
une nuit tranquille.
Le lendemain 19 mai, à sept heures et demie du matin,
on s'engagea dans les montagnes, par une gorge
naturelle qui est un lit de torrent à sec rempli de rochers.
A première vue il semble imjiossible qu'on puisse
passer au milieu de ce chaos naturel, portant partout
l'empreinte du feu volcanique (jui souleva cette région
dans les premiers âges du monde.
On y remarque les débris d'une ancienne chaussée
vallée, qui a été détruite sous la dynastie des Mini/s pour
rendre plus difficile aux cavaliers nomades du désert
mongols et mandchoux le passage du défilé.
La natui-e avait merveilleusement disposé ces gorges
pour servir de défense aux grandes plaines du nord de
la Chine.
Mme de Bourboulon était en litière; mais, malgré la
sûreté du pied des mules qui la ]iortaient, elle avait à subir
d'aflVeux cahots.
Dans un des passages les plus étroits, où on rencontra
une charrette chinoise qui barrait le chemin, elle mil
heureusement pied à terre, car une des mules cassa im
brancard de la litière et s'emporta.
Elle dût continuer la route à cheval.
A mesure qu'on s'élevait dans la montagne, le vent du
nord soufflait avec violence, balayant devant lui des tourbillons
de poussière d'un sable lin apporté du désert.
Le défilé se rétrécissait de ])lus en plus : dans une
gorge étroite, bordée de chaque oôlé de rochers énormes
et h pic, le typhon s'engouiïrant avec une impétuosité irrésistible,
tout le monde descendit de cheval, et il fallut
pousser en avant et à force de bras les animaux (jui ne
voulaient plus avancer.
On était aveuglé p;ir la poussière et on marchait ii
l'aventure, au lisquc de se jeter dans les précipices.
Enfin la gorge s'élargit, et on arriva sans accident à
la station de Sin-ijoung-anian, située au milieu des montagnes.
C'est un \illagc comjiosé de ijiielques maisons, avec un
peu de végétation, dis granr's arbres et de l'eau.
On y déjeuna et on s'y repoia dans une petite auberge
très-propre, avec une jolie cour plantée d'arbres
verts.
Les hauteurs qui dominent Sm-yoi; ^ij-fOHon présentent
un phénomène digne d'admiration : lu montagne
est percée d'une série de portails naturels avec des
voûtes, des arceaux et des colonnades, imitant, à s'y méprendre,
l'architecture d'un palais de géants.
On ne peut attribuer qu'à un caprice de la nature cette
œuvre grandiose, car aucune main humaine n'aurait pu
travailler le granit indestructible de ces masses primitives.
A partir de Sin-young-couan, le défilé s'élève sensiblement,
et on arrive au point culminant de la montagne
par une chaussée presque à pic formée de dalles de
blocs granitiques taillés dans le roc vif.
Celte partie de la roule, qui parait plus moderne quicelle
qu'on avait traversée avant Sin-young-couan , est
moins mauvaise et moins encombrée de rochers.
Sur cette crête est une porte fortifiée défendant le passage,
el reliée des deux côtés par une muraille de six
mètres de haut qui couronne les hauteurs; deux autres
remjiarts rejoignent celui-ci et commandent tous les
points culminants du défilé.
Ces murailles sont en pierres brutes, crénelées et percées
de meurtrières; de distance en distance des tours
carrées, dont la plupart sont en ruine, s'élèvent au-dessus
des remparts.
C'étaient, avant l'invasion des IMandchoux. des posio;-
militaires se reliant les uns aux autres et surveillant tous
les passages.
Ce système de fortifications qui commence au sortir de
Nan-kao, se continue jusqu'aux abords de la grande
muraille, dont les remparts et les tours du défilé de
Tcha-lao ne sont qu'une ramification.
Toutes ces constructions, maintenant en ruine et akindonnées,
étaient regardées par les empereurs des dynasties
chinoises comme la meilleure barrière à opposer aux
invasions des Barbares.
Cependant, au treizième siècle, elles avaient laissi^
passer les Mongols sous la conduite des fils de Gengis-
Khan; elles ne protégèrent pas mieux, au dix-huitième
siècle, les empereurs Mings contre l'invasion des Mandchoux,
et les soldats du génie, qui accompagnaient le
ministre de France, s'amusèrent à escalader ces vieux
remparts, prouvant ainsi qu'ils ne défendraient j)as non
plus la Chine contre les Russes s'ils venaient l'attaquer
par le nord.
Pi-ès de la porte du défilé, (pii
est ornée de statues de
lions ailés, quelques-uns des voyageurs jiurent monter,
par un escalier formé de fragments de rochers énormes,
jusqu'à la cime de la montagne. De ce point , la vue est
magnifique : elle plane de cinq cents mètres de haut sur