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LE TOUR DU MONDE. 303
par les clochetons et les coupoles d'un vaste édifice en
marbre blanc qui domine tout le paysage; les tuiles
dorées de tous ces monuments scintillent au soleil en
opposition avec la sombre verdure des arbres.
<r Mais nous sommes bienlôt rappelés à la réalité par
l'agitation inusitée de nos chevaux.
« Au moment où la cavalcade débouche sur la chaussée
bordée de statues , nous ne sommes plus maîtres de nos
montures qui bronchent et qui renâclent à la vue de
tous ces monstres grimaçants; quelques-uns de nous sont
emportés dans la plaine, d'autres sont forcés de descendre
et de conduire leurs chevaux par la bride ; les plus heureux
passent en leur couvrant les yeux.
I C'est qu'on ne peut rien voir de plus saisissant que ces
lions, ces tigres, ces éléphants, ces rhinocéros, ces buffles,
cinq ou six fois plus grands que nature, couchés ou
debout sur de larges piédestaux, ouvrant leurs gueules
menaçantes peintes en couleur de sang, et qui semblent
rouler dans leurs orbites de pierre l'émail blanc de leurs
yeux.
«t Vus un à un ils sont plutôt grotesques, comme toutes
les sculptures chinoises, mais l'ensemble en est effrayant.
<t A mesure que nous descendons dans le fond de la
vallée, aux bêtes féroces succèdent les animaux (Joniestiques,
serviteurs fidèles de l'homme dont ils annoncent
la présence, les chevaux, les chameaux, les bœufs, puis
enfin, à quelques pas de l'arc de triomphe qui termine
cette avenue magique, les statues des sages, des grands
mandarins, et des empereurs de la dynastie des Mings
dont les restes sont inhumés dans les caveaux des temples
funéraires que nous apercevons sur la colline devant
nous.
o
Ce dernier arc de triomphe rappelle comme proportion
, et comme forme l'arc de triomphe de l'Etoile à
Paris : il est percé sur ses quatre faces de portes monumentales
et cintrées; la voûte en est couverte de sculptures
rappelant des sujets mythologiques.
" Au milieu, oa remarque sur un socle de pierre une
statue gigantesque portant sur son dos un obélisque de
marjire couvert d'inscriptions.
" C'est un monument élevé à la mémoire d'un des ministres
les plus dévoués d'un empereur jVwîgr .- la tortue
est l'emblème funéraire des mandarins de première
classe.
tDe ce point nous commençonsàgravir, pendant cinq
cents mètres environ, une chaussée bordée d'une épaisse
forêt d'arbres séculaires, où s'élèvent de distance en
distance de petites pagodes, et dont des pierres sépulcrales,
débris de quelques tombes détruites par le temps
ou par la main des hommes, encombrent l'approche.
o Enfin nous nous arrêtons devant une enceinte de
murs élevés en pierre blanche qui défend l'entrée de la
sépulture des Mings.
« Pendant que nos Ting-tchais et ceux de la légation anglaise
gravissent la colline et font le tour de l'encemte
murée pour chercher la demeure des gardiens et nous
en faire ou\Tir les portes, nous descendons de cheval,
nous nous asseyons sur un gazon vert à l'ombre des mélèzes
gigantesques ,
et, sur des pierres tumulaires qui
font l'office de tables, nous nous mettons à déjeuner
gaiement.
« vieux empereurs des anciennes dynasties, qui vous
eût dit qu'un jour les barbares du lointain Occident,
dont le nom méprisé arrivait à peine jusqu'à vous, viendraient
troubler la paix de vos mânes avec le cliquetis
de leurs verres et la détonation des bouchons de Champagne
!
«Du reste, tout le paysage a un aspect mélancolique
et saisissant. Celte partie du pays est l'endroit le plus
désert et le moins peuplé que nous ayons vu en Chine.
« Accoutumés à la curiosité des foules qui nous accompagnent
partout, nous sommes agréablement surpris
de cette calme solitude.
« Quelques rares villageois hasardent seuls leur tête
famélique derrière les troncs des vieux arbres pour regarder
avec envie "les pâtés et les poulets de notre déjeuner
rustique.
«Les gardiens ont été bien difficiles à trouver, car
nous avons le temps de déjeuner avant le retour de nos
Ting-lcha'is.
» Enfin, on nous ouvre les portes : le gardien de la première
encemte nous offre le thé, et nous faisons distribuer
de l'argent aux employés de la sépulture impériale
réunis autour de nous.
« En Chine, autant et plus qu'en Europe, c'est là une
tormalité inévitable, et le fameux principe rien pour
rien a dû certainement être inventé dans l'empire du
Milieu.
« Il est vrai que par respect ou pour toute autre cause,
les gardiens se dispensent de nous suivre et nous laissent
parfaitement libres d'aller et de venir à notre gré; c'est
donc un véritable voyage de découvertes que nous
faisons.
« Dès que nous sommes entrés dans l'enceinte sacrée,
nous montons quelques marches et nous nous trouvons
dans une immense cour carrée : les avenues en sont
dallées en marbre blanc veiné de gris, devenu jaunâtre
par la vétusté; au milieu et alentour nous contournons
des pelouses vertes avec des rangées de cyprès et
d'ifs taillés à façon ; cette cour rappelle à s'y méprendre
celle de Versailles, mais sans sa population de statues ;
aux quatre coins sont placés des temples consacrés aux
divinités du ciel et de l'enfer.
Œ Un superbe escalier en marbre, de trente marches,
nous mène à un nouveau carré planté dans le même
style, aussi large, mais moins profond: une épaisse forêt
de cèdres gigantesques l'encadre à droite et à gauche.
Ces arbres, que nous n'avons encore vus nulle paît, font
un effet saisissant avec leur écorce d'un gris presque
blanc et leur feuillage d'un vert tellement sombre, qu'il
en parait noir ;
leurs branches latérales sont si grosses
et étendent si loin leurs panaclies qu'on a été forcé de
les étayer.
« Huit temples à coupoles rondes et superposées suivant
le mode de construction adopté en Chine, mais plus
ornés et plus grands que ceux de la première cour, s'é-