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LE TOUR DU MONDE.
défendue là par un petit poste de tigres impériaux, et
on entra dans le faubourg du nord.
Sauf cette manifestation inopportune des serviteurs
chinois de la légation de France (pour les Chinois, il n'y
a pas de fête possible sans feux d'artifices), aucun honneur
officiel ne fut rendu aux voyageurs, et ils quittèrent
la ville comme de simples particulieis.
Cet incident moitié tragique, moitié comique, quiavait
signalé le moment du départ, eût été d'un sinistre présage
pour les superstitieux Chinois; il n'en aurait pas
fallu tant pour arrêter un mandarin.
La gi'ande route de Mongolie qu'où suit au sortir de
la Porte de la Victoire est bordée de chaque côté de
deux rangées de maisons et de petites pagodes où des
bonzes sollicitent les aumônes des fidèles, à grand renfort
de cloches et.de tamtams.
Des robiuiers, des saules et des jujubiers sont plantés
entourent Pékin et dont le sol, composé d'un tuf calcaire
recouvert à peine d'une légère couche de terre végétale,
est peu favorable à la culture.
La chaussée, assez bien entretenue au sortir de la
ville, devenait très-mauvaise : de grandes dalles de granit
oolithique usées par les eaux et par le frottement des
lourdes voitures de pierre qui viennent à Pékin, y forment
des escaliers abrupts qui font trébucher les chevaux
à chaque pas.
Du reste, le temps était magnifique, l'air frais, l'atmosphère
très-pure, et peu après on retrou\a un sol
bien cultivé , comme il l'est en général dans toute la
province du Pe-lche-li. Ici l'agriculture, comme dans
tout le Céleste-Empire, est la profession la plus honorable.
Les Européens ont pu voir le prince Kong, régent
de l'empire, se rendre en grande pompe ,
vers la fin de
mars 1861, au temple de l'Agriculture situé à l'extrémité
de la vdle chinoise à Pékin, et là, après avoir offert
des deux côtés, une foule de petites guinguettes bariolées
en rouge, en vert et en bleu et surmontées des afliches
les plus engageantes y débitent aux passants le thé,
un sacrifice au dieu protecteur des hommes, qui les encourage
au travail en leur donnant tous les
biens de la
l'eau-de-vie de sorgho, les œufs durs, les poissons frits et
fumés, les gâteaux à la graisse, les fruits confits au sucre
et au sel, et surtout des tranches de pastèques. On y
rencontre aussi, comme partout, des preneurs de rats.
Des caravanes de chameaux dirigées par des Mongols
et des Turcomans, des Thibétains aux figures sauvages,
aux accoutrements bizarres y campent , entourés de
curieux et d'une foule de petits marchands ambulants
qui cherchent à faire quelques bonnes affaires aux dépens
de la naïveté des barbares; ceux-ci y étalent leurs
ballots de marchandises ausoleil pour les faire sécher, et
y l'éparent leurs vêtements avariés par leur longue route
dans le désert, afin de faire bonne mine à leur prochaine
entrée dans la capitale.
Des troupes de mulets avec leurs clochettes y apportent
les denrées des provinces du sud-ouest, le sel du
Tle-choueii, le ihé de Hou-pc.
Quelquefois d'immenses troupeaux de bêtes à cornes,
de chevaux et de moutons envahissent les larges avenues
sous la conduite des habiles cavaliers du Tchakar qui les
rassemblent en poussant des cris gutturaux et à grands
coups de lanière; ces cavaliers, qui portent un uniforme
bleu, font partie de la grande organisation militaire
appelée le Tchakar, qui relève directement du domaine
privé de l'empereur, dont ils surveillent les pâturages et
les troupeaux sur celte lisière de la Terre des Herbes,
comprise entre la grande muraille, le grand coude du
Hoang-ho et la Mandchourie. Les cavaliers du désert,
Mandchoux ou Mongols, forment la force la plus réelle
et la plus dévouée sur laquelle puisse compter le Fils
du ciel; au nombre de vingt ou trente mille braves,
mais mal armés et indisciplinés, ils soutinrent, à la
bataille de Pali-kiao, tout le choc de l'armée anglofrançaise,
alors qu'aux premiers coups de canon les milices
chinoises avaient déjà pris la fuite.
Peu à peu, à mesure que les voyageurs traversaient les
faubourgs, la fuule diminuait, les maisons devenaient
plus rares, et ou entrait dans ces immenses plaines qui
terre, diriger lui-même la charrue et tracer plusieurs sillons;
une fuule de grands personnages, les ministres, les
maîtres de cérémonie, les grands officiers de la couronne,
et enfin trois princes de la famille impériale, ainsi qu'une
députation de laboureurs, accompagnaient le représentant
de l'empereur. Aussitôt que le prince Kong eut terminé le
labourage de la parcelle réservée qui était désignée par
une étiquette jaune, et qu'on eut replacé dans leur fourreau
les outils destinés au chef de l'Etat, les trois princes
de la famille impériale, puis les neuf premiers dignitaires
de l'empire conduisirent successivement la charrue
jusqu'à ce que le champ fût labouré en son entier; derrière
eux des mandarins inférieurs ensemencèrent les
sillons ouverts , tandis que les laboureurs recouvraient
avec des râteaux et des rouleaux les germes sacrés confiés
à la terre. Pendant toute la cérémonie, des chœurs
de musique et de symphonie ne cessèrent de se faire
entendre.
Cette inlelhgente protection, cet anoblissement de
l'agriculture ont eu d'immenses résultats : aucun pays
du monde n'est cultivé avec tant de soins et peut-être
avec plus de perfection que la Chine. 11 n'y a pas un
pouce de terrain perdu.
Dans le Pe-tche-li la propriété territoriale étant trèsdlvisée,
les exploitations agricoles se font sur une petite
échelle, mais l'intelligence avec laquelle elles sont dirigées
remédie aux graves inconvénients du morcellement.
On rencontre peu de villages ; en revanche un
grand nombre de petites fermes et de métairies s'élèvent
çà et là ombragées par quelques grands arbres. Les
bâtiments tiennent peu de place, et les paysans sont si
économes du sol qu'ils établissent leurs meules et leurs
gerbes sur les toits de leurs maisons disposés en plateforme.
S'ils ménagent le terrain, Lis ne se ménagent pas la
peine; grâce à l'abondance des bras et au bon marché
de la main-d'œuvre, ils ont pu adopter le mode de culture
par rangées alternatives qui leur permet de ne ja-