LE TOUR DU MONDE 1864 viaje a españa
S86 LE TOUR DU MONDE.les plus inconnus, et l'on trouvera, dans l'ouvrape auquelil travaillait lors de mon passage à Sundang-Lahia,les merveilleux résultats de son courageux amour dela science.Cependant la position de l'explorateur ne tarda pasà devenir encore plus critique, et l'on peut dire qu'iln'échappa à la mort que par un hasard miraculeux. Eneffet, au moment oii, après avoir constaté les désordresque produisait sur lui le milieu dans lequel il se trouvait,il voulut reprendre le chemin des régions plus saines,la tète lui tourna, il s'éloigna autant qu'il le put dugouffre béant ; mais il tomba bientôt sur le sol et restaainsi sans connaissance pendant trois jours et trois nuits,sans être atteint par les ruisseaux de lave et les rochersincandescents qui roulaient le long de la montagne.Des Indiens qui aperçurent par hasard M. PInéra direntaux gens de la plaine qu'ils avaient rencontré lecorps d'un Européen. On soupçonna que c'était le cadavredu docteur; un convoi fut organisépour l'aller chercher. Ledocteur n'était pourtant pas toutà fait mort, mais il ne valait pasbeaucoup mieux. A la suite desjours lorrides et des nuits humides,des milliers de piqûres defourmis et de moustiques, il avaitété atteint d'une de ces fièvresordinairement mortelles àJava. Il fut pendant plusieursjours dans le plus grand danger,et encore la maladie ne cédat-elle,que pour faire place à unétat dont M. Ploëm n'est pas etne sera jamais remis. Le couragescientifique de ce brave homme,dont je pourrais citer d'autresexemples aussi étonnants, est audessusde tout éloge.Parmi les choses curieuses queje vis chez M. Ploèm, je cileraises collections d'animaux rares, soit morts, soit vivants,et entre autres, cinq magnifiques boas. Ces reptilesavaient longtemps vécu dans un grand cabinet attenantà la ciiambre à coucher du docteur, mais, commeils se livraient pendant la nuit à des ébats trop bruyants,il leur (it construire une maisonnette en pierre sèchedans un coin de son jardin. Puis, iin beau jour, il trouvales quatre murs renversés ; les serpents étaient partis.Désolé de la perte irréparable qu'il venait de faire, lebrave docteur se mit à la poursuite de ses fugitifs, dontil ne tarda pas à retrouver l'un, le plus beau de tous ,dans une rizière, sortant par instants de l'eau et fuyantde toute la vigueur des longs anneaux de son corps gigantesque.S'élancer dans la rizière, les jambes nues(car le docteur était sorti en costume de nuit), saisir lercijlile par le bout de la queue et le ramener de force àson domicile, fut pour l'héroïque naturaliste l'afiaire dequelques instants. C'est là que je vis ce splendide ani-Bananier sauvage. — Dessin de M. de Molîns,mal, non pas engourdi et malingre comme ceux de nosménageries, mais vif et bien portant comme un hôtechéri et soigné.M. Ploëm possède aussi un bèo, qui m'amusa beaucouppar son talent de ventriloque. Le béo ou mutek estcertainement un oiseau des plus extraordinaires. Un peuplus gros que le merle d'Europe, noir comme lui etayant aussi le bec et les pattes jaunes, il en diffère cependantpar la forme générale de son corps, l'aspectparticulier de sa tête et surtout par les ouïes en peaujaune qui lui donnent une physionomie étrangère auxoiseaux des pays froids. Mais c'est surtout par son talentd'imitation, supérieur encore h celui du perroquet, quele l)ëo est intéressant. Celui de M. Ploèm, dont la cageest située h. peu de distance de l'écurie et de la bassecour,s'est appliqué à rendre le gloussement des poules,le chant du coq, le roucoulement des tourterelles, et particulièrementle hennissement des chevaux, qu'il imiteavec une perfertion si grande quej'eus beau l'examiner attentivementet suivre du regard les ondulationsde son gosier, le hennissementme paraissaittoujourssortir de l'écurie et non du bec del'oiseau mystificateur.Je ne quitterai pas la résidencede Tjiei-Panas, sans parler dessources d'eau glacée et d'eaupresrpie bouillante qui surgissentdu sol à quelques mètres l'une del'autre, et de la belle collectiond'orchidées arborescentes qui setrouve dans le jardin botaniqueconfié aux soins du docteur, etdans laquelle sont réunies presquetoutes les variétés de cesbelles plantes qui offrent auxnaturalistes un si fécond sujetd'études.Cepsndant il faut repartir ; carnous voulons mettre à exécution notre projet de voirde ))rès les Rassa-Malah (Liquidambar Rassa-INIalah),plus grands arbres du pays de Java.Nous trouvâmes d'abord des plantations de café; puisnous arrivâmes dans des pays plus découverts et nousatteignîmes après une heure et demie de marche les premièresjungles, moins hautes et moins serrées que cellesque nous avions traversées dans notre ascension duSalak, mais qui rendaient encore notre voyage très-pénible.C'était un fouillis de verdure, où le bananier sauvage,avec ses feuilles vert-pâle d'un côté et de l'autretachées de rougo et de brun, se rencontrait en majorité.Nous nagions dans des fiots de plantes de toutes sortes ;nous y admirions surtout les grandes fougères au troncsolide', aux feuilles si gracieuses et si régulières, les grandesfougères qui tiennent à la fois de la fleur par leur1. Nous rencontrâmes sur notre route une cabane, véritalile curiosité,dont tous les gros piliers étaient faits de troncs de fougères
iorme exquise, de l'oiseau par leur belle couleur, et del'arbre par leur taille imposante.Tout à coup le mandour de M. Ploëm, qui nous servaitde guide et qui savait le but de notre excursion,s'arrêta en nous disant :. Voilà!— Voilà quoi? dis-je.— Le premier des grands arbres, monsieur, celuique l'on voit du Maga-Meudong. »Et ilm'indiqua du regard une sorte de four, garnie àson sommet de brancbes et de feuilles, mais que biencertainement je n'aurais jamais pu prendre pour unarbre.i Celui-ci est petit, me dit-il, mais en montant plushaut ces messieurs en verront de bien plus grands. »Et en effet, bien que l'échantillon que nous avions devantles yeux dépassât déjà les limites du vraisemblable,nous reconnûmes, en arrivant aux lisières de l'immenseforêt, que les arbres devenaientde plus en plus gros. Chose remarquablepourtant , ils étaientpresque tous malades; plusieursd'entre eux, noirs dans le haut,étendaient dans les airs leursgrands bras décharnés. L'onm'apprit que le soleil en était laseule cause et que ces vigoureuxvégétaux ne pouvaient pas supporterses rayons.Je ne saurais bien exprimermaintenant, n'ayant plus la réalitédevant les yeux, l'impressionde recueillement que m'inspira lavue de ces colosses, véritables patriarchesdes forêts, témoins sansdoute des anticjues créations etdes époques où la nature étaitencore dans toute la fécondité desa jeunesse , et qui, encore deboutaujourd'hui , m'entouraientde la colonnade de leurs troncs géants et me recouvraientdu feuillage de leurs énormes branches.Le dessin que nous donnons ici représente la fin decette zone de troncs malades et le commencement de laforêt; c'est, à mon sens, un des endroits les plus intéressantsde notre excursion.A ce moment, une pluie fine qui survint fit tomberdes arbres sur nous une multitude de sangsues terrestresqui, pénétrant par le collet et les manches de nosvêtements, nous saignèrent sans scrupule, et dont nosIndiens nous débarrassèrent en nous frottant avec descitrons; on sait qu'aux Indes il en pousse presque partout.En redescendant, nous passâmes auprès des plantationsde quinquina, acclimaté à Java pour la plus grandeprospérité du gouvernement hollandais.fie vingt à vingt-cinq centimètres de diamètre. J'ai vu plusieursde ces plantes aussi hautes que les dattiers du jardin d'acclimatationd'Alger (six à sept mètres).LE TOUR DU MONDE. 287Plus loin, notre mandour trouva dans un tronc d'arbreencore debout, mais complètement pourri, unsplendide capricorne, dont les longues antennes repliéesdépassaient de beaucoup la longueur du corps, et nousfit, avec une précision à laquelle j'étais loin de m'attendre,une description des transformations successivesde cet animal, tour à tour larve, chrysalide, et enfininsecte étincelant.Ce n'était pas, du reste, la première fois que je constataischez les Malais la connaissance de l'histoire naturelle;ils sont sous ce rapport bien plus avancés quenos paysans. Ils savent les reptiles et les insectes dangereux,ainsi que les moyens de soigner les morsures etles piqiires ; ils connaissent les plantes et leurs diversespropriétés; mais je dois malheureusement ajouter que,quelquefois aussi, ils mettent ces connaissances spécialesDessm de M de Wolinsau service des plus mauvais penchants.A mon avis, la réputation de férocité qu'on a faite auxanimaux des forêts de Java est exagérée;j'ai pu m'en convaincre enparcourant des parages infestés debêtes fauves et de reptiles de toutessortes, et quoique je n'eusse biensouvent que des chaussures enlambeaux et de légers vêtements,je n'ai jamais été mangé par les tigresni bu par les boas. Je suisdonc autorisé à croire que les serpentset les scorpions fuient pres-(|ue toujours à l'approche del'homme, et que les tigres et lespanthères sont effrayés des pâlesfigures des Européens , dont leteint entièrement décoloré par lestranspirations continuelles, et lesyeux clairs, animés par la fièvre,n'ont rien de rassurant pour desanimaux habitués à voir les belleschairs dorées des Malais et leursyeux, ordinairement si doux, ettoujours voilés de longs cils : en un mot, nous ne sommespas appétissants. Et puis ,je connais plusieursexemples de bêtes féroces parfaitement apprivoisées etn'ayant donné, pendant plusieurs années de suite, aucunsigne du caractère qu'on prête à leurs races.Mais quant aux poisons composés et souvent employéspar les Indiens, c'est une autre question, et tout ce qu'ona dit à ce sujet est resté au-dessous de la vérité. J'ai vu,pendant mon séjour à Java, plusieurs Européens empoisonnéspar les indigènes. Les substances les plusgénéralement employées sont celles qui développentchez les personnes qui les ont prises, des maladiesconnues et naturelles : je ne citerai que le poil court etnoir qui entoure le nœud du bambou vert et qui produitle rhume de cerveau incurable, la bronchite chroniqueet la phthisie pulmonaire, suivant qu'il s'est logé dansles fosses nasales, les bronches ou le poumon.Mais le temps était toujours aussi affreux, et nous
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les plus inconnus, et l'on trouvera, dans l'ouvrape auquel
il travaillait lors de mon passage à Sundang-Lahia,
les merveilleux résultats de son courageux amour de
la science.
Cependant la position de l'explorateur ne tarda pas
à devenir encore plus critique, et l'on peut dire qu'il
n'échappa à la mort que par un hasard miraculeux. En
effet, au moment oii, après avoir constaté les désordres
que produisait sur lui le milieu dans lequel il se trouvait,
il voulut reprendre le chemin des régions plus saines,
la tète lui tourna, il s'éloigna autant qu'il le put du
gouffre béant ; mais il tomba bientôt sur le sol et resta
ainsi sans connaissance pendant trois jours et trois nuits,
sans être atteint par les ruisseaux de lave et les rochers
incandescents qui roulaient le long de la montagne.
Des Indiens qui aperçurent par hasard M. PInéra dirent
aux gens de la plaine qu'ils avaient rencontré le
corps d'un Européen. On soupçonna que c'était le cadavre
du docteur; un convoi fut organisé
pour l'aller chercher. Le
docteur n'était pourtant pas tout
à fait mort, mais il ne valait pas
beaucoup mieux. A la suite des
jours lorrides et des nuits humides,
des milliers de piqûres de
fourmis et de moustiques, il avait
été atteint d'une de ces fièvres
ordinairement mortelles à
Java. Il fut pendant plusieurs
jours dans le plus grand danger,
et encore la maladie ne cédat-elle,
que pour faire place à un
état dont M. Ploëm n'est pas et
ne sera jamais remis. Le courage
scientifique de ce brave homme,
dont je pourrais citer d'autres
exemples aussi étonnants, est audessus
de tout éloge.
Parmi les choses curieuses que
je vis chez M. Ploèm, je cilerai
ses collections d'animaux rares, soit morts, soit vivants,
et entre autres, cinq magnifiques boas. Ces reptiles
avaient longtemps vécu dans un grand cabinet attenant
à la ciiambre à coucher du docteur, mais, comme
ils se livraient pendant la nuit à des ébats trop bruyants,
il leur (it construire une maisonnette en pierre sèche
dans un coin de son jardin. Puis, iin beau jour, il trouva
les quatre murs renversés ; les serpents étaient partis.
Désolé de la perte irréparable qu'il venait de faire, le
brave docteur se mit à la poursuite de ses fugitifs, dont
il ne tarda pas à retrouver l'un, le plus beau de tous ,
dans une rizière, sortant par instants de l'eau et fuyant
de toute la vigueur des longs anneaux de son corps gigantesque.
S'élancer dans la rizière, les jambes nues
(car le docteur était sorti en costume de nuit), saisir le
rcijlile par le bout de la queue et le ramener de force à
son domicile, fut pour l'héroïque naturaliste l'afiaire de
quelques instants. C'est là que je vis ce splendide ani-
Bananier sauvage. — Dessin de M. de Molîns,
mal, non pas engourdi et malingre comme ceux de nos
ménageries, mais vif et bien portant comme un hôte
chéri et soigné.
M. Ploëm possède aussi un bèo, qui m'amusa beaucoup
par son talent de ventriloque. Le béo ou mutek est
certainement un oiseau des plus extraordinaires. Un peu
plus gros que le merle d'Europe, noir comme lui et
ayant aussi le bec et les pattes jaunes, il en diffère cependant
par la forme générale de son corps, l'aspect
particulier de sa tête et surtout par les ouïes en peau
jaune qui lui donnent une physionomie étrangère aux
oiseaux des pays froids. Mais c'est surtout par son talent
d'imitation, supérieur encore h celui du perroquet, que
le l)ëo est intéressant. Celui de M. Ploèm, dont la cage
est située h. peu de distance de l'écurie et de la bassecour,
s'est appliqué à rendre le gloussement des poules,
le chant du coq, le roucoulement des tourterelles, et particulièrement
le hennissement des chevaux, qu'il imite
avec une perfertion si grande que
j'eus beau l'examiner attentivement
et suivre du regard les ondulations
de son gosier, le hennissement
me paraissait
toujours
sortir de l'écurie et non du bec de
l'oiseau mystificateur.
Je ne quitterai pas la résidence
de Tjiei-Panas, sans parler des
sources d'eau glacée et d'eau
presrpie bouillante qui surgissent
du sol à quelques mètres l'une de
l'autre, et de la belle collection
d'orchidées arborescentes qui se
trouve dans le jardin botanique
confié aux soins du docteur, et
dans laquelle sont réunies presque
toutes les variétés de ces
belles plantes qui offrent aux
naturalistes un si fécond sujet
d'études.
Cepsndant il faut repartir ; car
nous voulons mettre à exécution notre projet de voir
de ))rès les Rassa-Malah (Liquidambar Rassa-INIalah),
plus grands arbres du pays de Java.
Nous trouvâmes d'abord des plantations de café; puis
nous arrivâmes dans des pays plus découverts et nous
atteignîmes après une heure et demie de marche les premières
jungles, moins hautes et moins serrées que celles
que nous avions traversées dans notre ascension du
Salak, mais qui rendaient encore notre voyage très-pénible.
C'était un fouillis de verdure, où le bananier sauvage,
avec ses feuilles vert-pâle d'un côté et de l'autre
tachées de rougo et de brun, se rencontrait en majorité.
Nous nagions dans des fiots de plantes de toutes sortes ;
nous y admirions surtout les grandes fougères au tronc
solide', aux feuilles si gracieuses et si régulières, les grandes
fougères qui tiennent à la fois de la fleur par leur
1. Nous rencontrâmes sur notre route une cabane, véritalile curiosité,
dont tous les gros piliers étaient faits de troncs de fougères