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284 LE TOUR DU MONDE.
construit en belvédère sur le sommet du col du Maga-
Meudong. Devant nous se déroulait le majestueux pays
que nous nous proposions de parcourir, et l'horizon
i-lail borné par de bizarres montagnes, les unes coupées
à pic sur un de leurs côtés, les autres ayant la forme
d'un pain de sucre. A notre droite, les premières croupes
du Pangrangoh, couvertes d'arbres magnifiques.
Nous fîmes sous le pondok un léger repas, dont nous
allâmes chercher le dessert à quelques mètres de là, où
l'aimable et prévoyant savant, M. le docteur Ploém a
acclimaté à l'intention des voyageurs de magnifiques
fraises d'Europe. Nous étions en train de nous en régaler,
quand nous entendîmes dans la forêt voisine un
bruit semblable à un vent violent qui aurait cassé en les
agitant les branches des arbres.
« Des singes! s'écria M. Abels. Ne bougeons pas' »
Quelques minutes après, nous voyons en effet arriver
dans les arbres les plus rapprochés de nous, d'abord un,
puis deux, puis quelques instants
après douze ou quinze grands singes
gris à tête noire ( Ouaoïiouaou.
— Shnia-leucisca. ) Lis
uns couraient sur les branchrdebout
sur leurs pieds et s'aida: ii
des mains ; les autres s'y pendaient
par les bras. Tous arrivaient
ainsi jusqu'aux extrémiti'>
flexibles auxquelles ils se balançaient
un instant pour s'élanci r
sur les arbres voisins. Tout ;i
coup ils nous aperçoivent, et l,i
troupe entière fait halte, en sr
cachant dans l'épaisse verdure qui
l'entoure.
Nous restons immobiles comme
des termes, et bientôt la confiance
renaît chez la troupe vagabonde:
la curiosité l'emporte; des têtes
velues passent au travers des
feuillages : évidemment nous sommes
pour ces messieurs un sujet de great attraction.
Le plus courageu.x s'avance, se pend à une branche et
nous examine avec une attention scrupuleuse. .Vu moindre
geste de notre part, toute la bande aurait décampé.
Mais nous ne nous trahissons pas et nous assistons aux
ébats de ces vandales qui se mettent à briser et à dépouiller
ces beaux arbres, leurs asiles et les sources
de leur existence. Ce sont alors des évolutions incroyables.
L'un des singes s'attèle à la queue d'un de ses
camarades qui grimpe le long d'un tronc et se laisse
bravement remorquer ainsi jusqu'aux branches les plus
élevées; un autre, accroupi dans un endroit que la
conformation de l'arbre rend un passage très-fréquenté,
ne manque pas de donner une poussée, d'arracher du
poil ou de tirer les oreilles à ceux qui s'avancent à
portée de ses longs bras. Puis ce sont des luttes corps
à corps qui s'engagent à quinze ou vingt mètres du
sol et se terminent par la chute de l'un et quelquefois
des deux champions, qui se rattrapent toujours fort
adroitement aux branches. Souvent nous recevons sur
nous les morceaux de bois qu'ils cessent dans leurs
évolutions; mais je dois dire que je ne les ai pas vus
en jeter volontairement et avec force, comme j'avais
entendu dire qu'ils le faisaient.
Nous nous levâmes enfin, et nos singes, pris tout à
coup d'une terreur épouvantable, s'enfuirent et disparurent
comme un tourbillon.
Nous voulions voir le joli lac qui couronne le Maga-
Meudong et atteindre, s'il était possible, Sundang-
Lahia avant la grande chaleur. Quelques minutes après
avoir rejoint la grand'route que nous devions traverser
pour nous rendre au lac, nous rencontrâmes un convoi
d'indigènes se rendant dans l'intérieur Deux femmes
étaient portées dans un Imulock, sorte de palanquin en
forme d'aumônière, fait de tranches de bambou et de
cordes de roting, et porté au trot par deux vigoureux
coolies ; derrière le palanquin venaient
les coolies de rechange,
ceux f{ui portaient les vivres, les
effets des voyageurs et le mari des
'eux femmes ; car, à Java, la po-
\ garnie existe, comme dans presque
tous les pays mahométans.
La caravane passa rapidement près
le nous, et porteurs et portés nous
saluèrent poliment.
Nous nous engageâmes dans
un beau sentier sinueux, au milieu
d'arbres magnifiques sur lesquels
je vis,
dans leur plus grand
tléveloppement, les orchidées arliorescentes
, ces merveilleuses
plantes parasites qui préfèrent le
liuis dur des arbres tropicaux au
terreau le plus gras et le plus fertile
; à presque tous les troncs,
pendaient des grappes de fleurs
admirables et des mouchets de
feuilles dont quelques-unes atteignaient de très-grandes
proportions. Un indigène descendait le sentier.
« Sommes-nous loin du lac ? lui demandâmes-nous.
— Non, nous répondit-il ; ces messieurs n'ont plus
que quelques pas à faire. »
En effet, un instant après nous trouvions au sein de
la plus admirable verdure un beau bassin de l'eau la
plus claire et la plus limpide.
Je voulus me baigner : M. Abels m'apprit que ce
bain me vaudrait une bonne saignée, les eaux étant
habitées par d'innombrables sangsues. Je renonçai donc
à mon projet, mais, hélas ! je ne devais rien perdre pour
attendre.
Nous reprîmes notre chemin vers Sundang-Lahia, et
en descendant la route qui suit le revers du Maga-Meudong,
nous vîmes de loin les grandes forêts de Rassa-
Malah dont les arbres gigantesques sont à coup sûr les
plus grands végétaux de la création ; mais, vus dans cet