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LE TOUR DU MONDE 1864 viaje a españa

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LE TOUR DU MONDE 283

1ères peut faire une morsure profonde. Ce serpent, qui

est certainement le plus beau de tous, est vert et velouté

et traversé dans toute sa longueur, de chaque côté du

ventre, d'une longue bande d'or. Il est long d'un mètre

environ, admirablement proportionné, et sa tête offre le

type le plus parfait de la tête du reptile. Sa forme gracieuse

et sa merveilleuse couleur eraient pâlir les plus

beaux émaux de Palissy. Je le tenais ordinairement renfermé

dans un bocal; mais quelquefois je le lâchais sous

ma galerie; il montait alors sur les tables, tantôt en

s'enroulant autour des pieds, tantôt en se dressant sur

sa colonne vertébrale, comme les serpents danseurs,

jusqu'à ce qu'il eût posé sa tête sur le rebord du meuble,

pour s'enlever ensuite d'un seul efl'ort.

Je veux raconter sa fin qui fut tragique.

J'avais élevé à la maison un jeune chat pour m'assurer

d'une singularité particulière aux chats du pays qui

ont tous la queue nouée naturellement, difformité que

j'avais d'abord attribuée à quelque torture infligée à ces

animaux pendant leur enfance. Un jour mon chat, ayant

rencontré mon serpent qui faisait sa promenade ordinaire,

se mit à le taquiner avec sa patte. Le reptile, irrité

de cette agression, s'enroule aussitôt sur le parquet

en forme de huit, pour donner à ses reins plus d'élasticité

et de force, et attaque vigoureusement le chat : dans

ses mouvements précipités, de vert qu'il était, il

devient

peu à peu zébré de gris et de noir. Ce phénomène, que

je m'expliquai plus tard, provient de ce que l'extrémité

extérieure de ses écailles est verte, celle qui touche la

peau, grise, et que l'animal, en s'étirant, laisse voir

l'écaillé tout entière; ce qui produit les singulières zébrures

en question. Voyant que la lutte devenait plus

sérieuse, le chat s'était assis sur son derrière et, écartant

ses pattes de devant, envoyait de terribles soufflets à son

rampant adversaire. La colère de celui-ci devint alors

tellement violente que ses écailles s'étant hérissées et

laissant voir sa chair à nu, il changea encore une fois

de couleur et devint rouge brique ; comme il était ainsi

dans un bien plus grand danger et que le chat l'avaii

déjà griflé plusieurs fois, je voulus le soustraire à une

mort certaine et le remettre dans son bocal : mais mes

Indiens s'y opposèrent en me disant qu'il était très-dangereux

de le toucher en ce moment. Un instant après,

le chat, d'un coujj de patte vigoureusement asséné, lui

avait coupé la tête.

La pointe c[ue j'avais faite dans les pays vierges m'avait

mis en goût, et tout ce qu'on me racontait du pays

des Préhangans me travaillait l'esprit de telle façon

que je résolus de me remettre en route. M. Abels voulut

bien m'accompagner dans cette nouvelle e.\-cursion qui

devait durer plusieurs jours. Notre itinéraire était de

nous rendre à Tjiandjioor cpje nous devions adopter

comme quartier général, et de rayonner de là dans les

contrées voisines. Mais les pluies, qui régnent constamment

dans toutes les contrées sur lesquelles le soleil

passe à pic, écourtèrent encore ce voyage. Nous entrâmes

toutefois fort avant dans le pays, et nous y vîmes

plusieurs choses intéressantes.

Nous partîmes de Boghor à deux heures du matin, à

cheval et accompagnés, comme la première fois, de

coolies qui portaient quelques provisions et nos fort

légers bagages. Nous devions avoir dépassé le Maga-

Meudong avant le lever du jour et nous avions une

forte traite à fournir. La nuit, sans lune, absolument

noire, comme je l'ai décrite, ne nous permettait pas de

voir les oreilles de nos chevaux, et, à bien plus forte

raison, de diriger leur marche. Ils suivaient je ne sais

trop comment notre guide, mais, de temps en temps, ils

tressaillaient d'une étrange façon, et avec de brusques

écarts qui me faisaient craindre de perdre les arçons.

I De rpioi donc ces animaux ont-ils peur? demandaije

à notre guide.

— Sans doute des Malais qui se reposent dans les

fossés, me répondit-il, et peut-être aus.si des serpents

qui traversent la route et s'enfuient à notre approche. »

Une heure après, nous étions dans les hautes forêts

où la nuit était encore plus obscure. Je ne voyais plus

du tout mon cheval, et quoique je sentisse tous ses mouvements,

il me semblait que je cheminais à reculons :

sensation que, dans mon enfance, je me procurais en

fermant les yeux lorsque je me trouvais en voiture.

Au petit jour, nous étions sur le point culminant du

Maga-Meudong et nous avions à trois cents mètres derrière

nous les barrières qui ferment le pays des Préhangans

et qu'on ne peut franchir sans une indispensable

permission. Les raisons de celte sévérité sont faciles à

comprendre, sinon excusables. Ce merveilleux pays

produit par excellence le café, l'indigo, la cochenille, le

thé, le girofle, le poivre, la cannelle et la muscade, qui

font la fortune de la Compagnie des Indes-Néerlandaises ;

il

est peuplé de deux millions d'Indiens qui travaillent

uniquement à la culture de ces épices, et les vendent

avix agents de la Compagnie à des prix insignifiants.

Ainsi l'administration paye le café aux cultivateurs à

raison de six roupies le picoul, et encore cette somme,

qui passe par les mains de plusieurs fonctionnaires indigènes,

ne parvient-elle au vendeur que considérablement

diminuée. L'administration vend le café sur le

pied de trente-six à quarante roupies le picoul, de sorte

qu'elle gagne sur ce seul article six ou huit fois plus que

le producteur. Un tel état de choses ne peut durer que

grâce à la profonde ignorance de la valeur de leur travail

dans laquelle on entretient les indigènes, une indiscrétion

pouvant compromettre la richesse de la Compagnie.

De là découlent deux faits très-graves : d'abord

le petit nombre d'employés européens et de soldats chargés,

les uns de la direction des afl'aires civiles, les autres

du maintien de l'ordre public, et ensuite l'implacable

sévérité que l'on déploie à propos des moindres peccadilles

des indigènes. Ainsi on leur défend l'usage du

café, et, dans ce pays où celte précieuse boisson est aussi

nécessaire que le vin à nos cultivateurs, la moindre

contravention à cette loi inique est punie de dix à vingtcinq

coups de roting. Le lecteur sait déjà ce qu'est ce

supplice.

Au lever du soleil, nous étions installés sous le pondok

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