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LE TOUR DU MONDE 1864 viaje a españa

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282 LE TOUR DU MONDE.

la proie invisible : tout à coup le tigre s'arrête, recule

de quelques pas, prend son élan, et d'un bond va rouler

au fond de la fosse, en entraînant avec lui le terrain mobile.

Presque immédiatement après la chute du tigre, la

bête mise en appât est morte d'effroi. Après quelques

bonds furieu.x,

rendus impuissants par le manque d'espace,

le tigre se résigne et se couche, la tète posée sur

ses pattes de devant, et les yeux levés vers le haut de la

fosse. On peut alors -le fusiller sans qu'il fasse un seul

mouvement. Mais si on veut le prendre et l'emmener vivant,

on descend dans la fosse une cage moins liante et

de fort peu plus étroite qu'elle, faite en bambou, fermée

par le haut et ouverte par le bas : puis on comble le

trou petit à petit, avec la terre qu'on en avait retirée et

qu'on avait eu soin de cacher à peu de distance de là

sous des feuillages. Impatienté par cette pluie de terre,

le tigre renonce à son immobilité; il se lève, piétine la

terre fraîchement jetée, et au fur et à mesure que le

niveau s'élève, le tigre remonte avec lui, emportant sur

son dos la cage qui le tient captif. Lorsque prison et

prisonnier sont presque sortis de terre, on adapte des

brancards à la cage et on la met au niveau du sol, en

aciievant de combler la fosse. Alors, si l'animal est trèsredoutable,

on lui glisse un plancher sous les pieds et

on l'emporte ; sinon, on se contente de le faire voyager

en poussant sa prison mobile et en se bornant à la poser

par terre chaque fois qu'il manifeste quelques velléités

de révolte ; tout élan lui étant impossible, aucune évasion

n'est à redouter, d'autant plus, comme nous l'avons

déjà dit, que le tigre a horreur du contact du bambou

dont l'écorce vernissée agace ses terribles griffes.

Quant aux Européens, ceux qui peuvent supporter la

rigueur du climat se livrent volontiers au plaisir de

chasses moins dangereuses. Le sanglier, le babi-rouasa

(cochon-cerf), le charmant antilope fauve tacheté de

blanc, sont leurs victimes ordinaires ; mais jamais je

n'ai rencontré de cljasseur, si endurci qu'il fût, qui eût

pu tuer plus d'un singe. L'agonie du singe est affreuse,

surtout à cause de sa ressemblance avec celle de l'homme.

M. B..., l'un des Nemrods de Java, me raconta qu'un

jour il avait rencontré dans une de ses chasses une nombreuse

troupe de gloutons {loëtoeng-simia-maiira); il

fit feu presque au hasard et vit tomber de l'arbre une

guenon et son petit, blessés du même coup. Alors il

assista à une scène déchirante. La malheureuse mère,

oubliant sa blessure, se mit à prodiguer à son nourrisson

les soins les plus tendres et les plus passionnés; elle le

pressait dans ses bras, le couvrait de caresses, cherchait

à arrêter le sang qui coulait des blessures du petit singe

un posant dessus ses mains noires. Enfin, lorsqu'elle se

lut aperçue qu'il était mort, elle expira à son tour, en

manifestant par ses gestes et par ses grimaces le plus

violent désespoir. M. B.... m'avoua que ce spectacle

l'avait profondément touché et que depuis il n'avait

jamais déchargé son fusil .sur un seul de ces pauvres

animaux.

Les indigènes ont une façon assez ingénieuse de s'em-

)jarer des singes. Ils grimiient .<ur les cocotiers avec une

agilité digne du gibier qu'ils poursuivent, font un trou

à une noix et l'évident. Le singe qui voit ce coco troué

et que conduit son instinct habituel de curiosité, veut

en connaître la cause; il passe avec quelque effort sa

petite main dans le trou, fouille quelques instants dans

le coco vide, puis, quand il veut la retirer, effrayé de la

difficulté qu'il éprouve, il écarte les doigts, se fatigue le

poignet, perd la tête enfin, et reste ordinairement captif.

De la chasse aux combats d'animaux, il n'y a qu'un

pas : aussi les indigènes ont-ils un goût très-vif pour

ces derniers divertissements. Les souverains du pays,

qui en sont également grands amateurs, font quelquefois

combattre ensemble, dans de vastes arènes, des tigres

et des buffles ; le tigre a été affamé depuis plusieurs jours ;

la fureur double ses forces, et le buffle n'a pour tout refuge

que de forts piliers de bois plantés en terre, derrière

lesquels il bat en retraite cpiand le danger est trop

imminent. Chose singulière ! celui-ci est généralement

vainqueur, et parvient souvent à clouer le tigre avec ses

cornes contre les parois de l'arène. Mais comme ces

luttes grandioses, qui rappellent les plus beaux jours

de la Rome des Césars, ne sont à la portée que des fortunes

princières, la plupart des indigènes se bornent à

faire combattre entre eux des coqs et des cailles, mais

plus souvent encore de malheureux cricris. Cet insecte,

habituellement si inoffensif, est renfermé précieusement

dans un petit flacon de bois pourvu d'une fente qui

permet d'exciter l'animal avant le comliat. Quand on le

juge suffisamment furieux, on le fait sortir de la boite

et on le met alors en présence de son adversaire; ils

combattent ainsi jusqu'à l'extermination de l'un des

deux champions. Non-seulement le jeu est ridicule et

cruel, mais il donne naissance à des paris dans lesquels

les Javanais égalent en folie et en imprudence nos

sportmen , et qui ont pour leur fortune et pour leur

moralité les plus funestes conséquences.

Les indigènes aiment aussi à faire voir aux Européens

les animaux curieux du pays. On m'apporta un jour un

latou-cabassou. Ce singulier animal a, comme on le sait,

la forme d'un gros rat; il est recouvert depuis le haut de

la tête jusqu'à la queue d'écaillés arrondies dont les indigènes

font des chapeaux, et se nouirit principalement

de fourmis. Je vécus quelque temps avec lui, mais je

fus forcé de m'en séparer à cause du bruit insupportable

que ses piedj armés de petites griffes faisaient sur mon

parquet, et surtout du bruit plus désagréable encore de

sa resj)iralion entrecoupée, semblable, si je puis dire, à

un reniflement.

On me fil ensuite cadeau d'une grenouille d'une espèce

qui m'est inconnue, et à laquelle ses pattes de derrière,

démesurément grandes par rapport à ci'lk's de devant,

permettaient de faire des bonds prodigieux; elle sautait

sans cesse par dessus mes meubles, par dessus ma tête,

et littéralement jusqu'au plafond. Son incommodité me

força aussi à lui donner la clef des chamjis.

Mais l'hôte que je gardai le plus longtemps et auquel

je m'intéiessai le plus fut un serjjent vert (oular-hidio),

espèce (|ui n'est jias venimeuse, mais qui dans ses co-

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