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280 LE TOUR DU MONDE.
longue de quarante centimètres environ, est renforcée
vers la poinie et garnie à sa partie inférieure d'une sorte
de quenouille en coton brut, destinée h intercepter tout
passage d'air qui pourrait nuire à la propulsion du projectile
: la pointe est tantôt coupée carrément; elle est
destinée en ce cas à étourdir les oiseaux qu'on veut
prendre vivants ; tantôt elle est effilée ,
et rendue excessivement
dure par le fil du bambou. M. Abels me montra
l'usage de cette arme. On introduit d'abord dans la
sarbacane la flèche tout entière ;
on vise ensuite et avec
beaucoup de facilité, eu égard à la position de l'arme,
qui, appuyée au centre de la bouche, se trouve dans la
direction du regard des deux yeux ; on souffle alors vigoureusement
en fermant aussitôt l'oriiice du tube avec
la langue, et la flèche, dont la portée est fort longue, va
exactement au but. J'en voulus faire l'expérience à mon
tour, et comme nous nous trouvions sous la galerie de
l'hôtel de M. Grenier, en face d'une vaste cour peuplée
de poules, je visai une de ces malheureuses volailles, ne
doutant pas de la manquer. Malgré les avertissements
de notre hôte, qui me prédisait que j'allais faire quelque
malheur, je soufflai avec force dans ma sarbacane, et la
flèche, aussi rapide et sûre que celle de Guillaume Tell,
vola vers l'animal infortuné et le traversa de part en
part. La poule, mortellement atteinte, fut achevée pour
le repas du soir, et, quoiqu'elle fût fort tendre, j'ai encore
et j'aurai toujours sur la conscience ce meurtre
presque involontaire.
Les indigènes ont encore d'autres armes très-ingénieuses
et très-primitives, destinées à la chasse des petits
oiseaux, pour laquelle ils ont un goût très-prononcé.
Les princes javanais se livrent au plaisir de la chassj
sur une plus grande échelle. Ils aiment à courre le cerf,
rarement avec des chiens qui seraient piqués par les reptiles,
déchirés par les plantes, et qui d'ailleurs ne sup-
Le ^toiiU rcâUuiaiiL, a JUogUor. — De^bin de M. lit Molihs.
portent pas le climat ; mais à cheval, en cherchant à
détourner et à tromper l'animal. Une fois qu'il est fatigué,
les cavaliers s'approchent, et, s'armant d'un roting
garni de plomb à l'un de ses bouts, et à l'autre d'une
forte poignée de cuir destinée aie bien assujettir dans la
main, ils assomment la pauvre bête. Cette chasse, aussi
difficile que barbare, est exclusivement réservée aux
très-grands personnages de Java.
Quant au seigneur tigre, j'ai déjà dit la profonde terreur
qu'il inspire aux indigènes; aussi sont-ils bien peu
nombreux les hommes intrépides qui osent s'aventurer
seuls, la nuit et avec des intentions hostiles, dans les
fonnidables repaires où, comme l'a dit un poète :
.... Le tigre roj-al, fier habitant des jungles,
Se roule sur le dos et dilate ses ongles.
Il y a cependant à Java des chasseurs de bêtes féroces,
qui s'attaquent au tigre de difl'érentes manières connues
en Europe. Mais la manière de prendre un tigre vivant
est plus ignorée et mérite une mention spéciale.
Quand on a reconnu les parages où l'animal fait habituellement
ses promenades nocturnes, on y choisit une petite
éclaircie de terrain cachée par des buissons. On creuse
alors une fosse de trois mètres carrés de surface sur quatre
à cinq mètres de profondeur environ, et on y jette un
animal vivant, un chien ou une chèvre par exemple : on
recouvre le tout d'un mince treillage de lattes légères
sur lequel on simule, avec autant de perfection que possible,
un terrain vierge. A la tombée de la nuit, les
chasseurs se retirent aux environs et guettent en silence,
certains que tant qu'ils entendront crier l'appât il n'y
aura point de tigre pris. Cependant la bète fauve, attirée
d'abord par les cris, et ensuite alléchée par l'odeur,
s'approche de son pas silencieux et allongé, flaire et
fouille dans les buissons, cherchant le meilleur endroit
pour s'élancer sur la place où elle pense que se trouv*