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LE TOUR DU MONDE 1864 viaje a españa

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pensant que le bonhomme s'en irait après mon départ.

Point du tout! Une demi-heure se passe, puis une heure,

et la musique va toujours son train. Je re\'iens su"" ma

porte et j'engage poliment le virtuose à s'en aller. 11

proteste et continue. Une autre heure se passe; ce

bruit mat, court, enroué, commence à me porter sur

les nerfs; cette fois-ci, je congédie formellement l'artiste.

Mais il refuse net de s'en aller, et me répond que

je lui ai payé vingt-cinq heures de travail et qu'il me

les donnera.

Mais ce fait n'avait rien d'extraordinaire et j'aurais dû

le prévoir; car, durant mon séjour dans l'ile de Java,

j'avais été témoin, en plusieurs circonstances, delà passion

des indigènes pour tous les divertissements, et de

la force physique que déployaient artistes et spectateurs

pendant des représentations de vingt- quatre ou trente

heures consécutives. M. Grenier ayant un jour payé

les marionnettes et les danseurs à ses domestiques,

ceux-ci, après une journée de travail, passèrent debout

une nuit entière, se refusant le repos plutôt que de

renoncer à un seul incident

du spectacle qui leur

était offert.

Quant à mon Toekan-

Thialong . quand ie fus parvenu

à lui faire comprendre

que je lui faisais gràic

des vingt-trois heures df

travail qu'il me devait encore

, il s'éloigna très -

offensé du mépris que je

semblais faire de son talent.

Le jour même où m'était

arrivée mon aventure

avec le musicien ne devait

pas finir sans m'apporter

une des plus violentes émotions que j'aie ressenties

pendant mon séjour à Java.

Il était une heure du matin; je venais de me coucher,

et à peine avais-jefinide border mon moustiquaire

tout autour de mon lit, que je sentis mon matelas se soulever

brusquement à trois ou quatre reprises. Les sinistres

événements de Banjer-Massin, sur la côte de Bornéo

où tous les Européens avaient été massacrés naguère, et

certaine histoire d'une frégate de guerre prise à l'abordage

parles indigènes, nouvelles que m'avait récemment

racontées un Indien dont j'avais gagné la confiance, me

revinrent aussitôt en mémoire. Je me crus au moment

d'une Saint-Barthélémy de Lianes, et, sautant hors de

mon lit, je regardai immédiatement dessous , certain

déjà d'y voir briller dans l'obscurité les yeux de mon

assassin.

Il

n'y avait personne.

J'ouvris mes volets, et, au moment où j'allais m'accouder

sur l'appui de ma fenêtre, je reçus dans la poitrine

deux nouvelles secousses violentes. Au même instant,

buffles, chevaux, poules, canards, chiens et moutons

LE TOUR DU MONDE,

poussèrent des cris d'effroi, et, par contre, toutes les bêtes

qui chantent pendant la nuit, se turent tout à coup.

C'était un tremblement de terre. Le bruit souterrain,

semblable à celui d'un ouragan éloigné, et les frémissements

du sol qui continuaient à se faire sentir ne me le

disaient que trop clairement. Je sortis de mon pavillon,

en proie à la plus grande terreur, et craignant que la

maison en s' écroulant ne m'ensevelît et ne m'écrasât sous

ses débris; à peine dehors, je ressentis une troisième

secousse plus forte que les deux autres.

Tous les Indiens étaient sortis de leurs cabanes.

«La terre a tremblé! me dit l'un d'eux, pâle de

terreur.

— Je l'ai senti, répondis-je peu rassuré. Tremblet-elle

souvent ainsi?

— Non, monsieur, et fort heureusement : car si elle

etit tremblé plus fort, nous aurions vu les maisons

tomber. »

En effet les secousses avaient été verticales et semblaient

partir immédiatement de dessous nos pieds. La

lampe suspendue dans mon

— Dessin de M, de .'Mciliiis

pavillon n'oscillait presque

pas , mais , en revanche ,

les branches des cocotieis

plantés devant mes fenêtres

semblaient agitées par

un vent tombant du ciel

sur elles.

J'ai gardé de ce tremblement

de terre un pénible

souvenir, et j'avoue

franchement que c'est la

chose du monde qui m'a

le plus effrayé. La pensée

qu'on est à la merci d'un

fléau contre lequel il n'est

pas d'abri, cause une affreuse

angoisse et le raisonnement ne fait qu'augmenter

le premier effroi.

Le lendemain matin, j'allai me promener au marché,

le rendez-vous des indigènes des environs. Dans les

groupes qui stationnaient partout et autour dubali-bali,

qui constitue le plus grand restaurant que j'aie vu à

Java, il n'était question que du tremblement de terre de

la nuit précédente. J'appris que les secousses avaient été

ressenties à plusieurs lieues à la ronde et qu'elles

avaient été plus fortes près des montagnes du Pangrangoh

que dans les environs de Boghor, ce qui me

fit supposer avec quelque raison qu'elles partaient du

Guenhung-Ghedé, volcan en pleine activité.

Quelques jours après cette alerte, M. Abels vint me

voir et me fit présent d'une sarbacane indigène, accompagnée

de ses flèches. Celte arme est un long tube de

deux mètres et demi de long sur deux centimètres et demi

de diamètre, orné de distance en distance de ces merveilleux

ouvrages en écorce de roting dont nos plus habiles

passementiers, employant leurs meilleurs cordonnets,

ne sauraient imiter ni la finesse ni l'élégance. La flèche,

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