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LE TOUR DU MONDE 1864 viaje a españa

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278 LE TOUR DU MONDE.

Ire noire, qui partent des épaules et se rejoignent sous

la boucle de la ceinture.

Mais elle n'était pas seule en scène : un homme paraissait

de temps en temps, jouant un rôle mêlé de chant

et de panlomime. La bayadère lui répondait par des

gestes et quelquefois aussi par d'affreux glapissements.

Les Indiens prennent un plaisir infini à ces contorsions

et à cet épouvantable tintamarre. A voir leur air

profondément captivé et leurs mouvements qui suivent

le rh\ thme de la musique, à les entendre accuser les

contre-temps soit avec la voix, soit en frappant alternativement

du plat et du revers de la main les objets qui se

trouvent à leur portée, on comprend aisément que les

Toppengs, ou dans d'autres parties de l'île les Ronggbengs,

sont un de leurs plus grands plaisirs.

J'avais déjà remarqué, à Batavia et à Soërabaija, ce

goîit prononcé des indigènes pour leurs représentations

théâtrales, mais sans pouvoir me rendre un compte

exact de la cause de leur plaisir. L'action est souvent,

il

est vrai, incompréhensible pour les Européens; mais,

le plus habituellement, elle a trait à l'amour, l'éternel

sujet de toute comédie. Ainsi c'est parfois un drame enfantin

comme celui-ci :

La bayadère, sans doute effrayée de l'avenir de coiffer

sainte Catherine, e.^pose son ennui par des poses alanguies.

Elle va et vient sur la natte qui lui sert de tapis,

s'étire les bras, se renverse en arrière, murmure une

plaintive chanson. Pendant toute cette première partie

qui est fort longue, le danseur, son compère, reste nonchalamment

étendu dans son coin. Mais le moment

arrive où son rôle l'oblige à entrer en scène : il se lève

alors, s'approche de la danseuse et lui fait une déclaration

que la coquette repousse d'une façon non équivoque.

Il insiste, il redouble de démonstrations humbles

et passionnées, il va même, pour attendrir l'inhumaine,

jusqu'à se couvrir la figure d'un masque qui se termine

à la lèvre supérieure et dont les coins abaissés vers le

menton donnent à sa physionomie la plus comique des

tristesses. A'ains efforts! au moment où l'éloquence de

ses gestes atteint son apogée, il reçoit sur le nez un

formidable coup d'éventail.

Furieux d'un affront aussi sanglant, notre homme

met alors une figure peinte en vermillon, qui roule des

yeux féroces et montre une rangée de dents formidables.

C'est le masque de la colère, comme le premier était

celui de la douleur. Notre héros s'avance alors menaçant

vers la belle coquette et lui prouve ses sentiments

par une série de gestes saccadés, de sauts et de

soubresauts plus désopilants les uns que les autres.

Effrayée du mal qu'elle a fait, de la colère qu'elle a provoquée,

la jeune femme se retire dans un coin et regrette

sans doute sa trop grande rigueur.

Cependant l'amour-propre la retient; elle ne veut

complète en suivant tous ses mouvements; elle s'avance

quand il s'avance, recule avec lui, et ne tarde pas à se

joindre à la danse à laquelle il l'invite d'un air conquérant.

D'autres fois, les Chinois, leurs défauts et leurs

caractères, font les frais du drame que représentent les

Toppengs.

Le danseur est déguisé en Chinois; il est vêtu à cet

effet d'une camisole blanche et a la tête couverte d'un

crâne postiche d'où sort une toute petite natte (le comble

du ridicule pour un fils du Céleste Empire). Il mime

les inconvénients qui résultent d'une gourmandise mal

entendue. Il a mangé un ananas tout entier, et les douleurs

d'entrailles viennent à se déclarer juste au moment

où il traitait une affaire avec un IMalais et se disposait

à le voler horriblement. Chaque geste persuasif est interrompu

par les contorsions les plus amusantes et les

plus significatives; chaque argument coupé par des

lazzis et des soupirs grotesques, très-spirituellement

chargés.

Les Chinois sont douillets et intéressés ; les Malais le

savent et s'en moquent.

Ce que j'ai vu de plus réellement grotesque, c'est

une représentaiion du genre de celles que je viens de

décrire, mais dont les acteurs étaient deux singes

dressés. Scrupuleusement vêtus comme les Toppengs,

ces deux bêtes imitaient leurs mouvements traditionnels

avec une rare perfection. C'était merveille de les voir se

balaflcer, se déhancher, mettre leurs bras velus en guirlandes,

tourner leurs mains en dehors des mouvements

permis par la nature, le suprême de l'art de la danse

aux Indes : on aurait dit de vrais petits hommes, tant

l'imitation était parfaite. Mais à la moindre distraction

de leur impressario, les deux acteurs, oubliant leurs

rôles, en profitaient pour se pincer et s'arracher du poil,

en se croisant, et, si la distraction se prolongeait, fondaient

alors l'un sur l'autre, se roulaient sur le sol

et cherchaient à se mordre ou à se prendre mutuellement

les oreilles.

Je trouvai aussi un jour devant ma porte un indigène

qui me demanda à me régaler de son talent. Il portait

autour de ses reins une sorte d'échelle de corde dont les

échelons de bambou taillés en sifflet excitaient ma curiosité.

Je lui demandai le prix du spectacle qu'il me

proposait.

• Quatre duits (8 centimes) par acte, » me répondit-il.

Je lui donnai une roupie et le priai de commencer.

Il déroula alors son échelle, en fixa l'une des extrémités

au tronc d'un arbre voisin, passa l'autre à l'une de

ses jambes, tendit ainsi les deux cordes, et se mit à me

jouer des mélodies malaises, en frappant les morceaux

de bambou avec une massette de bois dur. Composition

et exécution étaient sans doute fort incomplètes, fort

point faire le premier pas; mais, voyant tout à coup le

danseur jeter son masque de furieux et reprendre ses

poses les plus humbles et sa physionomie la plus douce,

elle se rend à tant de grandeur d'âme, se lève fascinée,

s'approche de son tyran et lui jure une obéissance

primitives, mais je n'hésite pas à donner la préférence à

cet instrument sur tous ceux que j'ai entendus jusqu'à

ce jour dans les orchestres indigènes.

Après avoir savouré toutes les délices que pouvait me

procurer mon musicien, je rentrai dans mon pavillon,

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