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270 LE TOUR DU MONDE.
nant l'exem]ile del'i'nergio et du dévouement, cet homme
était parvenu à réveiller de leur apatliie désespérée ses
malheureux concitoyens et avait su tirer le meilleur parti
des qualiti's qui les rendent si propres à une pierre d'escarmouches;
son plan était conduit avec tant d'intelligence
et de bravoure qu'il put même un icstant esjjérer la
réalisation
des rêves ([u'il avait faits pour l'avenir de son
pays. Mais la plus odieuse des lâchetés débarrassa de lui
les Hollandais : attiré dans leur camp .sous prétexte de
parlementer, il y fut immédiatement passé par les armes.
Du moins les indigènes ne furent point ingrats à
son égard, et son nom est encore prononcé aujourd'hui
comme celui d'un héros et d'un martyr.
Les territoires de Solo et de Djiokdjiokkarta offrent
un grand nombre de ruines très-intéressantes ;
on y
découvre les traces de villes entières, et principalement
d'édifices religieux. Je ne citerai que les merveilles de la
montagne du Guenhung-Dieng, située sur la limite de la
résidence de Pékalongang, et où on a retrouvé, prétend-on,
les restes de quatre cents temples. C'est beaucoup
sans doute, et l'on pourrait supposer plus judicieusement
que ce sont les vestiges de quelque antique cité :
nous ne voudrions rien affirmer cependant, car, suivant
les vieilles traditions, Guenhung-Dieng a été le berceau
de la mythologie malaise et le séjour de plusieurs dieux
du pays. Malgré tout, on est bien réduit à se livrer à
des conjectures, car la vue de toutes ces choses si cui-ieuses
est presque absolument interdite.
Mais revenons à notre voyage. Désolé de n'avoir pas
pu voir les cours de Solo et de Djiokdjiokkarta, et surtout
les grands temples de Boroli-Bodoh, dont j'ai parlé plus
haut, j'étais donc revenu par mer à Batavia, où je sollicitai
vainement la permission de me rendre à Boghor
(Buitenzoorg, Sans-Souci)'. Mais comme j'étais décidé
à ne pas revenir en Europe sans avoir visité l'intérieur
du pays de Java, je me passai bravement de l'autorisation
de rigueur et montai à tout hasard en diligence.
On ne peut pas se faire en P'urope une juste idée de ce
qu'est un voyage en poste dans l'île de Java : on est littéralement
ahuri par la rapidité de la course, par les cris
et les coups de fouet des Indiens qui courent après les
chevaux, et les excitent du geste et de la voLx ; le cocher,
lui, ne fait que maintenir l'attelage dans la direction de
la route, ce qui n'est pas une mince besogne, grâce aux
caprices et aux emportements des chevaux indigènes;
son fouet ne lui sert que dans les grandes occasions,
et autant pour réveiller l'attention de ses <t garçons a
que pour rappeler à l'ordre un des quadrupèdes indociles.
Nous voilà donc en voiture, roulant, volant plutôt sur
la route de Boghor. Nous eûmes bientôt dépassé Cramatt,
Meister-Gornelis, et vîmes le grand bourg chinois
a))i)elé
Biddaralh-Tchina. Là, nous relayâmes et prîmes
deux nouveaux voyageurs, un officier hollandais, roide
1. Je préfère, et j'adopte dans ce récit, le nom inilion Boghor
au nom hollandais Buileiizoorg (Sans-Souci), étrange souvenir do
la célèbre résidence de l''rédéric
II.
comme un bâton de sucre de pomme, et un mulâtre javanais,
fort riche, qui revenait de Paris.
Ce dernier, bon homme au fond, ne tarda pas à engager
avec moi une conversation en malais assez fatigante.
.\près m'avoir adressé mille questions indiscrètes
au.xquelles je ne répondais que très-laconiquement, il
m'apprit qu'il avait dépensé vingt-cinq mille roupies
dans son voyage en France, et qu'il en avait rapporté une
foule de curiosités qu'il me fallut admirer ; entre autres
choses, je vis un magnifique diamant que le Vandale
avait fait tailler comme une vitre, et sur lequel il avait
fait faire une photographie microscoj)ique représentant
son intéressante personne.
Pendant toute notre conversation, l'officier hollandais
était resté muet et dédaigneux : tout au plus s'était-il une
ou deux fois interrompu de fumer pour pester contre la
lenteur des chevaux et la mollesse des « garçons ». Il
est vrai qu'à ses yeux un Français et un métis ne faisaient
pas à eux deux un homme , et d'ailleurs noire entrelien
n'était que médiocrement intéressant.
Tout alla bien jusqi>au troisième relais; mais là commencèrent
pour nous des tribulations maintenant inconnues
en Europe, grâce à nos administrations prévoyantes
et à nos ingénieurs des ponts et chaussées. De temps en
temps je voyais notre cocher lancer ses six chevaux à
toutes brides, mais sans comprendre pourquoi. J'en demandai
l'explication à l'officier.
et Vous voyez sur la route ces endroits humides? me
répondit-il.
Parfaitement.
— Eh bien, monsieur, ce sont des bourbiers qui rendent
le tirage des chevaux très-dur et que le cocher cherche
à leur faire franchir le plus rapidement possible,
car souvent ils se découragent....
El on y reste?
Naturellement.
Alors, ces routes sont détestables ?
— Vous l'avez dit.
— Mais, dans un pays qui abonde en bois durs et
imperméables, ne serait-il pas facile, en couchant quelques
troncs d'arbres dans ces bourliiers, de remédier à
cela?
— Ce serait la chose du monde la plus simple, d'autant
plus ((ue le gouvernement vient de voter quatrevingt
mille roupies pour l'entretien de cette route.
— Cent soixante-dix mille francs! m'écriai-je, et on
ne fait rien dans un pays où la main-d'œuvre est à vil
prix ?
— Le bois manque.
Au milieu de ces splendides foi-èls?
Il est défendu de les exploiter.
— Ah I très-bien I... Mais le gouverneur, qui parcourt
cette route doux fois par mois, aurait tout intérêt à la
faire réparer, ne fût-ce que ])nur sa commodité personnelle?
— Il s'est embourbé ici très-souvent, en cfl'ct.
— Eh bien ?
— Monsieur, me dit l'officier, Son Excellence le gou-