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bambou et en papier de toutes couleurs ,
sortes d'exvoto,
grâce auxquels les Javanais superstitieux pensent
s'attirer certaines faveurs : grande richesse, nombreuse
lignée, etc. Rien n'est plus singulier cp.ie de voir les
familles aller en procession attacher ces offrandes aux
arbres consacrés. Le plus petit des enfants ouvre la
marche, portant entre ses mains l'ornement décrit plus
haut; puis viennent les autres enfants, l'un derrière
l'autre, par rang d'âge et de taille ;
LE TOUR DU MONDE. 267
puis la mère, et enfin
le père qui les domine tous et qui ferme la marche en
surveillant toute la colonne.
Peu de temps avant mon départ de Soërabaija, un navire
hollandais qui traversait l'océan Pacifique après
avoir doublé le cap Horn, ramena un singulier sauvetage
qu'il avait fait à la hauteur de la Nouvelle-Guinée, mais
très-avant dans la mer : c'étaient des Papous, montés
sur une pirogue, qui ayant été poussés au large par les
vents, sans vivres et sans ressources, erraient ainsi, depuis
longtemps déjà, et avaient même été réduits à manger
de la chair humaine. Trois de ces malheureux, une
femme et deux hommes, subsistaient encore lorsqu'on
les recueillit. Aucun officier du bord ne savait parler la
langue papoue, et on ne put s'exjiliquer avec eux que par
signes; on les soigna du mieux qu'on put et on les amena
à Soërabaija, où personne non plus ne pai-lait de langue
qui leur fût connue ; on ne pouvait même affirmer que
ce fussent des Papous, mais tout le faisait présumer. Je
les ai vus plusieurs fois, d'abord dans la prison, où on
les avait logés, et ensuite dans leurs promenades parles
rues. Ils ont le front déprimé, les traits extrêmement
sauvages, mais plutôt stupides que féroces ;
et ce qui
contribue le plus à leur donner un type extraordinaire,
ce sont leurs énormes oreilles tombant jusque sur leurs
épaules, et semblables à celles des chiens courants de
race normande. Je pense qu'ils les allongent ainsi par
des moyens particuliers, d'autant plus qu'ils s'en font
une coquetterie; l'ourlet de leurs oreilles est en effet
percé de petits trous qu'ils garnissent de pierreries noires
; et celles qui n'avaient pas ces ornements me faisaient
l'effet d'huîtres perlières dépouillées de leurs
perles. Ces pauvres diables commençaient à savoir
quelques mots malais quand je dus quitter Soërabaija.
En faisant mes emplettes de départ, je voulus acheter
quelques-uns de ces Leaux sarhongs que j'avais
vu teindre, comme je l'ai décrit plus haut, et je pus
pénétrer plus avant dans l'intimité des familles des
fabricants. Je fus étonné du grand nombre d'enfants
malades que je rencontrai dans ces visites, et surtout
indigné du peu de soins qu'on leur donnait. L'incurie des
Javanais pour l'hygiène des enfants est tout ce qu'on
peut imaginer de plus révoltant : j'ai vu un pauvre petit
garçon de quatre ans, atteint de la dyssenterie, dont
tous les membres étaient réduits à la plus effrayante
maigreur, à l'agonie enfin, et que des soins bien entendus
auraient pu soulager sinon guérir, et auquel ses
parents ne donnaient même pas le médicament ordinaire
du pays, l'eau de riz, le laissant manger n'importe quel
fruit vert et boire de l'eau froide immédiatement après.
Aux observations que je crus devoir faire, on répondit
avec la plus parfaite tranquillité qu'il fallait céder à ses
caprices, ne pas contrarier les malades. Et ce fait est
loin d'être le seul que je pourrais citer.
Peut - être l'excuse de pareilles monstruosités se
trouve-t-elle dans la profonde indifférence de la mort
qui caractérise tous les peuples musulmans. Ici, en effet,
la mort n'a rien de lugubre ni de solennel : on n'a pour
elle aucun respect, on n'y attache aucune importance ;
on meurt soi-même stoïquement, on voit mourir les
autres sans chagrin. On rit et l'on causj dans la maison
où se trouve un mort, dans les céri'monies funèbres,
dans les cimetières; et ces habitudes, quelque choquantes
qu'elles soient pour notre philosophie d'Europe,
ont leur explication et leur raison d'être dans les dogmes
de la religion des musulmans pour qui la mort n'est
pas un accident, un malheur, mais bien la conclusion
nécessaire de la vie actuelle, un changement d'état, une
transition. Ce mépris de la mort n'est pas d'ailleurs à
tous égards une mauvaise tendance, et il est vrai que,
devant les usages et les mœurs d'un pays où tout est
presque encore mystérieux pour nous, nous ne devons
pas nous hâter de former des jugements téméraires; il
faut toujours y regarder à deux fois avant de flétrir un
peuple de l'épithète de sauvage.
BOGHOR.
De Batavia à Boghor. Accidents de voyag-e. — Boglior (Buitenzoorg,
Sans Souci). — La villa d'Amoie. — Le jardin botanique.
— Les environs. — Le pont de Lambou.
Mon plan de campagne était de revenir de Soërabaija
à Batavia par terre ;
mais des circonstances étrangères à
ce récit me contraignirent à reprendre par mer le chemin
que j'avais déjà parcouru. La préférence que j'aurais
voulu donner cette fois-ci au vulgaire plancher des
vaches sur les poétiques plaines de Neptune, s'explique
assez par les mille
curiosités que me promettait cet itinéraire.
En effet, j'aurais rencontré sur ma route les résidences
de l'empereur de Java et du sultan, souverains de Solo
(Soërokarta) et Djiokdjiokkarta, et de leurs nobles familles.
Les dessins de notre illustre ami Bida, faits
d'après les documents les plus authentiques, reproduiront
bien ici les traits de quelques-uns de ces augustes
personnages; mais les difficultés qui s'opposèrent à mon
voyage dans l'intérieur, m'empêchent de décrire les
cours de ces souverains et les singuliers usages que l'on
y suit.
Des personnes dignes de foi m'ont bien donné de curieux
renseignements sur l'étiquette méticuleuse qui
règne dans ces cours orientales et les actes étranges
qu'elle impose aux courtisans. On m'a bien dit cpie nul
homme, si noble et si puissant qu'il soit, n'ose se présenter
devant le prince qu'en tenant ses jambes croisées
sous lui, à la façon de nos culs-de-jatte, et en se traînant
sur les mains ;
que , lorsque le souverain sort à