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266 LE TOUR DU MONDE.
de réchellf elle se débattit avec violence, poussa des
cris affreux et s'échappa presque des mains de ses
bourreaux. Je répugne à dire les détails de son agonie,
qui furent épouvantables.
Les deux corps devaient rester exposés pendant six
heures.
Je m'éloignai du théâtre de ces scènes odieuses le
cœur rempli de douleur et de tristesse. En effet, quand
même ces cruautés ne seraient pas défendues par les
lois de la plus simple humanité, elles n'en seraient pas
moins ici complètement inutiles, à mon avis ; car, d'après
la connaissance que je crois avoir du caractère des
Indiens de Java, je suis convaincu que la seule privation
de la liberté, soit temporaire, soit à vie, leur est un
châtiment bien plus fort que toutes les peines physiques.
C'est ici le contraire de ce qui se passe en Europe, où
nous voyons des scélérats endurcis, rendus jurisconsultes
par l'expérience, s'arrêter dans le crime au degré
qui leur vaudra la prison, où ils retrouvent leur milieu,
leur société, et où l'on pourrait presque dire qu'ils vivent
heureux, si les scélérats pouvaient l'être.
Mais détournons les yeux de ces sombres tableaux ;
sortons des villes où l'on venge la société d'un crime
commis par un autre crime ; retournons au sein de la
splendide et généreuse nature, qui toujours charme et
toujours console; remontons les rives de ce Ijeau fleuve
qui traverse Soërabaija, et qu'on a si justement nommé
le Kahli-Mass, le fleuve d'or. Après s'être précipité des
flancs des montagnes, il roule maintenant dans la
plaine, large et majestueux. Suivons-le sous ces bambous
gigantesques, qui poussent en gerbes immenses,
semblables à des jeux d'orgue, et lui font un dôme de
verdure. Ici, sont amarrées des flottilles innombrables
de ces longs bateaux dont j'ai parlé déjà et dont un
grand nombre portent sur le milieu du pont et dans
toute leur longueur de gracieuses cabanes recouvertes
du chaume indigène. L'endroit, très-propice pour le
bain, attire une foule d'Indiens qui viennent accomplir
là les ablutions musulmanes. Les formes admirables des
baigneurs, ces groupes de jolies embarcations, les capricieux
méandres de la paisible rivière, celte verdure
éternelle, en un mot ce spectacle enchanteur nous purifiera
peut-être du souvenir de ces crimes affreux et de
leurs sanglantes représailles.
Les environs de Soêrabaija n'ofirent pas seulement
des paysages remarquables; on y trouve aussi des
monuments très -intéressants pour l'artiste et l'archéologue.
Je veux parler des fragments d'antiquités
iudoues qui s'y rencontrent en très-grand nombre, ruines
qui ont encore conservé ce caractère de force et de
grandeur qui a toujours distingué les arts primitifs. Ce
sont presque toutes des blocs de granit admirablement
sculptés quoique d'un dessin très-naïf et représentant
tous les motifs connus dans les pays où règne encore le
brahmiuisme : d'abord des animaux fabuleux, des chimères,
des griffons, des serpents; puis quelques figures
d'un beau style, et non sans analogie avec les conceptions
de la sculpture égyptienne. Ce sont pour la pluuart
des incarnations de la divinité indoue : un personnage
assis, ])ar exemple, à tête d'éléphant, tenant ses mains
sur ses genoux, et pourvu de trois ou quatre autres paires
de bras qu'il étage autour de sa tète en forme d'éventail;
c'est aussi une femme à huit bras, se tenant debout
sur un buffle. Plusieurs personnes qui connaissent
les Indes anglaises m'affirment que ce sont là exactement
les mêmes idoles, la même pensée, la même facture, le
même art enfin. Cela doit d'autant moins étonner que le
bouddhisme, puis le brahminisme furent jadis la religion
nationale à Java, quoiqu'ils soient aujourd'hui complètement
disparus des plaines dont tous les habitants
sont convertis à l'islamisme, et qu'ils ne conservent
quelques adeptes que dans les parties les plus inaccessibles
des montagnes et dans l'Ile de Bali, toute voisine
de celle de Java.
Peu de pays du reste sont plus féconds en curiosités
archéologiques que celui de Java. Dans l'intérieur, les
ruines d'une multitude de temples attestent encore par
leur a.spect imposant la force et la grandeur de la religion
qui en avait jadis inspiré l'architecture ; la plupart
sont malheureusement presque tout à fait ensevelis sons
la puissante végétation du pays, et quelques-uns ont été
détruits en tout ou en partie par les tremblements de terre.
Le plus remarquable est, dit-on, le temple bouddhique
de Eoroh-Bodoh, dont on fait remonter la construction au
sixième siècle de notre ère. Haut de trente mètres environ
et occupant une superlicie de terrain de deux cents mètres
carrés, il s'élève sur le sommet d'une colline. C'est un
grand édifice carré, composé de sept rangs de murailles
en étages , surmonté d'un dôme d'environ quinze mètres
de diamètre, et entouré d'un triple cercle de tours,
au nombre de soixante-douze, toutes surmontées Je statues.
Quatre cents niches sont pratiquées dans le parapet
extérieur et toutes occupées par une statue de Bouddlia.
Toutes ces images, ainsi que les innombrables sculptures,
dues au ciseau le plus riche et le plus fin,
qui couvrent
les murailles du mcnument dont nous parlons et
de tant d'autres encore, offriraient sans doute à l'iconograplie
les sujets d'étude les plus intéressants ;
mais l'administration
hollandaise ,
qui ferme complètement aux
voyageurs l'intérieur de l'île
pour des motifs ipie nous
ferons connaître ultérieurement, s'entête à prendre tous
les étrangers pour des agitateurs et ne donnera pas au
savant l'autorisation qu'elle a refusée à l'artiste.
Quelques-unes des traditions des antiques croyances
sont restées vivantes dans le jieuple, malgré la rigueur
des prêtres musulmans, et elles se manifestent encore
aujourd'luii par des pratitjues très-étranges, les offrandes
aux caïmans entre autres. Lors([u'un indigène a été
dévoré par les caïmans qui infestent ici les rivières, ce
([ui n'arrive que trop fréquemment, on voit le soir le
iieuve se couvrir de petits radeaux de bambous de
trente centimètres carrés, chargés de fruits, de fleurs,
d'aliments choisis, et ornés de bougies allumées. L'habitude
de faire ce sacrifice est presque universellement
répandue ici. Puis on voit aussi, aux environ» de la
ville, certains arbics cniiverls ilc cocardes failcs en