01.07.2021 Views

LE TOUR DU MONDE 1864 viaje a españa

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

LE TOUR DU MONDE. 263

sait de surmonter la profonde répugnance que j'ai toujours

eue pour ces sortes de spectacles. Je me rendis

donc sur celte même place d'armes où, quelques jours

auparavant, j'avais assisté à un magnifique carrousel.

J'y arrivai avant le cortège des condamnés, quoique je

pensas.çe être en retard, grâce à la sensibilité de mon

domestique indien qui avait volontairement omis de

m'éveiller pour n'avoir pas à m'accompagner et à assister

à la fustigation qui devait avoir lieu d'abord : ce cjui

me donna même à supposer, surtout par l'étrange physionomie

qu'il avait en s'excusant de son oubli, que le

pauvre diable devait avoir conservé de ce supplice quelque

cuisant souvenir.

Je remarquai d'abord le yjoiu/o/c (fonduk, hangar) sous

lequel se tenaient les membres des deux tribunaux hollandais

et indigènes : ceux-ci portant le gros turban et

la soutaneile arabe des prêtres dont ils ne diffèrent que

par la couleur foncée de leurs vêtements ; ceux-là revêtus

de l'inévitable habit noir. Le gibet est juste en

face, à cinquante pas environ ; un chemin sablé le relie

au pondok des magistrats. L'infâme machine se compose

d'un énorme madrier, garni à sa partie supérieure de

chevilles en bois et supporté par deux pieds droits fortement

arc-boutés, et d'une grosse échelle en forme de

hauban : toute cette charpente est peinte en noir, excepté

les chevilles qui sont blanches. A gauche de la

potence, se dresse un poteau également noir et destiné

à la fustigation ; il est surmonté d'une poulie munie de

sa corde. Une batterie d'artillerie, mèche allumée, se

tenait en face de la justice, à cinquante pas en arrière

de la potence ; à gauche, et formant angle droit avec

celle-ci, une autre batterie d'artillerie. J'avoue n'avoir

pas compris cette disposition. Partout du reste on voyait

des haies de soldats de toutes sortes.

On comprenait Ijientôt toutes ces précautions menaçantes,

en regardant la foule indigène qui s'étendait au

Amuck (ellet Je l'opium sur 1

loin, innombrable, farouche et consternée , et dont le

silence, à peine interrompu par de sourds murmures,

était gros de colères et de dangers,

quoiqu'une ordonnance

de police eût expressément interdit de porter des

armes ce jour-là. Quant aux rares Européens qui se

trouvaient là, ils n'étaient pas beaucoup plus gais, mais

j'eus la satisfaction de constater qu'il n'y avait pas une

femme parmi eux. Ce fut dans cette seule circonstance

que je pus observer sur la physionomie des malheureux

Indiens, ordinairement si patients sous le joug,

quelques symptômes de révolte contre ceux qui, sous

prétexte de civilisation, leur en font un si lourd k porter.

Cependant le cortège arriva sur la grande place. 11

était ouvert par un détachement de garde indigène à

cheval, suivi d'un nombre égal de cavaliers européens :

ceux-ci surveillaient ceux-là; après un espace libre, venaient

douze ou quinze prêtres musulmans, en grand

costume blanc; puis les deux condamnés à mort : ils

Dessin de MM. de Molins et Doerr.

marchaient le visage découvert, vêtus de blanc, couronnés

de fleurs, des bouquets de (leurs attachés aux mains,

des guirlandes de fleurs passées autour du cou. Ils

étaient entourés de hallebardiers indigènes à pied et à

cheval, également suivis d'un fort détachement de cavalerie

européenne. La femme saluait la foule et lui souriait;

l'homme, contrairement aux habitudes des musulmans

qui sont presque tous héroïques devant la mort,

était tout à fait anéanti, et, dès qu'il aperçut le gibet,

s'évanouit entre les bras des aides du bourreau. Ceux-ci

étaient de simples opazes, soldats javanais qui font les

fonctions do gendarmes ; leur costume est ce qu'on peut

imaginer de plus ridicule; en effet, quoiqu'ils aient conservé

les coiffures indiennes, ils portent un uniforme

européen bleu et jaune, confectionné en Hollande, laid,

gênant, trop grand pour eux, grotesque, et, de plus, ils

s'embarrassent les jambes d'un sabre dont ils ne sa\ eut

pas se servir.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!