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262 LE TOUR DU MONDE.
A quelque distance des faubourgs de la ville, j'avais
pu voir une modeste hôtellerie javanaise, tenue par un
homme et sa femme. Rien, dans l'aspect de la maison
ni dans la physionomie des hôtes, n'était fait pour inspirer
des soupçons ; la cabane
,
propre et bien tenue,
respirait l'aisance et presque la riche.sse, et les hôteliers,
plus affables que la plupart des Javanais, savaient
attirer chez eux de nombreux clients.
Les voisins parlaient bien à mots couverts de sortilèges
et de manœuvres mystérieuses au moyen desquels
nos aubergistes auraient acquis la meilleure partie
de leur fortune ; mais on pouvait mettre ces propos
sur le compte de la jalousie cpje fait naître en tout
pays la propriété du prochain.
Mais un beau jour, des bruits plus sinistres, des accusations
plus précises commencent à circuler. Une
petite fille du quartier a disparu ; toutes les recherches
pour la retrouver sont demeurées sans résultat,
et la voix publique affirme que c'est dans l'hôtellerie
qu'elle a été vue en dernier heu, (|u'elle y a été assassinée.
Ces bruits ne tardèrent pas à prendre une
telle consistance que la justice s'en émut, et après
quelques informations, fit jeter les deux hôteliers en
prison et fermer leur boutique.
L'instruction ap])rit malheureusement que le crime
n'était que trop vrai, et de plus qu'il avait été précédé
de plusieurs crimes semblables.
Voici du reste ce que l'un des juges me raconta à ce
sujet.
Un jour, un pauvre prêtre (hadji, pèlerin) s'arrête
sur le seuil de la cabane javanaise et demande l'hospitalité
cju'on s'empresse de lui accorder ; il s'établit
dans le domicile de ses hôtes et y reste plusieurs semaines
sans s'inquiéter des fi-ais et de la gène qu'occasionnait
son séjour et sans jamais parler d'argent. Enfin,
après avoir bien bu, bien mangé, et s'être reposé
tout à loisir, il se décide à se remettre en route ;
mais
avant de partir, il s'adresse à ses bienfaiteurs et leur
Coiiïure javanaise,
avoue qu'il n'a pas d'argent pour payer leur hospitalité;
mais il ajoute que certains conseils valent mieux que
tout l'or du monde et qu'il veut leur en donner un excellent.
<r Si vous voulez devenir riches, leur dit-il, sachez
qu'il suffît pour cela de vous procurer tous les ans une
petite fille de sept à dix ans, de la tuer et de répandre
son sang sur le sol de votre cabane ;
puis de l'enterrer
profondément sous l'emplacement même de votre balibaii.
Vous verrez alors prospérer vos affaires, et, avant
peu d'années, vous serez riches, considérés de tous, et
vous vivrez heureux et longtemps. »
Ije miséi-able prêtre ne fut que trop écouté, et les
perquisitions de la justice amenèrent la découverte de
plusieurs cadavres d'enfants qui tous avaient été égorgés
par ces fanatiques et enfouis dans le sol de leur habitation.
Les deux assassins furent condamnés à être
])endus ; et deux autres individus qui ne paraissaient
pas être coiiijjlélcmenl étrangers à cette suite do cri-
Coiffure malaise. — Dessin de M. de Molins.
mes, furent également condamnés, l'un à porter un anneau
de fer rivé au cou, l'autre à recevoir vingt-cinq
coups de roting ;
tous deux devaient être ensuite envoyés
aux galères. Quant au prêtre, l'instigateur de
tous ces meurtres, on ne put pas parvenir à savoir ce
qu'il était devenu.
Cependant le tribunal conservait quelque doute sur le
degré de complicité de la femme et montrait quelques
bonnes dispositions à son égard. Le gouverneur général,
alors en passage à Soèrabaija, comme nous l'avons dit
plus haut, lui avait même fait promettre sa grâce si elle
consentait à faire des aveux complets. Mais, à toutes les
ouvertures qu'on lui fit à cet égard, elle s'entêta à répondre
que, a puisqu'on l'avait condamnée sur de simples
présomj)lions, on devrait le faire bien plus justement
après des aveux ; » raisonnement qui ne manquait
nullement de logique.
Le jour de l'exécution fut lixi', cl je résolus d'y assister,
comjjrenant (juo mon devoir d'observateur m'imjio-