LE TOUR DU MONDE 1864 viaje a españa
260 LE TOUR DU MONDE.dans une petite Loite : deux d'entre elles étaient les pèreet mère de la jeune famille issue de cet heureux hymen.Il résulte des renseignements que j'ai pu recueillir àce sujet que les Indiens et les Chinois possèdent uneespèce de perles, toute semblable à celle des perles fines ;qu'ils en distinguent le sexe, enferment un mâle et unefemelle dans une boite avec quelques grains de riz d'unesorte particulière; et qu'au bout d'un temps plus oumoins long, la perle femelle se déforme légèrement surun des points de sa surface. L'excroissance, d'abord trèspetite,ne tarde pas à devenir plus visible; elle grossit,s'arrondit et se sépare bientôt de la perle mère pourcontinuer à ^•iv^e et à prospérer à son tour. Il suffit,pour élever ainsi une famille de perles, de lui donnerrégulièrement la nourriture qui lui convient, desbains d'eau de mer au moins trois fois par semaine,et de la tenir à l'abri des odeurs fortes, comme cellesdu tabac, de l'ambre et surtout de l'eau de Cologne.C'est aux naturalistes de vérifier le fait, je le répète ;pour moi, j'ai vu et je raconte, et tous les Européens quisont allés à Java pourraient témoigner de l'exactitudede mon récit.Comme le lecteur a déjà dû le remarquer, ce fui àSoërabaija que je pus obsen-er de près les mœurs javanaisesproprement dites. Je viens de vanter, comme ilsle méritent, l'intelligence de ces peuples si injustementappelés sauvages, leurs ressources, leur art,leur industrie;mais il me reste à dire maintenant quelques-unsdes crimes auxquels, comme dans nos milieux civilisés,les poussent leurs passions ou leurs intérêts, et à enfaire comprendre le caractère particulier.Un jour, à l'hôtel Schmidt, au moment où nous nousmettions à table, nous entendîmes au dehors d'épouvantablescris de terreur qui nous firent tous tressaillir.Nous nous élançons aussitôt hors de la salle àmanger, et nous voyons passer devant nous, rapideLes galériens. — Dessin de M. de MûIïqs.comme la flèche, un homme, un indigène, brandissantun kriss, et dont la physionomie exprime la plusgrande fureur.n ,4mok ! amok ! » crie-t-on de tous les côtés. Maisdéjà il a disparu.Au même instant, et tandis que plusieurs d'entre uousfugitif, apparaît à nos yeux une femmecourent après leen pleurs, ayant tous les cheveux coupés à la hauteurde la nuque. Je n'eus pas le temps d'en voir davantage,car déjà hjchmidt me faisait monter en voiture auprèsdo lui et lançait ses chevaux sur la trace du malheureuxPartout, sur notre passage, semblait régner la plusgrande terreur : ce n'étaient que gens effarés se sauvantdans toutes les directions ou rentrant précipitammentdans leurs maisons. En moins de temps qu'il ne fautpour le dire, la rue était devenue déserte ;seuls, deshommes armés de fourches et de lances se tenaientblottis dans les petits hangars que l'on voit dans tous lescarrefours de Soërabaija, et l'un d'eux, une massette àla main, frappait à coups redoublés sur un gros cylindrede bois creux, suspendu par l'une de ses extrémités à lacharpente du hangar.Au détour d'une rue, j'aperçus de loin le furieux àmoitié nu, les cheveux dénoués, courant de toutes sesforces, et poursuivi par une troupe d'hommes portantaussi des lances et des fourches : ils passèrent commeun tourbillon.Bientôt après on vint nous dire qu'il était pris, etnous rentrâmes à l'hôtel.Voici maintenant l'explication de ces scènes terribles,à l'une desquelles j'avais déjà assisté à Batavia.Le Javanais, quoi qu'on en dise en Europe, est généralementdoux et timide. Aussi lorsqu'il conçoit la penséed'un crime, a-t-il besoin, pour s'exciter à le commettre,de recourir à l'ivresse ; il choisit la plus terrible,
LE TOUR DU MONDE.celle de l'opium, et une fois sous l'empire de ce funestepoison, il court se précipiter, le kriss à la main, sur lavictime qui a excité sa haine et l'égorgé sans pitié. Alais,jamais assouvi par ce premier meurtre, il se met alorsà courir au hasard, tuant ou blessant tous ceux qu'ilrencontre. On a vu des Indiens, ivres d'opium, assassinerjusqu'à quinze et dix-sept personnes. C'est ce qu'onappelle faire amok.Dès que le cri ; Amok! se fait entendre dans un kampong,les veilleurs de nuit et la garde urbaine prennentimmédiatement les armes; les uns frappent le Ihongtliong,les autres poursuivent le fugitif. On se rendd'abord maître de lui à l'aide de ces grandes fourchesdont j'ai parlé plus haut et qu'on nomme bandhUl, etordinairement on l'exécute séance tenante '.Ce ne fut que le lendemain que j'appris l'histoire decet amok, le nom du malheureux fou, la cause de soncrime et le nombre de ses victimes.Ali, cuisinier de l'hôtel Schmidt, était un bon serviteurque son zèle et son honnêteté avaient déjà fait apprécieret estimer de tous. Bien payé, considéré par. sescompagnons et par ses maîtres, Ali avait tout ce qu'ilfaut pour être heureux. Mais il aimait; il aimait Léda,sa petite cousine, Léda, aussi belle qu'insensible. Vainementil lui avait fait les plus brillants cadeaux : sahrongsaux riches couleurs, bagues en malachite, braceletsen argent niellés et ciselés ;vainement il chantaitles charmes de la cruelle jeune fille, ses dents noires,ses joues dorées comme l'écorce du mangoustan, sesyeux de charbon, ses sourcils arqués comme la feuillede siry. Léda refusait toujours de lui donner sa noiremain.Tout à coup, il apprend que Léda, au mépris d'unepassion aussi sincère, épouse Naidinn, un rival indignede lui, un rival auquel il n'aurait pas songé, et qui n'ad'autre séduction que les belles roupies toutes neuvesqu'il entasse dans son coffre de bois de camphre. Indignéd'une pareille ingratitude, Ali jure de se vengerd'une manière sanglante; il fait amok, c'est-à-dire s'enivred'opium, court chez sa maîtresse en brandissant sonkriss, le terrible poignard malais en forme de tlanime,et essaye de lui trancher la tête, mort à laquelle la malheureusen'échappe qu'à cause de l'épaisse chevelure qui1. Le bandhill est une arme neutre extrêmement ingénieuse.C'est une fourctie dont les deux branches sont garnies d'une plantpépineuse (doéri), de manière à ce que les épines, tournées dans lesens du manche, pénétrent dans les chairs du patient, et nonseulementl'empêchent de s'échapper, mais paralysent tous sesmouvements et le rendent d'une docilité parfaite. L'homme leplus furieux est subitement dompté par l'horrible douleur que luicausent, quand il est enfourché par le bandhill, les milliers d'épinesqui lui labourent les côtes; il suit alors comme un chien celuiqui tient le manche de cette arme, redoutée à si juste titre desindigènes. On ne délivre le prisonnier qu'en dénouant les ligaturesde roting qui retiennent autour ries branches de l.n fourcheles joncs épineux en question.préserve son cou. Ali, tout à fait en démence, s'élancealors par les rues de Soërabaija et frappe plus ou moinsgrièvement plusieurs passants inoffensifs.Arrêté par la garde urbaine, comme nous l'avons dit,Ali fut mis en prison, puis jugé et condamné par un tribunaljavanais, assisté, selon la coutume, d'un tribunalhollandais, chargé de commuer en peine de mort pureet simple les supplices atroces ordonnés par les premiersjuges d'après les anciennes lois indigènes.Les deux causes de presque tous les crimes que commettentles Malais, sont la jalousie et le fanatisme. Jeviens de faire voir les effets désastreux que peut produirela première de ces passions sur ces natures ardenteset primitives ;qu'il me soit aussi permis de raconterun autre drame dont la superstition avait été leprincipal mobile , et qui se dénoua devant la justicependant mon séjour à Soërabaija. Ce forfait, d'ailleurs,est très-exceptionnel.
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dans une petite Loite : deux d'entre elles étaient les père
et mère de la jeune famille issue de cet heureux hymen.
Il résulte des renseignements que j'ai pu recueillir à
ce sujet que les Indiens et les Chinois possèdent une
espèce de perles, toute semblable à celle des perles fines ;
qu'ils en distinguent le sexe, enferment un mâle et une
femelle dans une boite avec quelques grains de riz d'une
sorte particulière; et qu'au bout d'un temps plus ou
moins long, la perle femelle se déforme légèrement sur
un des points de sa surface. L'excroissance, d'abord trèspetite,
ne tarde pas à devenir plus visible; elle grossit,
s'arrondit et se sépare bientôt de la perle mère pour
continuer à ^•iv^e et à prospérer à son tour. Il suffit,
pour élever ainsi une famille de perles, de lui donner
régulièrement la nourriture qui lui convient, des
bains d'eau de mer au moins trois fois par semaine,
et de la tenir à l'abri des odeurs fortes, comme celles
du tabac, de l'ambre et surtout de l'eau de Cologne.
C'est aux naturalistes de vérifier le fait, je le répète ;
pour moi, j'ai vu et je raconte, et tous les Européens qui
sont allés à Java pourraient témoigner de l'exactitude
de mon récit.
Comme le lecteur a déjà dû le remarquer, ce fui à
Soërabaija que je pus obsen-er de près les mœurs javanaises
proprement dites. Je viens de vanter, comme ils
le méritent, l'intelligence de ces peuples si injustement
appelés sauvages, leurs ressources, leur art,
leur industrie;
mais il me reste à dire maintenant quelques-uns
des crimes auxquels, comme dans nos milieux civilisés,
les poussent leurs passions ou leurs intérêts, et à en
faire comprendre le caractère particulier.
Un jour, à l'hôtel Schmidt, au moment où nous nous
mettions à table, nous entendîmes au dehors d'épouvantables
cris de terreur qui nous firent tous tressaillir.
Nous nous élançons aussitôt hors de la salle à
manger, et nous voyons passer devant nous, rapide
Les galériens. — Dessin de M. de MûIïqs.
comme la flèche, un homme, un indigène, brandissant
un kriss, et dont la physionomie exprime la plus
grande fureur.
n ,4mok ! amok ! » crie-t-on de tous les côtés. Mais
déjà il a disparu.
Au même instant, et tandis que plusieurs d'entre uous
fugitif, apparaît à nos yeux une femme
courent après le
en pleurs, ayant tous les cheveux coupés à la hauteur
de la nuque. Je n'eus pas le temps d'en voir davantage,
car déjà hjchmidt me faisait monter en voiture auprès
do lui et lançait ses chevaux sur la trace du malheureux
Partout, sur notre passage, semblait régner la plus
grande terreur : ce n'étaient que gens effarés se sauvant
dans toutes les directions ou rentrant précipitamment
dans leurs maisons. En moins de temps qu'il ne faut
pour le dire, la rue était devenue déserte ;
seuls, des
hommes armés de fourches et de lances se tenaient
blottis dans les petits hangars que l'on voit dans tous les
carrefours de Soërabaija, et l'un d'eux, une massette à
la main, frappait à coups redoublés sur un gros cylindre
de bois creux, suspendu par l'une de ses extrémités à la
charpente du hangar.
Au détour d'une rue, j'aperçus de loin le furieux à
moitié nu, les cheveux dénoués, courant de toutes ses
forces, et poursuivi par une troupe d'hommes portant
aussi des lances et des fourches : ils passèrent comme
un tourbillon.
Bientôt après on vint nous dire qu'il était pris, et
nous rentrâmes à l'hôtel.
Voici maintenant l'explication de ces scènes terribles,
à l'une desquelles j'avais déjà assisté à Batavia.
Le Javanais, quoi qu'on en dise en Europe, est généralement
doux et timide. Aussi lorsqu'il conçoit la pensée
d'un crime, a-t-il besoin, pour s'exciter à le commettre,
de recourir à l'ivresse ; il choisit la plus terrible,