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Tout rentre alors dans l'ordre primitif et les défis singuliers
commencent. Deux ou quatre cavaliers se détachent
de la masse et s'élancent dans l'arène; ils se menacent
de la lance, fondent les uns sur les autres, s'évitent,
se poursuivent, se rencontrent de nouveau, jusqu'à ce
que le plus adroit ait désarçonné son adversaire ou culbuté
du même coup l'homme et le cheval.
Tous ces exercices qui se prolongèrent fort longtemps,
me prouvèrent que les Javanais connaissent aussi bien
que nous les lois de l'équitation, quoi qu'on ait pu dire
de leur ignorance à cet égard.
Mais après la partie sérieuse et dramatique,
LE TOUR DU MONDE.
voici la
charge et la plaisanterie. Des chevaux libres, sur lesquels
sont attachés des mannequins représeplant des
Chinois, des Malais et aussi, disons-le, des officiers hollandais,
sont lâchés dans l'arène aux éclats de rire de la
foule. Rien de plus comique que de voir ces jeunes chevaux,
d'abord effrayés, qui viennent se flairer mutuellement
les naseaux, et après avoir fait connaissance, se
mettent à jouer ensemble comme des espiègles qu'ils
sont, sans s'inquiéter le moins du monde si les fardeaux
qu'ils portent sont ou non en place, sur leurs dos, sous
leurs ventres, ou dans toute autre position ridicule et
périlleuse.
La fête se termine ainsi. Le régent descend de cheval
et se fait mettre ses pantoufles par un des hommes de sa
suite; car, j'ai oublié de le dire, les cavaliers sont nupieds
à cheval et pincent l'étrier entre le pouce et les
autres doigts du pied. Le régent se rend auprès du gouverneur
général , et tous deux passent en revue la garde
d'honneur, qui exécute sur leur passage, en façon de salut,
les mouvements et les balancements de lances les
plus extraordinaires.
Cette fête équestre m'intéressa d'autant plus vivement
que j'avais déjà été à même d'apprécier les qualités des
chevaux du pays. En effet, j'avais eu la chance, à Ratavia,
d'acheter pour cent dix roupies un joli attelage de petits
chevaux guenhungs , originaires des montagnes, comme
leur nom l'indique. Ce bas prix prouve que leur race, si
estimée à Calcutta, n'est pas plus en honneur dans sa
patrie que les prophètes dans la leur. Quant à moi, je ne
comprends pas le motif du mépris qu'on leur témoigne
à Java; ils sont souples, robustes, pleins de feu et d'ardeur,
et surtout ils supportent le climat bien plus facilement
que les chevaux de Sandalwood et de Macassar ;
et, à part quelques fredaines bien pardonnables à de
très-jeunes animaux, je n'ai eu qu'à me louer des miens.
Voici du reste leur signalement : grosse tête, ventre ballonné,
jambes fines et musculeuses, poil lisse et brillant;
les couleurs des robes sont les mêmes que celles
des chevaux arabes. On les nourrit avec de l'herbe et
quelques poignées de riz en guise d'avoine.
Ici, la race la plus rare et la plus estimée est celle des
chevaux sunda; leur rapidité à la course, leur vigueur
et leur vaillance, expliquent assez cette préférence. Us
sont de la taiile des chevaux corses, ont une croupe de
lion, et la crinière et la queue énormes et ondulées. J'ai
vu un de ces animaux, dans un accès de fureur, franchir
d'un seul bond une barrière de deux mètres et demi
environ.
A Soèrabaija, on voit plus d'animaux curieux que dans
les autres parties de l'île de Java; la proximité relative
de cette ville et ses relations constantes avec Rornéo et
les Molluques en sont la cause.
Un jour, je fus invité à aller voir un jeune couple
d'orangs-outangs nouvellement arrivés de Rornéo. On
leur avait donné une vaste cour pour promenade, et une
grande caisse renversée et ouverte sur un de ses côtés
leur servait de chambre à coucher. Hauts d'un mètre dix
centimètres, ces deux animaux n'avaient du singe que la
partie inférieure du corps, et sans le poil roux qui recouvrait
le dessus de leurs têtes, leurs dos et l'extérieur
de leurs bras musculeux, je les aurais certainement pris
pour des Malais de petite taille,
ayant les jambes estropiées.
Leurs fronts et leurs visages nus et bruns, leurs
yeux d'un beau noir de charbon, fendus en amande et
un peu inclinés vers le nez, leurs mâchoires larges et
bien dessinées, et surtout la façon dont leurs dents sont
plantées, rappellent exactement les types distinctifs de
la race malaise; et pour ajouter encore à l'illusion sans
doute, je les vis saisir leurs aliments entre leurs doigts,
avec le geste particulier aux Indiens. La femelle, qui ressemblait
d'une manière frappante à la femme de mon
cuisinier de Ratavia, avait trouvé un petit panier de
bambou dont elle s'était fait un chapeau ;
mais ne comprenant
qu'imparfaitement l'usage de cet appendice, elle
ne le gardait qu'à l'ombre, et le portait sous son bras,
lorsqu'elle allait au soleil, avec l'élégance d'un jeune diplomate
portant son claque de soirée.
J'ai dit plus haut que je m'étais rendu acquéreur de
deux kakatoès; l'un d'eux me donna une preuve d'affection
et d'intelligence que je veux raconter ici.
Mes deux oiseaux avaient commencé par me rendre la
vie horriblement amère; je ne pouvais plus avoir un
instant de repos ;
c'était chez moi un tintamarre épouvantable
et continuel. Aussi avais-je fini par rendre le
plus tapageur des deux au marchand qui me les avait
vendus, espérant que la solitude calmerait celui que je
gardais.
Mais j'avais compté sans l'attachement d'un kakatoès
qui est content de son maître. Un jour que je m'étais
arrêté devant mon marchand, je me sentis tout
à coup escaladé par un oiseau qui s'attachait à ma
veste unguibus et rostro en entraînant après lui son perchoir
mobile. Vains efforts pour me débarrasser de la
pauvre bête qui m'avait reconnu et répétait pour m'attendrir
son répertoire malais et français ! Enfin j'eus
pitié démon kakatoès et de ses caresses, je le
rachetai et
l'emportai chez moi, où le concert recommença de plus
belle.
J'ai vu à Soèrabaija une curiosité d'histoire naturelle
tout à fait extraordinaire et encore assez peu connue,
quoique certains savants s'en soient déjà préoccupés.
Je veux parler des perles vives, qu'on nourrit avec du
riz et qui se reproduisent. J'ai vu, de mes propres
yeux vu, chez une dame européenne, sept perles réunies