You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
,
254 LE TOUR DU MONDE.
costume ordinaire des Javanais que par un nœud do
diamants, fixé au très-petit turban qui lui serrait la
tète, et par la belle boucle en orfèvrerie qui retenait la
ceinture de son sahrong.
Le soleil se couchait derrière la porte intérieure sous
laquelle passait le prince et la détachait en une belle
masse vigoureuse et grise sur le ciel incandescent or et
rose. Le parfum exquis de la fleur du camboclia que les
Indiens plantent sur les tombes, se répandait par ondulations
dans l'air limpide du soir; la figure pensive
du prince, l'attitude recueillie du prêtre qui le suivait,
le calme profond du cimetière, tout cela formait un
spectacle imposant et qui est resté fortement gravé dans
ma mémoire (voy. p. 256).
J'accompagnai quelque temps le radhen, que sa suite
attendait dehors et, pour la première fois, je fus témoin
du respect qu'il inspire aux indigènes. Hommes,
femmes et enfants se prosternaient sur son passage
le front contre terre, et ne se relevaient que lorsqu'il
était déjà loin. Ces démonstrations publiques envers un
l.omme me serrèrent le cœur, surtout en songeant que
cet homme prêtait les mains à l'asservissement de son
pays et vivait dans un luxe et une abondance payés par
l'or européen.
C'est dans le kampong javanais de Soërabaïja que se
fabriquent les objets en cuivre, tels que boites à bétel,
sébiles grandes et petites, et ces vases pour l'eau si
estimés des indigènes des autres parties de File.
Les oruements de ces diiférents objets sont d'un goût
cbarmaut et bizarre, et tout à fait national : ce sont
d'élégantes arabesques et des représentations très-naïves
et très-originales des animaux du pays, ainsi que de ses
fruits et de ses fleurs. Le tout est gravé dans le cuivre,
au marteau et en creux, au moyen de poinçons d'acier
])ortaut le relief de chaque ornement: c'est le contraire
du repoussé. Ce genre de travail se nomme en javanais
hlholhotok, parfaite onomatopée.
C'est encore là que se trouvent les orfèvres et les armuriers
indigènes: quand on a déjà vu les merveilleux
objets qui sortent de leurs mains, on reste stupéfait du
degré de simplicité auquel se réduisent l'outillage et
les ateliers de ces braves gens. Un marteau, une plaque
de plomb, quelques poinçons, un creuset primitif, voilà
pour les bijoutiers ; une enclume difibrme, une forge
impossible, voilà pour les armuriers. Jamais d'aides ni
d'ouvriers ; armes ou bijoux sont inventés et exécutés
par le même individu. Aussi faut-il s'y prendre longtemps
à l'avance ])our avoir des échantillons de leui'
savoir-faire, et moi-même, je n'ai pu rapporter eu Eul'opc
que des bijoux achetés d'occasion et aucun de ceux
que j'avais commandés.
8i les armes sont d'un damas moins fin et moins serré
que les damas de Perse et de Syrie, l'orfèvrerie est d'une
exécution infiniment plus délicate que celle des Orientaux
que nous connaissons. Les bijoux riches présentent
des nielles et des ciselures parfaites de goijt, de dessin
et de facture, et les bijoux plus ordinaires ne sont pas
moins remarquables : le repoussé est excessivement
saillant et la retouche au ciseau pratiquée avec une
adresse extrême.
Je visitai également l'un des plus grands ateliers où
l'on fabrique les sahrongs si recherchés des indigènes,
et, dans une vaste salle où étaient entassées jilus de cent
femmes, je vis dessiner et teindre quelques-unes de ces
belles étoffes.
Une fois dessinée au moyen de poncifs à jour et de
poudre de charbon , l'étoffe est ju-éparée pour la teinture;
à cet effet, on recouvre d'une couche de cire liquéfiée
par la chaleur toutes les ])arties du dessin que la
première couleur ne doit pas atteindre. Dès que la cire
a été solidifiée par une immersion d'eau froide, l'étoffe
est plongée dans une teintiu-e à froid qui mord partout,
excepté sur la cire que l'on fait
ensuite fondi-e et disparaître
dans un bain d'eau bouillante.; on recommence
alors à couvrir de cire les parties déjà teintes et ceux
des endroits intacts qui doivent ôtre préservés de la seconde
couleur, et, de résen-e en réserve, après plusieurs
semaines d'un travail rendu terrible par la chaleur des
réchauds destinés à entretenir la cire à l'état liquiçle, on
obtient enfin ces merveilleuses indiennes dont les tons
luttent d'éclat, d'harmonie et de richesse avec ceux des
plus précieux cachemires.
J'eus ainsi l'explication du prix élevé de ces étoffes, si
lentement et si difficilement exécutées. Un beau sahrong,
sans coulées de cire, sans taches, sans lunes (produites
par une goutte de cire tombée par mégarde hors du
dessin), vaut plus de cent francs, et n'a pourtant que
deux mètres et demi de long sur un mètre de large.
N'étant pas chimiste, je ne pus me rendre compte des
produits employés soit pour obtenir, soit pour fixer les
tons de ces étoffes'; mais ce que je puis assurer, pour
l'avoir ex])érimenté moi-même, c'est qu'ils sont à l'épreuve
des lavages les plus brutaux et les plus fréquents :
l'indienne s'use et se déchire ;
mais plus elle vieillit,
plus ses couleurs deviennent riches et vives.
Le produit naturel le plus intéressant du pays, tant
par les nombreux usages auxquels il se prête que par
l'intelligence industrielle qu'il donne aux indigènes occasion
de déployer, est certainement le bois de bambou.
Non-seulement il sert comme bois de charpente à la
construction des maisons, mais il en fournit aussi les
cloisons extérieures et intérieures. Pour ce dernier
I. 1,'ouvrage iiUlUilù : Description de Java, fm Kafjles et Crawfurd,
traduit de iangtais par HarcUat. Uruxelles, 1824, pourra
êti-e utilemeut consulté h ce sujet. J'en extrais les détails suivants
sur la composition de quelques-uns des tous des teintures indiennes.
Le bleu s'obtient au moyen du vin de l'aren {borassus gomulus);
le iioi'r, au moyen de l'écorce exotique ting'i et de celle du mangoustan
Igarcinia mango.\lana); il se fabii<]ue aussi à l'aide
d'autres infusions, et, en parliculier, de celle de la
paille de riz; le
rert est un mélange de bleu clair et d une décoction de legrang
(bois exotique), au(]uel on ajoute du vitriol; \e jaune est composé
de tegrang et d'écorcc de nangka (artocarpus iniegnfolia); enfin,
Vdcarlate s'obtient de la racine du wong-koudou (morinda umbellata);
mais,avant d'être plongée dans une infusion de celte plante,
renforcée d'écorce dejirak, l'étolTe a été préalablement boudlie
dans l'huile de wyen ou kamiri et lavée dans une décoction de merang
ou paille de pari. —Notons ici cette particularité que certaines
nuances d'étolTcs sont exclusivement réservées aux souverains.