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LE TOUR DU MONDE 1864 viaje a españa

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du paysage, la grandeur et la richesse de la végétation,

la splendeur du jour et la limpidité du ciel, l'Indien

doré, nu ou couvert de ses éblouissantes étoffes, attire

à lui tous mes regards, qu'il soit ou non au premier

plan, qu'il fasse seul un tableau ou qu'il ne soit qu'une

tache dans l'ensemble.

Parmi tant d'hommes à moitié vêtus , nous aurions

en Europe le spectacle de bien des difformités et de

bien des plaies. Ici, ce ne sont que robustes épaules,

torses tins et musculeux, et surtout mollets formidables.

Malheureusement les extrémités laissent à désirer, et

particulièrement les pieds qui sont larges et plats, et

dont les doigts écartés sont très-désagréables à voir. D'ailleurs,

ce qu'il y a peut-être de plus remarquable dans

l'Indien, c'est ce teint mat et bistré qui ne tire sa véritable

coloration que du milieu où il se trouve. Le Malais,

sur un chemin blanc, paraît presque noir; sur la mer

bleue, on le dirait frotté de poussière de brique rouge ;

près des végétations, il se revêt de tons violacés et

rose tendre. Voyez, dans cette plaine , s'ébattre, sous

l'ardente chaleur du soleil, ces enfants complètement

nus, malgré leurs dix ou douze ans. Ne dirait-on pas de

beaux bronzes antiques, tant leurs formes sont pures et

leurs poses gracieuses? Remarquez la démarche onduleuse

et vacillante de ce beau Malais, en turban, en

veste verte collante, en jupe grise zébrée d'arabesques :

la tète de cet homme est vraiment belle. Il a le visage

ovale, les yeux en amandes, sombres et brillants, et un

peu inclinés vers le nez, Cn et droit comme un nez grec;

la bouche est grande et ombragée d'une moustache

mince, lisse, et d'un noir de charbon ;

le front haut et

large est d'un modelé exquis. Sans doute tous ne sont

pas aussi beaux ; voilà bien des bouches démesurées,

des mâchoires énormes, des fronts fuyants et bas, des

types sauvages enfin; mais on retrouve toujours, chez

les moins favorisés, de magnifiques yeux noirs, des

cheveux soyeux et lustrés, et surtout des formes admirables.

Quant aux costumes et aux coiffures des indigènes, j'ai

tant de peine à m'en rendre compte que je ne puis pas

encore distinguer les hommes des femmes. Je vois beaucoup

de chapeaux de bambou, tous parfaitement tressés;

il y en a de toutes sortes : des ronds, des pointus, des

grands, des petits ; des boucliers, des éteignoirs et des cuvettes.

Quelques individus portent des vestes arabes et de

larges pantalons ; d'autres sont nus, sauf une manière de

caleçon ; d'autres ont les reins drapés dans un morceau

d'indienne qui dessine le corps ; d'autres enfin portent

une jupe très-étroite, d'un efiet très-pittoresque, mais

qui me déroute complètement. Eh bien, ces caleçons, ces

pantalons, ces jupes, les Indiens les ont trouvés dans

les plis de leur sahrong, large pièce d'une étoffe entièrement

conçue et fabriquée dans le pays, et dont les

dessins et les couleurs, toujours d'un goiît étrange et

charmant, sont variés à l'infini. En définitive je prévois

qu'avant de les peindre, il me faudra faire une étude

spéciale de ces singuliers ajustements.

LE TOUR DU MONDE. 243

J'en étais là de mes observations, quand je dus traverser

un des quartiers les plus intéressants de Batavia,

la ville chinoise. J'étais sur les bords d'un canal oii glissaient

de longues embarcations malaises : je voyais d'un

côté une ligne de maisons chinoises dont je pouvais admirer

à loisir tous les détails, et sur l'autre rive, une

suite de murs, couronnés d'un très-joli ornement en

maçonnerie, qui reproduit, en les doublant, la forme

des portes percées de loin en loin. Des bouquets de joncs

sortent de l'eau , des touffes de verdure s'étalent sur le

sol, grimpent aux troncs des cocotiers, et retombent sur

les toits et les murailles dont l'image tremble et scintille

en se mirant dans la rivière. Le paysage est partout

animé par les figures basanées des indigènes qui vont et

viennent sans cesse dans cette travailleuse cité.

Ma surprise était extrême, car j'ignorais complètement

que les Chinois eussent apporté à Java leurs mœurs,

leurs costumes, leur architecture. Gomment! ce sont ces

pauvres émigrants, chassés de leur pays par la force de

la misère, qui ont fondé cette puissante colonie, construit

ces ponts, ces canaux, ces pagodes, qui entretiennent ce

commerce, cette industrie, ce luxe ! Et tout ici est bien

chinois : on pourrait se croire dans la ville de Nangking.

De tous côtés s'ouvrent de larges rues, garnies de maisons

dont les formes varient à l'infini

et dont les façades

sont recouvertes des couleurs les plus vives, des sculptures

les plus originales. Les rez-de-chaussée sont affectés

aux boutiques et aux magasins ;

mais là, encore,

l'œil est charmé par l'éclat des étalages, des dorures,

des laques noirs, bruns ou rouges, et aussi par ces belles

inscriptions verticales en or mat que l'on voit partout.

On ne peut guère donner à un Européen une idée

exacte du bruit, du mouvement, de l'activité qui régnent

dans le Kampong chinois : on y boit, on y mange, on y

vend, on y achète, on s'y dispute, on s'y bat, on s'y fait

raser, au milieu d'un va-et-vient sans pareil de marchands

ambulants, de cuisines portatives, de gens à pied, à cheval,

en palanquin, de convois de coolies qui se croisent,

s'entre-choquent, s'arrêtent, se poussent et se pressent.

Quant à moi, le vertige me prend. Je suis suffoqué par

les mauvaises odeurs, étourdi par les cris, je demande

au ciel la grâce d'échapper vivant au tourbillon qui m'entraîne,

et à peine en suis-je dehors que je me promets

d'y revenir souvent, tant j'ai déjà entrevu de choses

étranges et nouvelles.

De retour à l'hôtel, et après la sieste d'usage, je suis

réveillé à quatre heures par Ahmatt portant son éternel

plateau, et après m'être restauré, me voilà, comme

installé devant ma porte et assailli de nouveau

la veille,

par mes marchands d'hier qui étalent devant moi mille

objets disparates et certainement bien étonnés de se

trouver réunis ainsi à quatre mille lieues de leur patrie.

Ce sont des chapeaux gibus, des confitures plus que

tournées, des couteaux, des canifs, de la parfumerie,

des fouets, des lanternes, des harmonicas, des conserves,

des souliers en caoutchouc, des gilets de laine tricotés et

jusqu'à des chaussons de lisière.

Celui de ces modestes négociantsdont le type me paraît

peut-être le plus pittoresque, est le marchand de paniers

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