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LE TOUR DU MONDE 1864 viaje a españa

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£38 LE TOUR DU MONDE.

des Indiens, surpissant de toutes paris, tourmillant sur les

quais, m'offraient un spectacle bien fait jjour me distraire

de mes tristes préoccupations. Rien de plus étonnant en

effet que l'aclivité de ces populations endurcies aux rigueurs

d'un soleil qui nous énerve et qui nous tue. Devant

cette multitude, agglomération d'individus sans lien

moral , on songe malgré soi h ce que deviendraient dans

ce pays les habitants européens, forts de leur seule intelligence,

si un jour, animée d'une pensée commune

d'indépendance, elle se révoltait contre ses maîtres.

Je fus tiré de ces réflexions par la variété des embarcations

stationnant autour de nous : c'étaient des jonques

chinoises, décorées d'cflilés de soie rose ou gris perle,

ornées à l'avant de deux gros yeux ronds et louches,

peintes de longues bandes rouges et noires qui s'enlevaient

en vigueur sur le fond neutre de leurs coques ;

c'étaient des balancelles arabes, dont l'arrière élevé était

couvert de ciselures, rehaussé de dorures et peint de

tons verts et rouges, d'un aspect brutal et tendre tout

ensemble; c'étaient des pirogues creusées dans un seul

tronc d'arbre, polies et argentées par le contact de la

mer; des bateaux de pèche malais et javanais ornés de

leurs gracieux flotteurs de bambou jaune ou brun foncé;

enfin quelques rares embarcations françaises ou hollandaises,

noires et pauvres de formes, qui contrastaient

avec cette brillante escadrille de l'exlrême Orient.

Tout concourait à m'enchanter et à m'éblouir. Sur

le quai, des troupeaux de coolies, uniformément vêtus

de bleu, la tête ombragée par un immense chapeau, travaillaient

à réparer les murs sans cesse endommagés par

les empiétements continuels des eaux. L'a, des Chinois

au teint citron, en jaquettes et en pantalons blancs,

tiraient péniblement du ventre gonflé de leurs baroques

navires des paniers de porcelaines luisantes et des caisses

de thé qui miroitaient au soleil. Ici, un Arabe, drapé

dans sa robe de soie vitdette à raies d'or, impassible au

milieu du mouvement général, inscrivait sur un carnet

les ballots faits de nattes qu'un défilé de porteurs entassaient

sans relâche autour de lui. Plus loin, des groupes

compactes de créatures humaines manœuvraient

de lourds moutons et enfonçaient un pilotis dans le sol

mouvant en réglant leurs efforts sur un chant monotone

et plaintif. De temps en temps le sifflement du roting

tombant sur les épaules nues des travailleurs me faisait

tressaillir et m'indiquait la source de cette fiévreuse

activité. Car, aussi loin que l'ceil pouvait s'étendre, on

ne voyait qu'agitation et labeur. Une fourmilière, ravagée

par le bâton d'un enfant barbare, peut seule donner

une idée de cette cohue humaine se démenant en

tous sens sous les coups et sous la nécessité.

Nous vîmes alors le télégraphe maritime et les toits

allongés des factoreries hollandaises, et sur la gauche du

canal, une sorte de batterie à quelque distance de la-

([uelle se trouvait un pavillon bas, ouvert sur l'eau et y

donnant accès par un large escalier.

« Do'cm Kitjil, me dit le ])atron.

— Boëm Kiljil! » répondis-je , sans savoir le moins

du monde que je disais : la ])Clite douane.

Enfin je touchai la terre! j'étais rôti, mais très-heureux

de sentir sous mes pieds quelque chose de plus

ferme que les planches d'un navire. On entasse mes bagages

dans le hangar que l'on honore du nom de douane

et on me fait signe d'attendre. De grands Indiens, pénétrés

de l'importance de leurs fonctions, traversent

gravement la cour couverte où je prends patience.

J'ai

tout le temps d'observer leurs costumes : ils sont vêtus

de vestes orientales d'un drap bleu foncé, de larges pantalons

blancs à dessins roses, bleu clair, ou violet pâle,

par-dessus lesquels ils portent une ceinture retroussée

par un coin, comme un tablier posé de travers ; il y en a

des gris de fer , des capucines, des noires , des rouge

sang; toutes sont couvertes d'arabesques plus foncées

que la couleur dominante. Gomme coiffure, ils ont la

tcte enroulée dans un très-petit turban noué sur les

tempes, et souvent de la même couleur que les ceintures.

Quelques-uns d'entre eux sont chaussés de sandales

très-élégantes, mais la plupart marchent nu-pieds.

Le temps s'écoule ; la chaleur augmente et personne

ne vient. Je crie, je réclame, j'ouvre mes malles, comprenant

qu'il s'agit d'une visite; et je commence même à

me fâcher, quand arrive un monsieur, coiffé d'une casquette

pareille à celle dont Daumier a gratifié le Conslitutionnel

qui m'apprend que l'administration dont il

est un membre distingué me fait grâce de ses perquisitions.

Franchement, on aurait pu me le dire plus tôt.

Au moment de partir, pas le moindre véhicule pour

me transporter à Weltewreden, la ville européenne!

Aller à pied est chose impossible et cependant il faut

arriver à l'hôtel avant les heures brûlantes du milieu du

jour! Comment faire?... Une voiture passe; je me précipite

à sa rencontre. déception ! elle est occupée par

un commerçant qui vient au Boom pour ses affaires.

Heureusement ce monsieur comprend le français et il

me promet de m'envoyer la première voiture disponible

qu'il reucontrex-a. Enfin, après une demi-heure d'attente,

arrive une carriole crasseuse, chancelante sur ses

roues, attelée de deux petits chevaux à grosse tète, au

ventre ballonné, qui se buttent l'un contre l'autre,

comme des bœufs à la charrue. Quant au cocher, on dirait

un singe habillé d'une longue chemise d'indienne

rouge, aussi sale que déchirée , nu-pieds , coitïé d'un

vieux tromblon en fer-blanc, sans couleur ni forme, et

orné do l'aigrette de rigueur dont il paraît aussi fier

qu'un général de ses épaulettes. Son fouet seul révèle

une certaine coquetterie; c'est une longue cravache

peinte en noir et en rouge et relevée d'ornements dorés

d'un goût réellement très-fin.

Avant de monter dans ce singulier équipage, je cherche

h savoir le pi'ix de la course. Le conducteur me

désigne alors un vieux chiffon de papier, attaché à l'intérieur

de la capote, oîi je trouve pour tout renseignement

le prix de trois roupies et demi pom- la demi-journée,

soit sept francs de notre monnaie.

Nouvel embarras ! Le cocher refuse de prendre mes

bagages m'indiquant un groupe de coolies étendus à

l'omhre à ([uelques pas de nous. Mais les drôles se com-

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