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14 LE TOUR DU MONDE.
d'y observer à notre aise toutes les variétés de palmiers,
depuis ceux qui sont âgés de cent ans et au delà, jusqu'à
ceux qu'on venait de planter. On les place ordinairement
il une distance de deux mètres l'un de l'autre, et de préférence
dans les terres fortes, où ils prospèrent beaucoup
mieux que dans les terrains sablonneux ; on les arrose
avec de l'eau saumâtre, amenée au pied de chaque arbre
par des rigoles d'irrigation, et le sol, ainsi fertilisé, sert
également pour la culture des légumes et des céréales,
qu'on sème dans l'intervalle des arbres, et qui croissent
parfaitement à l'ombre, comme dans les provinces napolitaines
le blé croit à l'ombre de la vigne et des ormeaux.
On distingue deux sortes de palmiers : les mâles et les
femelles: les fleurs des premiers, qui sont blanches,
s'ouvrent au mois de mai , et il s'échappe une poussière
jaunâtre, le pollen, qui va féconder les femelles ;
cellesci
se chargent de fruits qui pendent gracieusement en
régimes au-dessous des palmes, et qui, dès le mois de
juin, prennent une belle teinte d'un jaune d'or; ces régimes,
tamaras, qui pèsent plusieurs kilogrammes, forment
pour chaque palmier un poi Is moyen de quatre
arrobas ,
près de cinquante kilogrammes. Or, comme
chaque arroba de dattes se vend ordinairement une dizaine
de réaux, on peut estimer le produit annuel d'un arbre
à quarante réaux, c'est-à-dire onze francs environ, et cela
pour les fruits seulement, car nous verrons tout à l'heure
comment on utilise les palmes. Le nombre des palmiers
des environs d'EIche qui produisent des dattes est évalué à
trente-cinq mille environ, et les statistiques locales portent
leur produit annuel à la somme de quatorze cent
mille réaux, plus de trois cent soixante mille francs.
Nous voulûmes goûter des dattes d'EIche, qui nous
parurent assez bonnes
,
quoique inférieures à celles
d'Afrique ; ce qui est certain , c'est qu'elles sont fort
nourrissantes, car bien que nous en eussions mangé fort
modérément, il nous fut tout à fait impossible de déjeuner
ce jour-là. O'iti'e les dattes, les palmes sont encore
un produit assez important : on utilise celles des femelles
qui ne produisent pas de fruits et celles des mâles : ces
palmes sont expédiées dans toutes les parties de l'Espagne,
où elles servent pour la cérémonie du Domingo de
Ramos: on les açonne avec un art tout particulier; on
les roule, on les frise, on les contourne de manière à
former des volutes, des festons et toutes sortes de dessins
variés de la plus grande éh'gance , et elles servent
à orner les balcons des maisons : suivant une croyance
populaire, ces palmes ont la vertu de préserver du feu
du ciel , aussi est-il peu de maisons qui n'aient leur
palme tutélaire. Du reste ,
l'Espagne ne consonime pas
à elle seule les palmes d'EIche : on les envoie pour le
dimanche des Rameaux jusqu'à Rome, où elles font
concurrence à celles de Bordighera, de San-Rerao et
autres endroits de la côte ligurienne.
Tous les ans, peu de temps avant les fêtes de Pâques,
quelques habitants d'EIche, plus entreprenants que
leurs compatriotes, se dirigent vers le port d'Alicante,
après s'être munis d'un chargement considérable de
palmes qu'ils ont tressées et ornées pendant la saison
d'hiver. D'.\licante ils s'embarquent pour Marseille, et
à peine débarqués dans le grand port de la Méditerranée,
leur premier soin est de chercher à louer pour une
quinzaine de jours quelque magasin vacant, ou un emplacement
libre dans une de ces nombreuses et splendides
constructions qui s'élèvent chaque jour comme par
enchantement, et qui ne tarderont pas à faire de Marseille
la seconde \ille de France. Une fois que nos habitants
d'EIche ont trouvé une place convenable dans
un quartier fréquenté, ils s'empressent d'étaler aux
yeux des promeneurs leur marchandise d'tm nouveau
genre, qu'ils savent disposer avec un art et un goût tout
particuliers.
La dernière fois que nous nous arrêtâmes à Marseille,
nos regards furent attirés par une de ces boutiques improvisées,
qui était garnie d'une infinité de palmes de
toutes formes et de toutes dimensions : quelques-unes,
dont la hauteur arrivait jusqu'à plusieurs mètres, se
faisaient remarquer par un luxe d'ornementation vraiment
extraordinaire : des nattes habilement tressées,
des nœuds aux combinaisons les plus ingénieuses, alternaient
avec des feuilles de clinquant aux couleurs variées
et éclatantes, et formaient toutes sortes de dessins fantasiiijues
et imprévus.
Le costume du vendeur de palmes ne contribuait pas
moins que sa marchandise à attirer les regards de la
foule : c'était, à quelques petits détails près, celui que
portent les paysans du royaume de ^'alence ; il en est de
même du langage, car le dialecte valencicn, qu'on parle
encore dans la province d'Alicante, est généralement employé
jusqu'à Murcie. Notre marchand de palmes était
un type superbe de la race espagnole du sud : sa tête
jirune et expressive , encadrée d'épais favoris noirs, était
coinée d'un foulard de soie rouge et jaune posé en turban ;
une veste de velours bleu, garnie de nombreux boulons
de filigrane d'argent, laissait voir la faja, large ceinture
de soie aux rayures éclatantes, qui serrait la taille, rendue
svelte encore par l'ampleur des zaraguelles, vastes
caleçons de toile blanche tombant jusqu'aux genoux
comme la jupe des Palicares albanais. Des alp'irgalas
de chanvre finement tressé lui servaient de chaussure,
et se fixaient à la jambe au moyen de larges rubans noirs
qui venaient se croiser sur des bas d'un bleu foncé.
Nous ne manquâmes pas d'engager la conversation
avec l'habitant d'I^lclie, et de lui demander s'il était
content de ses affaires; il nous répondit qu'elles allaient
à merveille, et voulut savoir si Paris était beaucoup
plus grand que Marseille ; sur quoi nous lui répondîmes
que, .si ses palmes pascales devenaient à la mode dans la
capitale de la France-, elle absorberait probablement
toutes celles que produit Elche. Nous terminâmes en
lui donnant des détails sur son pays que nous venions
de voir tout récemment, et il fut ravi quand nous lui
parlâmes de l'église Santa-Maria ,
des palmarès, etc.
Mais sa joie fut au comble en entendant la fameuse
plirase proverbiale : No hay mas que un Elche' en Espana :
il n'y a qu'un Elche en Espagne
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