LE TOUR DU MONDE 1864 viaje a españa
,216LE TOUR DU MONDE.lonté de Raiiavalo, nul étranger ne peut posséder duterres à Madagascar, l'affaire fut faite de compte à demientre M. Delastelle et la reine. La reine donna lesterres, cinq cents esclaves et les matériaux; M. Delastelledonna son temps et son industrie.Un poste ova , commandé par un « douzième honneur» , surveille la fabrication, la vente des produits etla conduite du maître; c'est une surveillance incessante,une immixtion de tous les instants dans les moindresactions de Ferdinand, et le malheureux est plus esclaveque le dernier de ses serviteurs.L'établissement, situé aux pieds des premières collines,s'étend sur des terres élevées, à l'abri des débordementsde la rivière. Il se compose d'une distillerie àvapeur, de vastes hangars pour la fabrication des futailles,d'ateliers de charpenterie et de serrurerie, d'unebelle maison d'habitation et de nombreuses dépendances.Les esclaves habitent un village groupé tout auprès del'établissement, et les cases des Ovas sont voisines, demanière que rien ne puisse échapper à ces jaloux surveillants.Ferdinand nous conduisit fur la hauteur voisine, oùs'élève le tombeau de M. Delastelle, pieux hommagerendu à la mémoire de ce grand citoyen par JulietteFiche, son amie. Il repose à l'ombre des orangers etdes citronniers en fleurs, sur le sol d'une contrée (|u'ils'est efforcé de civiliser et qu'il a dotée tout du moinsde nombreux établissements de commerce et de troisusines en voie de prospérité.La vue qui se développait à nos yeux ne manquait pasd'une grandeur sauvage; à l'est, la mer se brisait,blanche d'écume , sur les sables qu'elle amoncelle ;au sud , les lacs brillaient comme des miroii^s d'acieret l'œil, en suivant le cours sinueux de l'Yvondroii, re-
montait jusqu'à l'hofizon vers les montngnes de Tananarive.Au nord, les collines dépouillées par l'incendiede leur manteau de forêts, laissaient planer lavue sur un moutonnement d'éminences d'un vert criardoù s'élevaient çà et là cpielques squelettes d'arbres noircispar le feu, dernier souvenir de la végétaiion qui lescouvrait; tandis qu'à nos pieds s'étendait un de ces maraisimmenses d'un pittoresque et d'une tristesse indicibles.Une végétation exubérante, e.xtraordinaire,oi^i se mêlentdes sauges gigantescpies,des ravenals, des raflaset ces immenses cônes(vacoas pyramidals ) quiressemblent à nos cyprèsfunéraires, donnaient à celieu l'aspect d'un champ derepos abandonné. Refugedes serpents et des crocodiles,ces marais sont dedangereux voisinages pourles habitations, et ce n'estqu'avec terreur qu'on traverseles petits cours d'eauqui les sUlonnent.Les animaux ont,pourse garder de l'atlaque descaïmans, un instinct bienremarquable ; les chiens,par exemple, usent d'unstratagème qui leur réussit;l'instinct, dans ce cas, nesuffit plus pour expliquerune telle manœuvre, il fautadmettre la raison. 'N'oicice qui se passe :Lorsqu'un chien veut traverserune rivière, à la recherchede son maître, ouqu'égaré à la poursuited'une proie, il veut rejoindreson réduit, il s'arrêtesur le bord du rivage, gémit,aboie, hurle de toutesses forces. Son raisonnementest simple : a Aubruit que je fais, penset-U,le crocodile, très-friand de ma chair, s'empresseravers l'endroit où je l'appelle; les plus éloignésabandonneront leurs retraites, et ce sera à qui arriverale premier pour s'emparer d'un animal aussi bête quemoi. i Le chien jappe donc, il aboie, et la comédie duretout le temps qu'il juge nécessaire pour attirer ses ennemis;puis, lorsqu'ils sont là, tout près, caches dansla vase, se gaudissant entre eux et savourant d'avanceune proie si facile, le chien part comme une flèche, vapasser en foute sécurité la rivière à cinq cents mètresan delà, et, jappant et bondissant sur la })Iage, il seLE TOUR DU MONDE. 217Baharla, ministre de la reine. — Dessin de G. StaaI.moque de son ennemi qui, paraît-il, se laisse toujoursprendre à cette ruse.A notre retour à l'habitation , Ferdinand noua avaitménagé une surprise : c'était un diner en compagniedes deux chefs ovas de l'endroit; l'honneur n'était paspour nous assurément, mais il devait y avoir là le sujetd'une curieuse étude de mœurs, et nous remerciâmesnotre hôte.L'Ova, quel qu'il soit, est grand ami de la table et duverre : aussi nos deux chefs s'étaient-ils empressés d'accepterl'invitation que leuravait envoyée Ferdinand.Ces messieurs nous firentattendre néanmoins : ilsétaient excusables si l'onpense à la toilette européennequ'ils s'étaient cruobligés de faire; car, pourrien au monde, ils n'eussentvoulu paraître à ce dîner(que, vu notre présence, ilsconsidéraient comme officiel),vêtu du lamba, leurcostume national.Mme la commandantedevait accompagner sonépoux, et je suppose qu'ildut y avoir dans le ménagegrande révolution au sujetde la crinoline de rigueur,et des falbalas qui, à Madagascarcomme partout aumonde, constituent la toiletted'une femme.Il était huit heures , etpar conséquent nuit close,quand la compagnie arriva ;elle était précédée d'uneaffreuse trompette et d'untambour, musicpie de SouExcellence , et accompagnéed'une escouade de cinqhommes et nn caporal, totalde la force armée del'endroit. Tous marchaienten mesure avec une gravitécomique qui rappelait lesmarches de nos guerriers de théâtre; le caporal, toutfier de ses hommes, commandait d'une voix éclatante,des manœuvres que nous ne pouvions comprendre;et lorscpi'enfin ils s'arrêtèrent sous la véranda dol'habitation, ils poussèrent tous ensemble des acclamationsépouvantables qui, nous dit-on, étaient à notiehonneur.Il y eut présentation, et ces messieurs, plus émunqu'ils n'eussent voulu paraître, s'assirent timidement.Le commandant et son acolyte étaient doux maigres personnagesd'une stature assez haute et d'une physiono-
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montait jusqu'à l'hofizon vers les montngnes de Tananarive.
Au nord, les collines dépouillées par l'incendie
de leur manteau de forêts, laissaient planer la
vue sur un moutonnement d'éminences d'un vert criard
où s'élevaient çà et là cpielques squelettes d'arbres noircis
par le feu, dernier souvenir de la végétaiion qui les
couvrait; tandis qu'à nos pieds s'étendait un de ces marais
immenses d'un pittoresque et d'une tristesse indicibles.
Une végétation exubérante, e.xtraordinaire,oi^i se mêlent
des sauges gigantescpies,
des ravenals, des raflas
et ces immenses cônes
(vacoas pyramidals ) qui
ressemblent à nos cyprès
funéraires, donnaient à ce
lieu l'aspect d'un champ de
repos abandonné. Refuge
des serpents et des crocodiles,
ces marais sont de
dangereux voisinages pour
les habitations, et ce n'est
qu'avec terreur qu'on traverse
les petits cours d'eau
qui les sUlonnent.
Les animaux ont
,
pour
se garder de l'atlaque des
caïmans, un instinct bien
remarquable ; les chiens,
par exemple, usent d'un
stratagème qui leur réussit;
l'instinct, dans ce cas, ne
suffit plus pour expliquer
une telle manœuvre, il faut
admettre la raison. 'N'oici
ce qui se passe :
Lorsqu'un chien veut traverser
une rivière, à la recherche
de son maître, ou
qu'égaré à la poursuite
d'une proie, il veut rejoindre
son réduit, il s'arrête
sur le bord du rivage, gémit,
aboie, hurle de toutes
ses forces. Son raisonnement
est simple : a Au
bruit que je fais, penset-U,
le crocodile, très-friand de ma chair, s'empressera
vers l'endroit où je l'appelle; les plus éloignés
abandonneront leurs retraites, et ce sera à qui arrivera
le premier pour s'emparer d'un animal aussi bête que
moi. i Le chien jappe donc, il aboie, et la comédie dure
tout le temps qu'il juge nécessaire pour attirer ses ennemis;
puis, lorsqu'ils sont là, tout près, caches dans
la vase, se gaudissant entre eux et savourant d'avance
une proie si facile, le chien part comme une flèche, va
passer en foute sécurité la rivière à cinq cents mètres
an delà, et, jappant et bondissant sur la })Iage, il se
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Baharla, ministre de la reine. — Dessin de G. StaaI.
moque de son ennemi qui, paraît-il, se laisse toujours
prendre à cette ruse.
A notre retour à l'habitation , Ferdinand noua avait
ménagé une surprise : c'était un diner en compagnie
des deux chefs ovas de l'endroit; l'honneur n'était pas
pour nous assurément, mais il devait y avoir là le sujet
d'une curieuse étude de mœurs, et nous remerciâmes
notre hôte.
L'Ova, quel qu'il soit, est grand ami de la table et du
verre : aussi nos deux chefs s'étaient-ils empressés d'accepter
l'invitation que leur
avait envoyée Ferdinand.
Ces messieurs nous firent
attendre néanmoins : ils
étaient excusables si l'on
pense à la toilette européenne
qu'ils s'étaient cru
obligés de faire; car, pour
rien au monde, ils n'eussent
voulu paraître à ce dîner
(que, vu notre présence, ils
considéraient comme officiel),
vêtu du lamba, leur
costume national.
Mme la commandante
devait accompagner son
époux, et je suppose qu'il
dut y avoir dans le ménage
grande révolution au sujet
de la crinoline de rigueur,
et des falbalas qui, à Madagascar
comme partout au
monde, constituent la toilette
d'une femme.
Il était huit heures , et
par conséquent nuit close,
quand la compagnie arriva ;
elle était précédée d'une
affreuse trompette et d'un
tambour, musicpie de Sou
Excellence , et accompagnée
d'une escouade de cinq
hommes et nn caporal, total
de la force armée de
l'endroit. Tous marchaient
en mesure avec une gravité
comique qui rappelait les
marches de nos guerriers de théâtre; le caporal, tout
fier de ses hommes, commandait d'une voix éclatante,
des manœuvres que nous ne pouvions comprendre;
et lorscpi'enfin ils s'arrêtèrent sous la véranda do
l'habitation, ils poussèrent tous ensemble des acclamations
épouvantables qui, nous dit-on, étaient à notie
honneur.
Il y eut présentation, et ces messieurs, plus émun
qu'ils n'eussent voulu paraître, s'assirent timidement.
Le commandant et son acolyte étaient doux maigres personnages
d'une stature assez haute et d'une physiono-