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LE TOUR DU MONDE 1864 viaje a españa

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10 LE TOUR DU MONDE.

les armes de la ville : un caslillo sobre aijuas, un château

au-dessus des vagues; c'étaient aussi, au moyen

âge, les armes de la ville de ^'alence.

La catlii'diale est du dix-septième siècle, dans le style

des jésuites; l'intérieur est fort riche et garni de tableaux,

comme la plupart des églises espagnoles : un de

ces tableaux nous frappa, plutôt par le sujet représenté

que par l'exécution, qui n'a rien du merveilleux : c'est le

martyre de sainte Agathe. Cette sainte n'est pas moins

vénérée en Espagne que dans les provinces niéridionales

de l'Italie : la noble vierge palermitaine ayant obstinément

refusé de sacrifier aux faux dieux, le gouverneur

de la Sicile ordonna au bourreau de lui couper les seins,

supplice qu'elle supporta avec un courage inébranlable.

Le martyre de sainte Agathe, qu'il n'est pas rare devoir

représenté dans les églises de la Péninsule, est traité avec

ce réalisme qui plait tant aux peintres de l'école espagnole

: les deux plaies béantes forment, sur la poitrine

de la sainte, comme deux larges plaques rouges, d'où le

sang jaillit à longs flots.

Pour avoir une vue d'ensemble d'Alicante, nous nous

rendîmes à l'extrémité de l'un des deux môles qui forment

le port; de là, on découvre parfaitement le panorama

de la ville : à droite, au sommet d'un rocher de couleur

sombre, s'élève le château , en partie démoli par

le chevalier d'Asfeld, qui commandait les troupes de Philippe

V pendant la guerre de succession; ces ruines se

découpent très-nettement sur un ciel toujours serein ;

puis la casa municipal, dont les tours carrées s'élèvent

au-dessus des toits en terrasse desmaisonsblanchiesàla

chaux; et la cathédrale, la colcgiata, avec son dôme surmonté

d'une lanterne. A droite, au sommet d'un monticule

opposé au château, brille au loin, comme un point

blanc, l'ermitage de !Sau-Blas ;

quelques palmiers

,

qui

s'élèvent çà et là au-dessus des maisons, témoignent de

la douceur de la température. Le climat d'Alicante passe

pour un des plus secs et des plus tempérés de l'Europe ;

les hivers y sont inconnus, et on assure que le thermomètre

n'y est jamais descendu à zéro.

On nous avait conseillé d'aller visiter la collection de

médailles du marquis de Algorfa et sa galerie de tableaux,

qui renferme neuf cents à mille toiles; ces peintures

sont toutes originales, ou peu s'en faut. C'est du moins

ce que prétend un auteur du pays, qui affirme qu'on y

compte à peine une cinquantaine de copies; encore ces

copies sont-elles l'ouvrage d'élèves des meilleurs peintres.

Malheureusement pour nous, le marquis était à la

campagne, ce qui nous priva du plaisir d'admirer une

aussi rare réunion de chefs-d'œuvre.

En somme, les titres les plus solides d'Alicante nous

parurent être ses fameux vins d'abord, et ses turrones

dealmendias, excellents nougats aux amandes, qui peuvent

rivaliser avec \es peladillas ou dragées d'Alcoy. Ces

produits gastronomiques méritent Lien d'être cités en

passant, dans un pays qui n'a jamais passé pour être la

terre classique de la gourmandise.

Nous étions descendus à la posada de la Dalseta, où

nous comptions prendre la_diligence pour Elche ; d'abord

nous voulions savoir ce que c'était qu'une posada, puis

nous étions bien certains de ne rencontrer là ni certaines

Anglaises aux voiles verts, ni quelques-unes de nos

compatriotes coiffées de ces ridicules contrefaçons du

sombrero andalous, que le convoi avait amenées en

même temps que nous à Alicante ; nous les laissâmes,

sans envier leur sort, se diriger vers la fonda del Vapor,

hôtel soi-disant à la française, dont la médiocre hospitalité

ne nous éiait déjà que trop connue.

La posada de la Balseta est un grand caravansérail

bâti sur le bord de la mer; les chambres sont au premier

et donnent sur une galerie couverte qui règne autour de

la cour ou patio : bien nous prit d'être de.scendus à cette

po.sada, car une surprise des plus agréables nous y attendait

: vers le soir, fatigués de notre longue promenade,

nous avions transporté nos chaises sur la galerie, et

nous y savourions avec délices la fraîcheur apportée par

la brise de mer, quand le fron fron d'une guitare et le

bruit sec des castagnettes vint frapper nos oreilles. C'était

une noce qui faisait tout ce tapage : nous étant approchés

fort discrètement, on nous invita de la façon la

plus cordiale à entrer dans une vaste salle, où dansaient

douze ou quinze couples endimanchés pour la circonstance

de la façon la plus pittoresque. L'orchestre se

composait tout simplement d'un violon et d'une guitare,

et les deux instrumentistes étaient aveugles, cela va sans

dire, car les guitarreros qu'on loue pour les fêtes,

commechez nous les ménétriers, sont presque invariablement'des

ci'e^os. Auboutd'un quart d'heure, nous fûmes

amis avec toute la noce; j'eus l'idée de prier un des

ciegos de me prêter son violin, et je le passai à Doré, qui

se mit à jour le vite sevillano, cet air de danse si populaire,

au grand étonnement et aux applaudissements de

toute l'assistance; mais ce fut bien autre chose lorsque,

surexcité par le cliquetis des castagnettes, il commença à

faire des variations et de véritables tours de force sur la

quatrième_ corde, car Doré est tout simplement un virtuose

de première force sur le violon, de même qu'il est

lePaganinidu crayon. Entraîné par la force de l'exemple,

je ne pus m'empêcher de saisir moi-même la guitare

de l'autre ciego, et j'accompagnai le violon avec quelques

accords plaqués de tonique et de dominante, tantôt

rasqueando, c'est-à-dire frappant les six cordes du revers

de la main ;

tantôt golpeando, ou marquant la mesure

au moyen d'un coup sec appliqué avec le pouce sur

le ventre de l'instrument.

La mariée, cpii s'appelait Conchita, était une ravissante

brune au teint ambré, aux grands yeux noirs avec

une légère teinte de mélancolie; elle résumait toutes les

finesses qui distinguent le type espagnol; nous ne pouvions

nous lasser d'admirer ses pieds et ses mains d'enfant,

d'une petitesse invraisembable. Conchita vint trèsgracieusement

nous remercier [de notre concours, et

comme nous voulions nous retirer, elle nous invita à

ri'Ster encore et à nous considérer comme étant de la famille

;

et en effet, ces braves gens nous avaient accueillis

avec une cordialité si simple et si vraie, que nous retrouvâmes

quelques instants, à plus de quatre cents

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