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10 LE TOUR DU MONDE.
les armes de la ville : un caslillo sobre aijuas, un château
au-dessus des vagues; c'étaient aussi, au moyen
âge, les armes de la ville de ^'alence.
La catlii'diale est du dix-septième siècle, dans le style
des jésuites; l'intérieur est fort riche et garni de tableaux,
comme la plupart des églises espagnoles : un de
ces tableaux nous frappa, plutôt par le sujet représenté
que par l'exécution, qui n'a rien du merveilleux : c'est le
martyre de sainte Agathe. Cette sainte n'est pas moins
vénérée en Espagne que dans les provinces niéridionales
de l'Italie : la noble vierge palermitaine ayant obstinément
refusé de sacrifier aux faux dieux, le gouverneur
de la Sicile ordonna au bourreau de lui couper les seins,
supplice qu'elle supporta avec un courage inébranlable.
Le martyre de sainte Agathe, qu'il n'est pas rare devoir
représenté dans les églises de la Péninsule, est traité avec
ce réalisme qui plait tant aux peintres de l'école espagnole
: les deux plaies béantes forment, sur la poitrine
de la sainte, comme deux larges plaques rouges, d'où le
sang jaillit à longs flots.
Pour avoir une vue d'ensemble d'Alicante, nous nous
rendîmes à l'extrémité de l'un des deux môles qui forment
le port; de là, on découvre parfaitement le panorama
de la ville : à droite, au sommet d'un rocher de couleur
sombre, s'élève le château , en partie démoli par
le chevalier d'Asfeld, qui commandait les troupes de Philippe
V pendant la guerre de succession; ces ruines se
découpent très-nettement sur un ciel toujours serein ;
puis la casa municipal, dont les tours carrées s'élèvent
au-dessus des toits en terrasse desmaisonsblanchiesàla
chaux; et la cathédrale, la colcgiata, avec son dôme surmonté
d'une lanterne. A droite, au sommet d'un monticule
opposé au château, brille au loin, comme un point
blanc, l'ermitage de !Sau-Blas ;
quelques palmiers
,
qui
s'élèvent çà et là au-dessus des maisons, témoignent de
la douceur de la température. Le climat d'Alicante passe
pour un des plus secs et des plus tempérés de l'Europe ;
les hivers y sont inconnus, et on assure que le thermomètre
n'y est jamais descendu à zéro.
On nous avait conseillé d'aller visiter la collection de
médailles du marquis de Algorfa et sa galerie de tableaux,
qui renferme neuf cents à mille toiles; ces peintures
sont toutes originales, ou peu s'en faut. C'est du moins
ce que prétend un auteur du pays, qui affirme qu'on y
compte à peine une cinquantaine de copies; encore ces
copies sont-elles l'ouvrage d'élèves des meilleurs peintres.
Malheureusement pour nous, le marquis était à la
campagne, ce qui nous priva du plaisir d'admirer une
aussi rare réunion de chefs-d'œuvre.
En somme, les titres les plus solides d'Alicante nous
parurent être ses fameux vins d'abord, et ses turrones
dealmendias, excellents nougats aux amandes, qui peuvent
rivaliser avec \es peladillas ou dragées d'Alcoy. Ces
produits gastronomiques méritent Lien d'être cités en
passant, dans un pays qui n'a jamais passé pour être la
terre classique de la gourmandise.
Nous étions descendus à la posada de la Dalseta, où
nous comptions prendre la_diligence pour Elche ; d'abord
nous voulions savoir ce que c'était qu'une posada, puis
nous étions bien certains de ne rencontrer là ni certaines
Anglaises aux voiles verts, ni quelques-unes de nos
compatriotes coiffées de ces ridicules contrefaçons du
sombrero andalous, que le convoi avait amenées en
même temps que nous à Alicante ; nous les laissâmes,
sans envier leur sort, se diriger vers la fonda del Vapor,
hôtel soi-disant à la française, dont la médiocre hospitalité
ne nous éiait déjà que trop connue.
La posada de la Balseta est un grand caravansérail
bâti sur le bord de la mer; les chambres sont au premier
et donnent sur une galerie couverte qui règne autour de
la cour ou patio : bien nous prit d'être de.scendus à cette
po.sada, car une surprise des plus agréables nous y attendait
: vers le soir, fatigués de notre longue promenade,
nous avions transporté nos chaises sur la galerie, et
nous y savourions avec délices la fraîcheur apportée par
la brise de mer, quand le fron fron d'une guitare et le
bruit sec des castagnettes vint frapper nos oreilles. C'était
une noce qui faisait tout ce tapage : nous étant approchés
fort discrètement, on nous invita de la façon la
plus cordiale à entrer dans une vaste salle, où dansaient
douze ou quinze couples endimanchés pour la circonstance
de la façon la plus pittoresque. L'orchestre se
composait tout simplement d'un violon et d'une guitare,
et les deux instrumentistes étaient aveugles, cela va sans
dire, car les guitarreros qu'on loue pour les fêtes,
commechez nous les ménétriers, sont presque invariablement'des
ci'e^os. Auboutd'un quart d'heure, nous fûmes
amis avec toute la noce; j'eus l'idée de prier un des
ciegos de me prêter son violin, et je le passai à Doré, qui
se mit à jour le vite sevillano, cet air de danse si populaire,
au grand étonnement et aux applaudissements de
toute l'assistance; mais ce fut bien autre chose lorsque,
surexcité par le cliquetis des castagnettes, il commença à
faire des variations et de véritables tours de force sur la
quatrième_ corde, car Doré est tout simplement un virtuose
de première force sur le violon, de même qu'il est
lePaganinidu crayon. Entraîné par la force de l'exemple,
je ne pus m'empêcher de saisir moi-même la guitare
de l'autre ciego, et j'accompagnai le violon avec quelques
accords plaqués de tonique et de dominante, tantôt
rasqueando, c'est-à-dire frappant les six cordes du revers
de la main ;
tantôt golpeando, ou marquant la mesure
au moyen d'un coup sec appliqué avec le pouce sur
le ventre de l'instrument.
La mariée, cpii s'appelait Conchita, était une ravissante
brune au teint ambré, aux grands yeux noirs avec
une légère teinte de mélancolie; elle résumait toutes les
finesses qui distinguent le type espagnol; nous ne pouvions
nous lasser d'admirer ses pieds et ses mains d'enfant,
d'une petitesse invraisembable. Conchita vint trèsgracieusement
nous remercier [de notre concours, et
comme nous voulions nous retirer, elle nous invita à
ri'Ster encore et à nous considérer comme étant de la famille
;
et en effet, ces braves gens nous avaient accueillis
avec une cordialité si simple et si vraie, que nous retrouvâmes
quelques instants, à plus de quatre cents