LE TOUR DU MONDE 1864 viaje a españa
190des tribus précitées, nous ajouterons que le territoirequ'elles occupent en commun, lequel comprend envii-oncent soixante-dix lieues de rivière, n'offre sur cetteétendue que trois habitations de Schélibos, cinq deGonibos, quatre de Chontaquiros, une de Pano, et quelquesabris provisoires de Cocamas. Grâce à cet espacede treize lieues, ménagé par le hasard entre chacune deces demeures, leurs possesseurs, malgré la haine nationalequi les divise, vivent en paix entre eux. Nous dironsplus tard en passant devant ces logis, pourquoi etcomment ceux qui les liabilent ont abandonné leurstribus respectives pour vivre à l'écart.Gosiabatay, pour revenir au point d'où nous sommesparti, est une rivière au courant rapide, large de cin-(|aante mètres à son embouchure et habitée à l'intérieurpar des Indiens Schétibos. Comme sa voisine la rivièrePisqui, elle descend des versants de la sierra de San-Carlos, un bras détaché de la Cordillère centrale, etcoupe de l'ouest à l'est, la plaine du Sacrement. Celterivière portait au dix-septième siècle le nom de Manoa,d'où le nom de Manoïtas donné par les missionnairesde celte époque aux Schétibos qu'ils trouvèrent établissur ses rives.Les Sipibos et les Schélibos aujourd'hui séparés, neformaient autrefois qu'une seule et même tribu, détachéecomme cinq tribus voisines de la grande nation desPanos; type, coutumes, langage, vêlement leur sontencore si bien communs avec les Conibos, dont nousavons tracé précédemment la monographie, qu'on peutdire qu'entre ces indigènes, il n'y a d'autre différenceque celle du nom.Vers le milieu du dix-septième siècle, quand le révérendBiedma, après une exploration de la rivière Pachitea,remonta pour la première fois l'IJcayab, les Sipibosalliés aux Gasibos, étaient déjà séparés des Schélibospar suite d'une dispute à main armée, dans laquelle cesderniers avaient eu le dessous. Le tempsn'avail fait qu'envenimercelte haine entre frères. Un siècle plus tard,en 1 760, quand, à l'instigation du P. Sobreviela, des religieuxfranciscains fondèrent les premières Missionsde l'Ucayali, la rancune des Schétibos contre les Sipil)osétait encore si forte, que la crainte de voir ces indigènesen venir aux mains et s'assaillir en pleine égHse,si on les réunissait dans la même Mission, cette craintefut cause qu'on affecta à chacune de ces tribus une Missiondistincte. San/o-Do»iù(yo de Pisqiii, sur la rivièrede ce nom, reçut les Sipibos, et San-Francisco de Manoaréunit les Schétibos, de leur côté, les Panos et les Conibos,les Remos et les Amahuacas, qui , malgré leurvoisinage et leurs liens de parenté, se délestaient aussicordialement que les Si])ibos et les Schétibos, furentcomme ceux-ci parqués dans des missions distinctes.Sarayacu, Canchahuaija, Chunuya, Yupuano, Santaliarbarade Achani, Sanla-Cruz de Aijuaylia et San-Mi-(lud, s'élevèrent en même temps que Santo-Domingo etLE TOUR DU MONDE.San-Francisco. Ces missions figurent dans les statistiquesde l'époque, et selon leur situation au nord ou ausud de Sarayacu, sous le nom de Cordon haut {cordonalto) et de Cordon bas {cordon bajo), des Missions del'Ucayali ' .Après sept ans de séjour dans leurs Missions respec»tivesjces tribus qui avaient eu le temps de réfléchir à lahaine qui les divisait depuis tant d'années, et de reconnaîtrecombien il était ridicule entre parents de se fairela moue, se sentirent prises un beau jour du désir de seréconcilier. Un Sipibo du nom de Rungato, fut chargéde porter des paroles de paix d'une tribu à l'autre. Lepremier eflet d'une réconciliation générale entre ces indigènes,fui, de détruire les Missions, de massacrer lesmissionnaires, et de se partager fraternellement les articlesde ((uincaillerie, les ornements d'église et lesvases sacrés dont ils hrenl des objets de parure».En 1790-91, lorsque les PP. Girbal et Marques eurentexhumé de leurs ruines les Missions de Manoaet de Sarayacu, ils appelèrent à eux les tribus indigènesqui, en 1767, les avaient détruites. La tribu des Panos,et quelques Conibos, répondirent seuls à l'appelévangélique des missionnaires. Les autres aimèrentmieux rester libres et barbares. Quoi qu'il en soit decette détermination peu orthodoxe, les Sipibos et lesSchélibos ont échappé à une destruction totale, et l'onretrouve aujourd'hui ces indigènes, gais, replets, bienportants, comme leurs voisins les Conibos, mais ayantsur ceux-ci, grâce au voisinage immédiat des néophytes,l'avantage de savoir fabriquer du rhum et d'adorercelle liqueur.Les forces numériques des Sipibos, en joignant auxquatorze habitations de ces indigènes relevées sur l'Ucayali,sept de leurs demeures édifiées sur les bords dela rivière Pisqui, nous paraissent être de huit à neufcents hommes. Quant aux Schélibos, moins nombreuxque leurs voisins et alliés, ils occupent six maisons dansl'intérieur de la rivière de Manoa-Cosiabatay, et l'oncompte avec trois de leurs demeures sur l'Ucayali, cinqhabitations situées au bord des canaux ou des lacs quiprofilent cette rivière, entre Cosiabatay et le Marafion.Pour compléter ce calcul de siaiislique, si nous joignonsmaintenant les forces numériques des Conibos à cellesdes Sipibos et des Schétibos, nous obtiendrons approximativementle chiffre de trois mille individus, que desvoyageurs abusés par la ressemblance des trois tribuset les confondant en un groupe unique, ont donné k laseule tribu des Conibos.Au delà de Cosiabatay, l'Ucayali prit tout à coup unelargeur inusitée. Ses plages de sable disparurent, unedouble muraille de végétation que perçaient de gracieusestouffes de palmes, vint encadrer ses rives dontles talus se dérobèrent sous un gazonnemenl de balisiers.Ce décor était admirable sans doute, mais la préoccu-1 La rivière HiiallaKa avait, comme l'Ucayali, son cordon hautet basôe Missions; seulementcelles delXcayali éUient postérieuresd'un siècle et demi à celles du Huallaga.2. Lors de son premier voyage à Man^-a et à Sarayacu (16 octobren90), le P. Girbal reconnut avec douleur, au nez, an col etaux poignets des indigènes des deux sexes, des fragments de calices,ostensoirs, patènes, etc., provenant du pillage des chapellesde leurs Missions.
,LE TOUR DU MONDE. 191palion de notre esprit nous empêcha de l'admirer. Nousapprochions de Sarayacu, et l'idée de jeter l'ancre dansson port après quarante-trois jours de voyage, de misèressans nombre, de petites criailleries, de petits scandaleset de petits propos, cette idée en absorbant toutesles autres k son profit, nous rendait pour le quartd'heure indifférent aux beautés du paysage.Ce port du salut, où nous n'abordâmes que le lendemainà cinq heures du soir, était une vaste plagedécoupée en croissant, encombrée de buissons et detouffes de fau.x maïs. De longs talus d'ocre et d'argileà demi voilés par une végétation épaisse, mais rabougrie,allaient en serpentant rejoindre la ligne des forêts,située à trente pieds d'élévation du niveau de la rivière.A gauche de cette plage, coulait la petite rivière deSarayacu, venue de l'intérieur, et large seulement detrois ou quatre mètres. Ce rio d'eau jaune et vaseuse,voilé par une végétation touffue dont l'ombre estompaitdéjà les contours, devait être cher aux caïmans, amis duclair-obscur et du silence. ^lalgré la mine équivoquede cet affluent de l'Ucayali, nous nous fussions surprisà disserter sur son passé et à rechercher lequel des deuxnoms, de Sarali-Ghéné', que lui donnaient autrefoisles Indiens Panos, ou de Sara-Yacu^, que lui imposèrentplus tard des métis péruviens, lui était le plusjustement applicable, si des soins plus pressants queceux des étymologies, ne nous eussent occupé en ce moment.Le soleil se couchait; le crépuscule allait bientôtvenir; la nuit lui succéderait brusquement et noussavions par ouï-dire, que la Mission où tendaient tousnos vœux était située à deux lieues de la plage, dansl'intérieur de la forêt. Or, cette forêt que nous avions h.traverser, ouvrait devant nous une bouche d'un noiropaque, d'où sortaient, aux approches du soir, des voixétranges et des bruits alarmants. La crainte de nousperdre dans ses détours, et aussi d'avoir maille à partiravec ses hôtes aux longs crocs et aux larges griffes,nous fit un devoir de remettre au lendemain notreentrée à Sarayacu.Cette décision arrêtée, nous avisâmes aux moyens depasser la nuit le moins mal possible. Pendant que lesuns sarclaient quelques pieds carrés de terrain pourétendre les moustiquaires, les autres allaient ramasserdes bûchettes. Bientôt deux grands feux flambèrent à lafois sur la plage. Comme nous étions eu train de pelerdes bananes pour le souper, le comte de la Blanche-Épine, que nous avions perdu de vue depuis un moment,caché qu'il était par des buissons de mélastomes,I. En iiauo : rivière de l'Abeille, de sarali, abeille, et de ghéné,rivière.1. En quocluia : riiière du Mais, de sara, mais, et de <jaci(rivière.
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des tribus précitées, nous ajouterons que le territoire
qu'elles occupent en commun, lequel comprend envii-on
cent soixante-dix lieues de rivière, n'offre sur cette
étendue que trois habitations de Schélibos, cinq de
Gonibos, quatre de Chontaquiros, une de Pano, et quelques
abris provisoires de Cocamas. Grâce à cet espace
de treize lieues, ménagé par le hasard entre chacune de
ces demeures, leurs possesseurs, malgré la haine nationale
qui les divise, vivent en paix entre eux. Nous dirons
plus tard en passant devant ces logis, pourquoi et
comment ceux qui les liabilent ont abandonné leurs
tribus respectives pour vivre à l'écart.
Gosiabatay, pour revenir au point d'où nous sommes
parti, est une rivière au courant rapide, large de cin-
(|aante mètres à son embouchure et habitée à l'intérieur
par des Indiens Schétibos. Comme sa voisine la rivière
Pisqui, elle descend des versants de la sierra de San-
Carlos, un bras détaché de la Cordillère centrale, et
coupe de l'ouest à l'est, la plaine du Sacrement. Celte
rivière portait au dix-septième siècle le nom de Manoa,
d'où le nom de Manoïtas donné par les missionnaires
de celte époque aux Schétibos qu'ils trouvèrent établis
sur ses rives.
Les Sipibos et les Schélibos aujourd'hui séparés, ne
formaient autrefois qu'une seule et même tribu, détachée
comme cinq tribus voisines de la grande nation des
Panos; type, coutumes, langage, vêlement leur sont
encore si bien communs avec les Conibos, dont nous
avons tracé précédemment la monographie, qu'on peut
dire qu'entre ces indigènes, il n'y a d'autre différence
que celle du nom.
Vers le milieu du dix-septième siècle, quand le révérend
Biedma, après une exploration de la rivière Pachitea,
remonta pour la première fois l'IJcayab, les Sipibos
alliés aux Gasibos, étaient déjà séparés des Schélibos
par suite d'une dispute à main armée, dans laquelle ces
derniers avaient eu le dessous. Le tempsn'avail fait qu'envenimer
celte haine entre frères. Un siècle plus tard,
en 1 760, quand, à l'instigation du P. Sobreviela, des religieux
franciscains fondèrent les premières Missions
de l'Ucayali, la rancune des Schétibos contre les Sipil)os
était encore si forte, que la crainte de voir ces indigènes
en venir aux mains et s'assaillir en pleine égHse,
si on les réunissait dans la même Mission, cette crainte
fut cause qu'on affecta à chacune de ces tribus une Mission
distincte. San/o-Do»iù(yo de Pisqiii, sur la rivière
de ce nom, reçut les Sipibos, et San-Francisco de Manoa
réunit les Schétibos, de leur côté, les Panos et les Conibos,
les Remos et les Amahuacas, qui , malgré leur
voisinage et leurs liens de parenté, se délestaient aussi
cordialement que les Si])ibos et les Schétibos, furent
comme ceux-ci parqués dans des missions distinctes.
Sarayacu, Canchahuaija, Chunuya, Yupuano, Santaliarbara
de Achani, Sanla-Cruz de Aijuaylia et San-Mi-
(lud, s'élevèrent en même temps que Santo-Domingo et
LE TOUR DU MONDE.
San-Francisco. Ces missions figurent dans les statistiques
de l'époque, et selon leur situation au nord ou au
sud de Sarayacu, sous le nom de Cordon haut {cordon
alto) et de Cordon bas {cordon bajo), des Missions de
l'Ucayali ' .
Après sept ans de séjour dans leurs Missions respec»
tivesjces tribus qui avaient eu le temps de réfléchir à la
haine qui les divisait depuis tant d'années, et de reconnaître
combien il était ridicule entre parents de se faire
la moue, se sentirent prises un beau jour du désir de se
réconcilier. Un Sipibo du nom de Rungato, fut chargé
de porter des paroles de paix d'une tribu à l'autre. Le
premier eflet d'une réconciliation générale entre ces indigènes,
fui, de détruire les Missions, de massacrer les
missionnaires, et de se partager fraternellement les articles
de ((uincaillerie, les ornements d'église et les
vases sacrés dont ils hrenl des objets de parure».
En 1790-91, lorsque les PP. Girbal et Marques eurent
exhumé de leurs ruines les Missions de Manoa
et de Sarayacu, ils appelèrent à eux les tribus indigènes
qui, en 1767, les avaient détruites. La tribu des Panos,
et quelques Conibos, répondirent seuls à l'appel
évangélique des missionnaires. Les autres aimèrent
mieux rester libres et barbares. Quoi qu'il en soit de
cette détermination peu orthodoxe, les Sipibos et les
Schélibos ont échappé à une destruction totale, et l'on
retrouve aujourd'hui ces indigènes, gais, replets, bien
portants, comme leurs voisins les Conibos, mais ayant
sur ceux-ci, grâce au voisinage immédiat des néophytes,
l'avantage de savoir fabriquer du rhum et d'adorer
celle liqueur.
Les forces numériques des Sipibos, en joignant aux
quatorze habitations de ces indigènes relevées sur l'Ucayali,
sept de leurs demeures édifiées sur les bords de
la rivière Pisqui, nous paraissent être de huit à neuf
cents hommes. Quant aux Schélibos, moins nombreux
que leurs voisins et alliés, ils occupent six maisons dans
l'intérieur de la rivière de Manoa-Cosiabatay, et l'on
compte avec trois de leurs demeures sur l'Ucayali, cinq
habitations situées au bord des canaux ou des lacs qui
profilent cette rivière, entre Cosiabatay et le Marafion.
Pour compléter ce calcul de siaiislique, si nous joignons
maintenant les forces numériques des Conibos à celles
des Sipibos et des Schétibos, nous obtiendrons approximativement
le chiffre de trois mille individus, que des
voyageurs abusés par la ressemblance des trois tribus
et les confondant en un groupe unique, ont donné k la
seule tribu des Conibos.
Au delà de Cosiabatay, l'Ucayali prit tout à coup une
largeur inusitée. Ses plages de sable disparurent, une
double muraille de végétation que perçaient de gracieuses
touffes de palmes, vint encadrer ses rives dont
les talus se dérobèrent sous un gazonnemenl de balisiers.
Ce décor était admirable sans doute, mais la préoccu-
1 La rivière HiiallaKa avait, comme l'Ucayali, son cordon haut
et basôe Missions; seulementcelles delXcayali éUient postérieures
d'un siècle et demi à celles du Huallaga.
2. Lors de son premier voyage à Man^-a et à Sarayacu (16 octobre
n90), le P. Girbal reconnut avec douleur, au nez, an col et
aux poignets des indigènes des deux sexes, des fragments de calices,
ostensoirs, patènes, etc., provenant du pillage des chapelles
de leurs Missions.