LE TOUR DU MONDE 1864 viaje a españa
188 LK TOUR D[J MONDElard un voNafre à Lima. La femme, encore jeuue, nousdil s'appeler Maria; elle était née à Sarayacu, de parentschrétiens. Ce couple, légitimement uni, appartenait àla ration combaza, crifrinaire des rives du Iluallaga,et tombée de ricochets en ricochets dans les Missions derUcayali. Le Timothée ,quoique chrétien, fraternisa,saus scrupule, avec nos rameurs , but avec eux le mazatode la bienvenue, et leur offrit à la ronde du tabacrâpé, contenu dans un éteipnoir en fer-blanc dont il s'étaitfait une tabalii''re. Surle refus des indigènes de puiserdans ce récipient, l'homme huma coup sur coup troisou quatre prises, mais sans l'aide d'un appareil et en sefournissant le nez à l'européenne, comme probablementil l'avait vu pratiquer aux chefs de la mission. La compagnedu Timothée s'était tenue à l'écart pendant cettescène. A la vue de nos Gonibos , elle avait manifestéd'abord une pieuse horreur,et quand après avoirbu quelques coups avecson mari, ceux-ci s'approchèrentd'elle pour admirernaïvement des braceletsde perles rouges qu'elleavait aux poignets , elleleur tourna le dos en lesqualifiant h mi-voix dechiens et de pnlcns.L'intolérance de cetteCombaza nous choqua d'autantplus, que rien dansses traits, son teint, soncostume, ne différait dessauvagesses que nousavions rencontrées en chemin.La seule particularitéqui l'eût distinguée deces dames, était sa chevelure,qu'au lieu de portercomme ces dernières, flottantesur le dos et coupéecarrément à la hauteur de,,,^,^,1l'œil, elle avait tordue etrelevée à l'aide d'un peigne de corne. A part ce vainhochet de la civilisation, dont elle semblait orgueilleuse,notre chrétienne était aussi brune et aussi camarde queses sœurs du désert ; ses formes corporelles avaient uncachet tout aussi grotesque, et pour compléter cette ressemblanceelle n'usait comme elles d'autre vèlemeul,qu'une pampanilta , bande de coton teinte en brun, quidescendait du nombril aux rotules.Celte femme si peu douée par la nature et l'éducation,faisant la sucrée et la renchérie, et tirant vanité de sonpeigne de corne, nous déplut k première vue. Peu s'enfallut que le sentiment hostile qu'elle nous insjjirait,ne rejaillît sur la Mission qui l'avait baptisée. — Telleenseigne, tel vin, — fûmes-nous .sur le point de nousécrier. Heureusement elle ne tarda pas à se rembarqueravec son compagnon, et tous les deux, lui ramant,elle giiMverr.aiit, continuèrent à lâtons leur récoltede cire.Cet échantillon des deux sexes de Sarayacu avaitporté un rude coup à notre enthousiasme. Depuis tantde jours qu'on exaltait autour de nous la Mission centrale, ses moines et ses néophytes, nous nous étionshabitué à les considérer sous un certain jour et nousn'aurions pu les voir autrement. Dans notre esprit iralnides maximes de Chateaubriand, les vierges de Sarayacuétaient autant d'Atalas, de Milas et de Célutas ;lesnéophytes mâles, leui's compagnons, ne pouvaient ressemblerqu'à Outougamiz le Simple ou à Chactas filsd'Outalissi. Quant aux portraits des chefs de la prière,nous les avions calqués fidèlement sur celui du vénél'ableP. Aubry. Tous avaient le crâne nu, la barbeblanche et tombant jusqu'à la ceinture, le dos voûté etun bâton noueux pour assurerleurs pas. Si lepaysage où nous placionsnos personnages n'offraitni tulipiers, ni magnoliers,ni chênes séculaires auxmousses pendantes, ni cyprèsgigantesques ombrageantdes puits naturels,c'est que nous savions queces arbres spéciaux à V.\-mérique du Nord, ne setrouvent pas dans celle duSud. C'était la seule concessionque nous eussionscru devoir faire. Mais voilàqu'au plus fort de nos illusions,nous tombions d'Atala,fille de Simaghan auxbracelets d'or, sur une espècede femme-guenon,au ventre ballonné , auxextrémités d'araignée, aigre, hargneuse , intolé-rante ;voilà que le Chactasi,^,,,i,„de nos rêves se métamorphosaiten un Indien borgne, prisant du tabac dans nuéteignoir et buvant de la chicha avec nos rameurs. ( »poésie ! ô mensonge 1 ô déplorable effet des périodes àquatre membres! fûmes-nous au moment d'exclamer,en mesurant l'abîme dans lequel nous avait conduit uneadmiration irréfléchie pour l'auteur des i\atilic:. Maintenantque nous restait-il à faire? devions-nous remonterde l'effet à la cause, conclure du néophyte au missionnaire?Mais que seraient alors les pasteurs d'un pareiltroupeau ! Nous avions le frisson rien que d'y songer.L'embouchure de la rivière Pisqui qui vint bâiller ànotre droite, donna à nos pensées une autre direction.Ce cours d'eau sorti d'un bras détaché do la Cordillèrecentrale et large d'environ trente mètres à sa confluenceavec l'Ucayali, compte sur .ses deux rives une douzained habitations d'Indiens Sipibos.Il'
LF TOUR nu MOVOF.Un de ces logis, édifiésur le côté gauche de lagrande rivière et danslequel nous nous arrêtâmespour déjeuner, étaitpourvu d'une machinede forme singulière, dontle modèle, nous dit-on,avait été fourni par desnéophytes de Sarayacu.Cette machine servait àbroyer les cannes à sucre; curieux de savoirquelle boisson locale onpouvait fabriquer avecle jus des cannes, nousquestionnâmes à ce sujetle propriétaire de la machine.Ron , nous dit-iien souriant et faisant legeste d'ingurgiterun liquidequelconque. Nouscomprimes sans peinequ'il s'agissait de rhumou de tafia ;mais ce quinous parut incompréhensible,ce fut la façondont l'indigène accentuacette simple syllabe et legeste enthousiaste par lequelil la commenta. CeSipibo qui trafiquait decire, d'huile de lamentinet de graisse de tortueavec les Missions de Sarayacu,comprenait unpeu de quechua. Avecl'aide d'un interprète etnos propres ressources,nous pûmes obtenir delui des explications surle goût décidé qu'il manifestaitpour les liqueursfortes. Ce goût, qu'ilnous dit avoir puisé dansla fréquentation des néophytesauxquels il vendaitses denrées, étaitpassé chez lui à l'étatd'habitude. Or l'habitude,comme on sait,estune seconde nature, et leSipibo ne pouvant vivredésormais sans boire durhum, s'était mis à planterdes cannes à sucre età fabriquer im Trapichepour les broyer. Les néophytes,après l'avoir aidéà monter la machine, venaientde temps en tempslui demander un coup derhum en témoignage desincère amitié.L'Indienparaissait enchanté delui-même et de son aptitudeà distiller une liqueurqui lui procuraitdans la même journée,et selon la dose qu'il enprenait, des rêves couleurde rose ou des accèsd'humeur noire. Nousquittâmes cet homme, assezscandalisé de ses proposet tout surpris enmême temps, que le voisinagedes Missions etdes missionnaires, n'eûtéveillé chez lui d'autrebesoin que celui de boiredu rhum.C'est à Gosiabatay ques'achève le territoire desIndiens Sipibos , et quecommence celui de leursfrères et alliés les Schétibos.Les trois Missionsde Sarayacu, de Belen,et de Tierra-Blanca quis'élèvent sur les possessionsde ces derniers indigènes,ont étendu leurinliuence sur les lieux etles hommes, non pas ensanctifiant les uns et encivilisant les autres, commeon pourrait le croire,mais en reléguant la plupartdes Schétibos dansl'intérieur des affluentset des canau.\ de gauchede l'Ucayali, et en faisantdu pays de ces naturels,une manière de territoireneutre, où l'on trouve,alternant avec des habitationsde Schétibos, desdemeures de Conibos, deChontaquiros et même deCocamas de la grande lagunedu Huallaga. Pourexpliquer convenablementla chose au lecteurqui pourrait attribuer cepêle-mêle à une fusion
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lard un voNafre à Lima. La femme, encore jeuue, nous
dil s'appeler Maria; elle était née à Sarayacu, de parents
chrétiens. Ce couple, légitimement uni, appartenait à
la ration combaza, crifrinaire des rives du Iluallaga,
et tombée de ricochets en ricochets dans les Missions de
rUcayali. Le Timothée ,
quoique chrétien, fraternisa,
saus scrupule, avec nos rameurs , but avec eux le mazato
de la bienvenue, et leur offrit à la ronde du tabac
râpé, contenu dans un éteipnoir en fer-blanc dont il s'était
fait une tabalii''re. Surle refus des indigènes de puiser
dans ce récipient, l'homme huma coup sur coup trois
ou quatre prises, mais sans l'aide d'un appareil et en se
fournissant le nez à l'européenne, comme probablement
il l'avait vu pratiquer aux chefs de la mission. La compagne
du Timothée s'était tenue à l'écart pendant cette
scène. A la vue de nos Gonibos , elle avait manifesté
d'abord une pieuse horreur,
et quand après avoir
bu quelques coups avec
son mari, ceux-ci s'approchèrent
d'elle pour admirer
naïvement des bracelets
de perles rouges qu'elle
avait aux poignets , elle
leur tourna le dos en les
qualifiant h mi-voix de
chiens et de pnlcns.
L'intolérance de cette
Combaza nous choqua d'autant
plus, que rien dans
ses traits, son teint, son
costume, ne différait des
sauvagesses que nous
avions rencontrées en chemin.
La seule particularité
qui l'eût distinguée de
ces dames, était sa chevelure,
qu'au lieu de porter
comme ces dernières, flottante
sur le dos et coupée
carrément à la hauteur de
,,,^,^,1
l'œil, elle avait tordue et
relevée à l'aide d'un peigne de corne. A part ce vain
hochet de la civilisation, dont elle semblait orgueilleuse,
notre chrétienne était aussi brune et aussi camarde que
ses sœurs du désert ; ses formes corporelles avaient un
cachet tout aussi grotesque, et pour compléter cette ressemblance
elle n'usait comme elles d'autre vèlemeul,
qu'une pampanilta , bande de coton teinte en brun, qui
descendait du nombril aux rotules.
Celte femme si peu douée par la nature et l'éducation,
faisant la sucrée et la renchérie, et tirant vanité de son
peigne de corne, nous déplut k première vue. Peu s'en
fallut que le sentiment hostile qu'elle nous insjjirait,
ne rejaillît sur la Mission qui l'avait baptisée. — Telle
enseigne, tel vin, — fûmes-nous .sur le point de nous
écrier. Heureusement elle ne tarda pas à se rembarquer
avec son compagnon, et tous les deux, lui ramant,
elle giiMverr.aiit, continuèrent à lâtons leur récolte
de cire.
Cet échantillon des deux sexes de Sarayacu avait
porté un rude coup à notre enthousiasme. Depuis tant
de jours qu'on exaltait autour de nous la Mission centrale
, ses moines et ses néophytes, nous nous étions
habitué à les considérer sous un certain jour et nous
n'aurions pu les voir autrement. Dans notre esprit iralni
des maximes de Chateaubriand, les vierges de Sarayacu
étaient autant d'Atalas, de Milas et de Célutas ;
les
néophytes mâles, leui's compagnons, ne pouvaient ressembler
qu'à Outougamiz le Simple ou à Chactas fils
d'Outalissi. Quant aux portraits des chefs de la prière,
nous les avions calqués fidèlement sur celui du vénél'able
P. Aubry. Tous avaient le crâne nu, la barbe
blanche et tombant jusqu'à la ceinture, le dos voûté et
un bâton noueux pour assurer
leurs pas. Si le
paysage où nous placions
nos personnages n'offrait
ni tulipiers, ni magnoliers,
ni chênes séculaires aux
mousses pendantes, ni cyprès
gigantesques ombrageant
des puits naturels,
c'est que nous savions que
ces arbres spéciaux à V.\-
mérique du Nord, ne se
trouvent pas dans celle du
Sud. C'était la seule concession
que nous eussions
cru devoir faire. Mais voilà
qu'au plus fort de nos illusions,
nous tombions d'Atala,
fille de Simaghan aux
bracelets d'or, sur une espèce
de femme-guenon,
au ventre ballonné , aux
extrémités d'araignée, aigre
, hargneuse , intolé-
rante ;
voilà que le Chactas
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de nos rêves se métamorphosait
en un Indien borgne, prisant du tabac dans nu
éteignoir et buvant de la chicha avec nos rameurs. ( »
poésie ! ô mensonge 1 ô déplorable effet des périodes à
quatre membres! fûmes-nous au moment d'exclamer,
en mesurant l'abîme dans lequel nous avait conduit une
admiration irréfléchie pour l'auteur des i\atilic:. Maintenant
que nous restait-il à faire? devions-nous remonter
de l'effet à la cause, conclure du néophyte au missionnaire?
Mais que seraient alors les pasteurs d'un pareil
troupeau ! Nous avions le frisson rien que d'y songer.
L'embouchure de la rivière Pisqui qui vint bâiller à
notre droite, donna à nos pensées une autre direction.
Ce cours d'eau sorti d'un bras détaché do la Cordillère
centrale et large d'environ trente mètres à sa confluence
avec l'Ucayali, compte sur .ses deux rives une douzaine
d habitations d'Indiens Sipibos.
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