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LE TOUR DU MONDE 1864 viaje a españa

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156 LE TOUR DU MONDE.

silence et la toilette de ses ongles l'occupait exclusivement.

A le voir ainsi replié sur lui-même, on eût pu le

croire calme, insensible et niatOrieilement heureux; mais

le calme chez lui u 'était qu'apparent. Une tempête grondait

sourdement dans son âme et s'i-pauchait en flols

amers sur les esclaves accroupis à ses pieds. Le tachydermiste

n'était pas à l'abri de ces orages domestiques.

D'aigres réprimandes et de vertes semonces Tatteij^'nirent

plus d'une fois dans le trajet de Sanla-Rita à Sarayacu.

Mais l'aimable jeune homme se consolait de ces mécomptes

en gonflant une de ses joues et frappant dessus

quand son patron avait tourné le dos, ou en fredonnant

le duo à'indiana et Charkmagne qui était pour lui ce que

le Tircly est pour les maisons-moussues, les renards et

les pinsons, ces étudiants de la docte Allemagne, une

faconde narguer la misère présente et d'attendre patiemment

l'avenir.

Ces bourrasques que le chef de la commission française

élevait de temps en temps autour de lui comme

le turbulent Éole, servirent d'émonctoire à la bile

qu'il sécrétait abondamment et détouruèrent l'ictère

dont il était menacé ; seule la sclérotique de ses yeux

prit la nuance du safran qu'elle conserva jusqu'à Sarayacu.

Depuis que nous étions entrés dans les eaux calmes et

qu'en touchant à Paruilcha, premier point habité par la

nation Couibo, nous avions laissé pour toujours en arrière,

les pierres, les écueils, les troncs d'arbres échoués

et les canaux-rapides, l'existence nous semblait un long

jour de fête; si nous ne chantions pas comme les oiseaux

en signe de sérénité et d'insouciance, notre félicité n'en

était pas moins réelle. L'abondance de vivres eût suffi

seule à nous tenir en joie. Dans les habitations de Conibos,

nous tiouvions chaqiie jour en échange d'aiguilles,

d'hameçons et de grelots, des bananes, du manioc, du

lamantin, du tapir, du singe et des tortues. Nos rameurs

Joueurs di;

liilboquet.

péchaient de beaux poissons qu'ils nous abandonnaient,

et le soir venu, eu abordant sur la plage déserte où nous

devions passer la nuit, nous n'avions qu'à fouiller le sable

pour en retirer des milliers d'œufs de tortue. Quelle antithèse

entre cette chère-lie et le jeûne érémitique que

nous avions observé durant seize jours chez les digues

Antis!

Le repas du soir achevé, nous faisions cercle autour d'un

feu allumé sur la plage, non dans le but d'éloigner les

mousti([ues, le moustique, comme le lézard de Buffou, est

l'ami de l'homme et s'attache à ses pas, mais pour eflVayer

les jaguars et les crocodiles, animaux taciturnes et faméliques,

qui vaguent dans la solitude à l'heure oîi tout

dort ici-bas. Cette tertulia à laquelle le comte de la

Blanche-Epine ne prit jamais part dans la crainte do

se commettre avec des espèces, mais que nos rameurs

Conibos égayaient volontiers de leur présence, était consacrée

à la récapitulation des actes de la journée et au

relevé topographique des lieux que nous verrions le

lendemain. Les intermèdes en étaient remplis par quelques

bourdes malignes de nos amis sauvages sur les

nations voisines, ou par des réponses aux questions que

nous leur adressions sur les us et coutumes de leur

tribu. Quand Theure du sommeil était venue, chacun

déroulait sa moustiquaire et la suspendait à deux rames

ou à deux roseaux fichés dans le sable. Jusque-là rien

que de très-simple ;

mais la difficulté, c'était de soulever

les plis de ce cadre d'étolTe et de se blottir dans l'intérieur

sans y introduire avec soi une légion de moustiques.

Il nous semble philanthropique et tout à fait digne

de nous, d'exjdiquer en passant de quelle façon s'exécute

cette manœuvre.

La moustiquaire suspendue à deux pieux par ses

deux traverses, et de manière à ce que la lisière de l'étofle

traînant sur le sol, n'offre aucun interstice par où puisse

entrer l'ennemi, le voyageur muni d'une branche feuillue

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