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LE TOUR DU MONDE 1864 viaje a españa

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154 LE TOUR DU MONDE.

chez les Ghonlaquiros, comme chez les Conibos, commençait

àm'incommoder. La jouruée d'ailleurs avait été orageuse,

— au figuré s'entend, car le temps était admirable.

— De petites taquineries, de petites attaques, de

petites ripostes entre les chefs des commissions-unies,

à propos d'une banane ou d'un poisson ofTert à celui-ci

par quelque néophyte et que réclamait celui-là, avaient

surexcité mes nerfs et fait vibrer mon impatience au

delà du diapason normal. Pour oublier momentanément

les rêves de béatitude des aspirants chrétiens et les

criailleries des chrétiens schismatiques, j'allai m'asseoir

sur la plage en face du Pachitea, et j'aspirai avec délices

le vent de barbarie qui venait de celte rivière habitée

parles Cachibos mangeurs d'hommes'. Ije soleil avait

disparu; les teintes enflammées du couchant se refroidissaient

dans un ton orangé. Les croupes des forêts étaient

d'un bleu roussàtre et comme sablé de poudre lumineuse

par les derniers reflets de l'astre évanoui. L'eau de l'Ucayali

avait la teinte de l'argent mat; celle du Pachitea

des tons d'or verdàtre. La pureté de l'atmosphère, la

limpidité du ciel que ne tachait aucun nuage, l'immensité

des lignes des horizons de droite et de gauche, donnaient

à ce paysage un caractère de grandeur et de solennité,

qui me réconcilia presque avec la mission de Santa-

Rita; je me sentis porté à excuser l'aridité du gîte en faveur

de l'admirable spectacle dont on jouissait de son

I

Projet d'une mission cliez

les Conibos de Santa-Rita.

seuil. Pendant un moment, j'enviai le bonheur du moine

inconnu qui, chaijue soir viendrait s'asseoir en cet endroit

pour oublier l'homme et la terre , et comme

Moïse sur l'Horeb, entrer en communication avec l'esprit

de Dieu, qu'on sentait flotter dans cette vaste solitude.

Le lendemain, sur les onze heures, nous quittâmes

Santa-Rita du Pachitea, emportant un croquis de la mission

future, et un bilboquet que nous avions acheté à

deux sauvages quinquagénaires qui y jouaient à tour de

rôle avec un imperturbable sérieux. Le manche de ce bilboquet

en bois de palmier Chonta (Oreodoxa), et de la

grosseur d'une baguette de fusil, était long de trente pouces,

et affilé comme une lardoire. Sa boule était formée

d'une tête de tortue de la grande espèce^ dépouillée de

sa chair, et soigneusement ralissée. Un fil tissé avec des

folioles de palmier, l'attachait au manche. La règle du

jeu de ce bilboquet conibo, comme il me fut donné d'eu

juger lie visu, était diamétralement opposée à celle du

bilboquet européen. Pour gagner la partie, il fallait

manquer la boule un certain nombre de fois au lieu de

la prendre. A ceux que la chose pourrait intéresser,

1. Nous reviendrons en temps opportun sur cette tribu des Cachibos,

ou mieux des Cacibos, autrefois nombreuse et redoutée de

ses voisins, aujourd'hui réduite à une poiyiiée d'hommes misérablement

pourchassés par les tribus voisines sous prétexte d'anthropophagie,

et auxquels tout voyageur passant par là ne manque

pas, sur la foi de la tradition, de jeter une pierre. V,v rictis !j

2. Testudo Amasoniensis.

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