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LE TOUR DU MONDE 1864 viaje a españa

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150 LE TOUR DU MONDE.

peu la monotonie du trajet et lafraîcliirent notre pulpe

cérébrale que menaçait de dessécher l'ardeur du soleil. Le

premier jour, dans l'après-midi, une idée quelconque

ayant poussé les rameurs de ma pirogue à côtoyer la berge

au lieu de .suivre le milieu du courant, je les entendais

proférer des clié, desxi,desschisto, interjections qui dans

l'idiome conibo, expriment la surprise à différents degrés

puis rapprocher l'embarcation du bord et sauter vivement

eu terre. Curieux de voir ce qu'ils voyaient, je les

suivis. La plage élevée, de trois ou quatre pieds au-dessus

du niveau de la rivière, était couverte dans un périmètre

de deux cents pas, de carapaces et de plastrons

de tortues, violemment séparés à coups de hache et auxquels

adhéraient encore des lambeaux de chair. Les

ruisseaux de sang qui avaient coulé pendant ce massacre,

dessinaient sur le sable de rougeàtres sillons. Çà

et là, perchés sur les lesludo des malheureux chéloniens,

comme des hiboux sur les lombes d'un cimetière,

des vautours-urubus repus à ne pouvoir voler, se tenaient

cois, le bec posé sur leur jabot dans une attitude de contemplation

digestive. Je parcourus cet étrange champ

de bataille sur lequel étaient restés trois cent dix-neuf

cadavres. Une douzaine de Conibos, parents ou amis de

mes rameurs, avaient fait à eux seuls toute cette besogne,

non pour se nourrir ou s'approvisionner de viande de

tortue, comme on pourrait le croire, mais seulement

pour détacher des intestins de cet amphibie, certaine

graisse jaune et fine qui y est attachée et qui est pour

les Conibos un des articles les plus prisés de leur commerce

avec les missions. Nous reviendrons sur ce genre

do massacre et sur ce trafic, eu trayaul la monographie

de ces indigènes.

Notre visite à ce Waterloo des toi'lues avait duré plus

d'une heure. Nous rentrâmes dans le lit du courant et

fîmes force rames pour rattraper nos compagnons, qu'au

coucher du soleil nous rejoignîmes sur une plage, où

déjà ils avaient allumé le feu du campement. Une troupe

de Conibos étrangers à la caravane, s'y trouvaient avec

eux. L'i'-poque de la ponte des toitues qui était venue,

expliquait la présence de ces indigènes. Pendant deux

heures, ce fut entre nos rameurs et ces inconnus, un

échange de syllabes et de consonnes à nous rendre sourds;

puis comme les affaires de ces derniers les appelaient

ailleurs, ils prirent congé de nous et se rembarquèrent.

Je ne sais si leur rencontre nous porta malheur, mais

la nuit que nous passâmes sur cette plage n'eut rien à

envier à celle de Sintulini qui suivit la mort de fray

Bobo notre aumônier. Les éclairs, la foudre, la pluie,

mêlée aux bouffées d'un vent furieux, éteignirent nos

feux, culbutèrent nos moustiquaires, ébouriffèrent notre

chevelure en tous sens et nous trempèrent jusqu'aux os.

Si nous passâmes cette effroyable nuit à grelotter de

froid et à maudire sur tous les tons le jour qui nous

avait vu naître, en revanche, nous ne sentîmes la piqûre

d'aucun moustique. A quelque ciiosc malheur

mimes en chemin. Sur les onze heures, nous nous arrêtâmes

dans une habitation de Conibos où l'on nous

cuisina dans une grande jarre, un millier d'œufs de tortue

mêlés à des bananes vertes, dont le principal avantage

est de faire un bouillon violet. Ce ragoût d'œufs

(chupé), bien que pesant à l'estomac, nous agréa fort.

dater de cette heure nous ne négligeâmes aucune occasion

de nous approvisionner d'œufs de tortue , ce qui

nous fut d'autant plus facile, que la ponte des chéloniens

qui met en émoi tous les peuples sauvages et civilisés

de ces contrées, avait lieu déjà sur quelques points privilégiés

'.

Dans la maison où nous goûtâmes pour la première

fois de ce mets indigeste, se trouvait un jeune sauvage

d'une dizaine d'années, nu comme un ver, mais le nez

coquettement orné d'une pièce d'argent qui lui cachait

la lèvre supérieure. Les traits de cet enfant, qui rappelaient

le type des Quechuas, des Antis et des Chontaquiros

, contrastaient si fort avec le masque rond

bonasse et souriant des Conibos, que nous nous renseignâmes

sur son compte. On nous dit qu'il était n'é sur

les berges ombreuses de la rivière Tarvita, un afffuent

de droite de l'Apu-Paro et qu'il appartenait à la nation

des Impetiniris. Les Conibos l'avaient pris dans une

razzia faite par eux chez ces indigènes, qu'ils accusaient

d'être venus de nuit leur voler des bananes. Depuis un

an que le jeune Impetiniri vivait sous le toit de ses

maîtres qui le traitaient comme un enfant de leur famille,

il feignait d'avoir oublié le lieu do sa naissance et

ne ])arlait qu'avec dédain des auteurs de ses jours. Le

cholo Aiiaya, à l'instigation du chef de la commission

péruvienne, ayant manifesté le désir d'acheter ce jeune

indigène, les gens de la maison le lui vendirent pour

trois couteaux représentant une valeur de 1 fr. 50 cent.

Le capitaine de frégate fut enchanté de sou acquisition.

Jusqu'à cette heure, le chef de la commission française,

maître d'un Malgache loué à Lima pour la circonstance

et possesseur d'un Apinagé, troqué par lui contre un

vieux fusil dans une traversée de l'Araguay, l'avait secrètement

humilié par ce déploiement de luxe despotique.

Désormais, il allait avoir comme son rival, un

esclave à lui, qui pourrait bourrer et débourrer sa pipe,

accourir à sa voix, se coucher à ses pieds ou le

est bon.

Au petit jour, nous quittâmes cette plage inhospitalière

et, les yeux bouffis par l'insomnie, nous nous re- I d'eau, que vers la tin de septembre.

suivre à

dislance ;

cette idée fut un dictame pour les blessures de

son amour-propre et comme une compensation aux

pertes réelles qu'il avait essuyées.

1. L'avance on le relani dans la crue ou la décroissance des

eaux de rUcayali-Ainaiioue et do ses grands affluents que nous

verrons plus tard, tient au voisinage plus ou moins immédiat des

sources de ces rivières avec les neiges des Andes. De là cette différence

de quinze jours, trois .semaines, nn mois même, observée

dans l'élévation ou l'abaissement de niveau de chacune d'elles. De

là aussi, et selon le cours d'eau, une avance ou un retard dans la

ponte annuelle des toitues et la récolte de leurs œufs par les riverains.

Notre Apu-Paro et la rivière des l'urus, malgré une distance

de plus do trois cents lieues qui sépare leur embouchure,

sont de tous les tributaires du llaut-Aïua/.one coulant du sud au

nord, ceux qui baissent les premiers. Di's le l.^ aoOt, leurs plages

sont à sec et les tortues y déposent leurs œufs, tandis qu'elles no

pondent sur les plages du Javary, du Jurua et autres grands cours

A

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