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LE TOUR DU MONDE 1864 viaje a españa

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LE TOUR DU MONDE. 149

Il y avait trois jours, nous dit-on, qu'une pirogue

montée par une famille d'Indiens Sensis '

s'était arrêtée

à l'endroit du rivage où nous venions d'aborder nousmêmes;

cette famille pour échapper à la mortalité que

la petite vérole exerçait en ce moment parmi les gens de

sa tribu, avait déserté son toit de palmes, et, s'abandonnant

au courant de la rivière Capoucinia, était entrée

dans les eaux de l'Apu-Paro, qu'elle remontait d'aval en

amont, cherchant, comme l'errante Élise de Virgile, un

air pur et un endroit propice pour y édifier un autre

ajoupa. A cette nouvelle, qui nous surprit un peu, mais

dont nos hôtes paraissaient terrifiés, ils ajoutèrent, qu'en

nous voyant venir à eux, vêtus d'habits extravagants et

porteurs de barbes blondes ou noires, ils nous avaient

pris pour des mauvais génies chargés par Yurima, l'esprit

des ténèbres, d'apporter l'épidémie dans la contrée.

Quelque peu flatteur qu'il put nous sembler d'avoir été

pris pour autant de diables, nous ne dîmes rien de désobligeant

à nos hôtes en songeant à la chaude alerte

qu'involontairement nous leur avions causée.

De tous les fléaux qui peuvent assaillir l'indigène, la

petite vérole est celui qu'il redoute le plus. Le danger,

la fatigue, les privations, le trouvent insensible; la

faim même, n'a sur lui qu'une influence secondaire, car

il

la trompe en buvant son épais mazato. Seule, la petite

vérole a le don d'émouvoir sa bile et de fondre la glace

de son naturel ;

à l'annonce de l'épidémie, il prend ses

jambes à son cou, et, sans regarder derrière lui, dévalle

à travers forêts et rivières, comme si le diable l'éperonnaitde

ses ongles crochus. Habituellement, il ne retourne

la tête que lorsqu'il a mis trente ou quarante lieues entre

sa personne et l'endroit où sévit le fléau.

La petite vérole est dans son idée, la sinistre avantcourrière

de la mort. La première pustule que le virus

fait éclore à la surface de sa peau, équivaut au coup de

faux du terrible squelette ;

tant d'individus, de familles,

?Î25=S.

Un massacre de tortues.

de tribus tout entières, sont tombés sous ses yeux, victimes

de ce mal étrange, manifestation de la colère du

Grand-Esprit, qu'il juge parfaitement inutile de le combattre.

Aux premiers symptômes de l'éruption cutanée,

alors que la fièvre brûle son sang, le seul remède, ou

plutôt -le seul palliatif auquel il ait recours pour se débarrasser

d'une insupportable chaleur, c'est de courir à

la rivière, de se plonger dans l'eau jusqu'au menton et

de rester immobile jusqu'à ce que le froid l'ait saisi. On

devine le résultat de ce traitement '.

1. La tribu des Sensis, fraction minime de la grande nation

rano, aujourd'hui éteinte, était autrefois réunie en mission. Elle

habite les alentours de Chanaya-Mana, chainon ouest de la Sierra

de Cuntamana. Nous reviendrons sur ces indigènes en parlant des

missions de l'Ucayali.

2. C'est à la petite vérole, autant qu'aux guerres intestines et

aux ts%ais de civilisation tentés, d'un cûlé par les Péruviens, de

l'autre par les Brésihens

,

qu'on doit attribuer l'extinction totale

ou la diminution sensible des tribus indigènes qui, au dix-huitième

siècle, bordaient encore les rives du HuaUaga,du Maraiion,

Un moment de conversation avec ces Conibos nous

suffit pour les rassurer et dissiper la fâcheuse opinion

qu'ils avaient eue de nous. Grâce à leur changement

d'humeur, nous pûmes nous procurer des poules, une

tortue et des régimes de bananes. La vieille Hébé qui

nous avait ofi'ert son ambroisie locale et à laquelle nous

avions donné quelques perles en verre coloré pour rehausser

ses charmes sexagénaires, courut après nous au

moment où nous nous dirigions vers nos pirogues, et,

avec une affreuse grimace qu'elle croyait être un bienveillant

sourire, nous remit personnellement un petit sac

en jonc aKistement tressé et plein d'arachides grillées.

Durant les cinq jours que nous mimes à atteindre

r embouchure de la rivière Pachitea, il nous échut quelques

distractions à défaut d'aventures, qui rompirent un

de l'Ucayali et du Bas-Amazone. Sur plus de cent vingt peuplades

qu'on y comptait ;\ cette époque, il en reste à peine trente aujourd'hui.

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