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142 LE TOUR DU MONDE.
ser qu'à l'époque où les deux nations vivaient sous d'autres
latitudes , n'ayant qu'un idiome commun , leur
caractère devait avoir une parité qu'il a perdue en changeant
de climat et de langue.
La température élevée du pays qu'habite le Chontaqjiro,
la beauté des sites, la pureté de la lumière, la
gaieté des horizons, les ressources abondantes qu'offrent
les forêts et les eaux pour la chasse et la pèche, enfin la
presque certitude qu'a toujours l'indigène, après avoir
déjeuné hier, de dîner aujourd'hui et de souper demain,
ces avantages qu'il possède et dont il jouit instinctivement,
ont équilibré son moral, épanoui son physique et
mis un sourire constant sur ses lèvres lippues.
L'Antis, au coulraire, retranché dans ses gorges pierreuses
qu'assiègent d'effroyables tempêtes ou que noient
des pluies diluviennes, l'Antis relégué au bord de ses
rivières torrentueuses dont les eaux à demi glacées par
le voisinage des neiges de la Sierra, nourrissent à peine
trois variétés de chétifs poissons, l'Antis battant le bois
toute une journée avant d'y trouver le quadrupède oul'oiseau
dont il s'alimente, a contracté dans la lutte incessante
de son appétit inassouvi contre )a misère , cette
tristesse famélique, qu'on remarque en lui à première
vue. Rien n'assombrit plus la physionomie que de ne
pas savoir si l'on dînera. Or l'cùstence des Antis est soumise
à cette perpétuelle inquiétude , d'où il s'ensuit
que leur physique, comme certains pitons, est toujours
voilé de nuages.
Les formes du Choutaquiro sont plus robustes et
mieux réussies que celles de l'Antis, sa force cl son agilité
plus grandes. Il a le cou court, les épaules larges,
de puissants pectoraux et des bras dont le deltoïde et le
biceps saillent au moindre geste. Celte robustesse, conséquence
logique de son hygiène, dénote l'accord souverain
qui existe chez lui entre les membres et l'estomac.
Pourquoi, en effet, quand luesser Gaster est heureux
et toujours satisfait, les membres qu'il gouverne comme
un roi ses sujets, ne participeraient-ils pas de sa généreuse
pléthore'/
Si l'Antis excelle à conduire un canot dans les torrents
elles rapides, le Chontaquiro est sans rival dans la navigation
sur les eaux calmes. Pour lui, la rame est un
jouet et la pirogue un esclave qui sj plie à tous ses caprices;
il pèse sur elle, l'agile en tous sens, la fait tournoyer,
la lance comme une flèche, rarrcte brusquement
et sans que la volage embarcation coure quelque danger
à cet oubli complet dus lois de l'équilibre. L'exercice de
la pirogue par les Chontaquiros peut être comparé à
celui du cheval par les Gauchos des llanos-pamj)as.
Ces Indiens ajoutent au sac-tunique des Antis un capuchon
qui abrite leur tête contre le soleil et défend
leur cou contre la piqûre des moustiques. Les femmes
n'ont d'autre vêtement qu'une bande de coton tissé, large
d'un pied et teinte en brun, qui ceint leurs flancs et
tombe jusqu'à mi-cuisses. Leur luxe consiste en verroteries
qu'elles suspendent à leur col ou dont elles entourent
leurs poi^'ncls en manière de bracelets. Une
t.ertaiue quaiililé de ces babiulcs que leurs époux se
procurent dans les missions péruviennes et dans les
comptoirs brésiliens, en échange de cire, d'huile de lamentin
ou de graisse de tortue, constitue chez ces indigènes
la qualité de lionne ou de femme à la mode.
Quelques élégantes portent attachés à ces colliers cliquetants
qui leur iiendent jusqu'au nombril, des piècesd'argenl
aux armes de la répubUque du Pérou, ou des sous
de cuivre à l'efligie de l'empereur du Brésil.
Une remarque que nous avions faite in pcllo à propos
des femmes des Antis et que nous ne pouvons nous empêcher
de faire à haute voix au sujet des femmes des
Chontaquiros, c'est que, jusqu'ici, la plus belle moitié
du genre humain, nous a paru chez ces indigènes en être
la plus laide. Qu'on se figure comme prototype du genre,
une femme haute de quatre pieds quatre pouces, avec
des cheveux dont la rudesse rappelle le crin d'une brosse
à habit. Ces cheveux, d'un noir mat avec des reflets fauves,
sont coupés carrément à la hauteur de l'œil, mode étrange
et peu gracieuse, qui oblige une femme lorsqu'elle veut
regarder devant soi à pencher brusquement la tête en
arrière, comme certains chevaux ,
qu'on corrige de cette
manie ])ar l'applicatiou d'une mariingale.
L'épiderme de ces femmes est si épais et les papilles
nerveuses qu'il recouvre sont si dilatées par le choc fréquent
de corps durs, la piqûre des insectes, la fréquente
des bains et les intempéries de l'air, qu'on le prendrait de
près pour le réseau d'une cotte de mailles; c'est âpre au
toucher, comme la face postérieure de certaines feuilles
végétales.
Les belles lignes serpentines de la statuaire grecque
n'évidèrent jamais ces corps féminins, dont l'embonpoint,
dès la seizième année, tourne à l'obésité et donne
au torse des vierges comme à celui des matroues, je ne
sais quel air de potiches ventrues. Le cordon ombilical
maladroitement coupé à la naissance de l'enfant, devient
chez l'adulte un œuf charnu de la grosseur du poing, et
ajoute à cette jjartie du corps qui s'en passerait volontiers,
un facétieux appendice. Les pieds de ces femmes en
contact incessant avec les broussailles épineuses de la
forêt ou les cailloux des plages, sont sillonnés de profondes
ger(;ures, et leurs mains que le travail a durcies de bonne
heure, pourraient remplacer avantageusement pour le
polissage du bois, la pierre-ponce ou le papier de \erre.
Fi l'horreur! exclamera peut-être une de nos lectrices,
mais l'original d'un pareil portrait est un animal et non
pas une femme! Hélas! madame ou mademoiselle, répondrons-nous,
nous n'inventons rien et ne sommes
qu'historien véridique. Toutefois le portrait qui vous
choque est encore incomplet, et poèf l'achever, nous
ajouter(ms que le visage est rond, le frout bas et étroit,
les pommettes saillantes, les yeux petits, obliques et bridés
par les coins; que ces yeux à sclérotique jaune et à
pupille couleur de tabac d'Es|)agne, sont souvent privés
de cils,
presque toujours dépourvus de sourcils et s'iiarmouient
tant bien que mal à un nez fortement aquiliu
ou singulièrement épaté , à une bouche grande avec des
lèvres épaisses et des dents courtes, mais blaudies, comme
celles d'uu jeune chien.