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130 LE TOUR DU MONDE.
amas de petits nuages que ses derniers rayons frangeaient
de cinabre et de feu. La rivière Apurimac divisée
en trois bras*, coupait inégalement la ))lage que nous
achevons de décrire, et ses eaux d'un vert d'émeraude,
qu'aucun vent ne ridait, venaient, dans un calme superbe,
se mêler aux ondes troubles et jaunâtres du Quillabamba-Santa-Ana.
Je me fusse arrêté longtemps devant ce tableau, si le
chef de la commission péruvienne qu'il n'intéressait que
médiocrement, ne m'eût demandé tout à coup et d'un
air perplexe, ce que je complais manger à souper, aucune
espèce de provisions ne se trouvant dans la pirogue.
Non seulement je pus répoudre à sa question et
le tirer d'embarras, mais même m 'acquitter lionorablement
envers lui. ]'our cela , il me suffit d'ouvrir un
caisson-havre-sac qu'au début du voyage je portais sur
mon dos, à l'aide de bretelles. Dans ce caisson était enfouie
sous des croquis de plantes cl des réflexions mairnscrilcs,
certaine boite de sardines k l'huile que le
lecteur a sans doute oubliée, mais dont je m'étais toujours
souvenu. Cette boite qui depuis notre départ d'Écharati
avait supporté bien des chocs ,
subi bien des
averses, échappé à bien des naufrages, fut retirée, un
peu oxydée il est vrai , de l'endroit où je la tenais, mais
gardant fidèlement, malgré cet oxyde, le dépôt que le
fabricant de conserves alimentaires lui avait confié.
A l'aide d'un couteau et d'ime pierre, j'enlevai son couvercle
et remis à chacun de nous, y compris le mozo
Anaya, compagnon du cholo Antonio, une part du poisson
qu'elle contenait. Gomme nous étions quatre pour
manger cinquante sardines, c'étaient juste douze et demie
qui revenaient à chaque individu. Un morceau de pain
eût été nécessaire pour accompagner ce mets irritant,
mais nous y suppléâmes en buvant une gorgée d'huile.
Les Ghontaquiros qui avaient énergiquement refusé de
goûter à ce qu'ils appelaient du poisson pourri, soupèrent
d'air et de rosée et réclamèrent seulement par l'organe
de l'interprète, la boite de ferblanc que nous leur
abandonnâmes après l'avoir vidée. Cet objet qu'ils lavèrent
et fourbirent pour lui enlever son odeur, fut conservé
par eux comme un échantillon de l'industrie européenne.
Nos sardines mangées, nous nous couchâmes sur les
pierres, faute d'herbe ou de roseaux pour fabriquer des
matelas. Nos rameurs qui avaient jugé convenable de ne
pas souper, trouvèrent o])portun de ne pas dormir et
passèrent la nuit à chuchoter entre eux. Malgré le dédain
qu'ils affectaient à l'égard dos Antis et leur ton railleur
en parlant de ces indigènes, je crus comprendre qu'ils
n'étaient pas très-rassurés de se trouver de nuit, sans
armes et en petit nombre, h l'embouchure de l'Apurimac
dont les deux rives, dans l'intérieur, sont habitées par
des Indiens Antis. De temps eu temps, je les voyais se
soulever sur un coude, interroger de l'œil les noires
profondeurs de la rivière et échanger quelques mots h.
1. Le bras principal de celle rivière peut avoir cent cinquante
mètres de largeur et les deux autres de soi.\aate dix à quatrevingts
mètres.
voix basse. Peut-être craignaient-ils une surprise de
l'ennemi ; car si les Antis riverains du Quillabamba-
Santa-Ana vivent en d'assez bons termes avec les Ghontaquiros,
et se laissent au besoin rançonner par eux,
leurs frères de l'intérieur ne se montrent pas d'aussi
bonne composition et tiennent à distance respectueuse
leurs turbulents voisins.
L'inquiétude de nos rameurs s'évanouit avec l'obscurité.
Quand parut le jour, nous voguions au large. En
se retrouvant au milieu de l'Apu-Paro, c'est le nom
que prend notre rivière après sa jonction avec l'Apurimac
ou Tambo (Tampu) , la verve des Ghontaquiros,
contenue par la peur, fit explosion; tous se mirent à babiller
, de concert avec les singes et les oiseaux qui
s'éveillaient sur les deux rives.
Tout en suivant le cours de l'Apu-Paru, formé, comme
nous venons de le dire, par la réunion des rivières Apurimac
et Quillabamba-Saula-Ana, jetons un coup d'œil,
non sur cette dernière que nous avons vue sortir, à
Aguas-Galienles, du Huilcacocha ou lac de Huilca, mais
sur sa voisine, dont nous n'avons rien dit encore, 'bien
que les géographes s'en occupent depuis longtemps et
que sa noblesse historique fût déjà reconnue au temjis
des Incas.
Le lac de Vilafro d'où sort l'Apurimac, est situé par
16° 55" de latitude australe, entre les sierras de Gailloma,
de A'elille et de Gondoroma, ramifications de la
chaîne des Andes occidentales. La longueur de ce lac est
d'environ deux lieues , sa largeur d'une lieue et demie
et sa prolondeur variable entre trois et sept brasses.
De la vasque fracturée de ce bassin , dans la partie de
l'est,
s'échappe un ruisseau qui s'épand sans bruit à travers
la jilaine et ,
grossi à huit lieues de là par les eaux
du torrent Parihuana, prend le nom de rivière de Chita,
sous lequel il longe les provinces de Gauas et de Ghumbihuilcas,
se dirigeant au nord en ligne presque droite.
Après un trajet de vingt-trois lieues durant lequel il a
reçu neuf ruisseaux par la gauche et onze par la droite,
il passe brusquement du nord à l'ouest, prend le nom
d"Apurimac en quittant la province de Quispicanchi pour
entrer dans celle de Paruro, puis rectifiant insensiblement
son cours, il traverse les provinces d'Antas et d'Abancay
el coupe , dans l'aire du nord-est , la chaîne des
Andes centrales. Là, profondément encaissé entre de
hautes montagnes, il parcourt des solitudes inaccessibles
où, peudant vingt-cinq ou trente lieues, on le perd
de vue. 11 reparaît à gaucho des vallées de Saata-Ana et
de Huarancalqui , se dirigeant toujours au nord-nordest.
— Grossi tour à tour par les eaux du Pachachaca,
du Pampas ou Gocharcas, du Xauja ou Mantaro, descendus
des hauteurs d'Abancay, d'Ayacucho, de Huanta, de
Huancavelica et de Pasco, il traverse la région du Pajonal,
reçoit par la gauche les deux rivières jointes en un
seul cours, de Pangoa et de Ghaucliamayo {Eue y Pcrcnc),
et désormais stalionuaire dans la direction du norJ-nordest
quart nord, il opère sa jonction avec le Quillabamba-Sanla-Ana,
par 10" 75" de latitude.
Pendant longtemps, il fut de luuJe parmi lesgéogra-