Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
s'y épaissit, et dans ces ténèbres voltigent des spectres.
Un torrent s'y jette avec d'horribles mugissements et
semblable k un furieux, précipite ses eaux boueuses du
haut des montagnes, et rongeant la base de ces ardus
rochers, il perce la caverne et en jaillit lui-même. Ici
ni Pan, ni les Faunes, ni les satyres lascifs ne prennent
leurs ébats. Quiconque, ayant oublié les amours, ayant
oublié les jeux, s'approche de l'entrée et aperçoit les
formes redoutables dans lesquelles s'enveloppe cet antre,
tombe dans le tremblement et plus rapide que l'Eurus,
il s'enfuit en arrière. C'est ici en effet que les inhumaines
divinités de Pluton , la Terreur et l'Horreur semblent
avoir fixé leur séjour. ^
Il est difficile de trouver un contraste plus authentique
et en même temps plus frappant entre les sentiments
qu'inspirait la nature sauvage à l'époque du
moyen âge et même de la Renaissance et ceux qu'elle
nous inspire depuis que les régions abruptes sont devenues
un objet de plaisir et d'admiration pour tous ceux
qui les visitent. Les vers de Pascalis rajjpellent la lettre
de Boileau, sur son passage dans les Alpes, qui ne suscitaient
en lui qu'épouvante et horreur. Quoi qu'il en
soit, on peut aussi voir là une preuve de la haute estime
dans laquelle étaient tenues dès ce temps-là les eaux de
Pfâfers, puisque les malades prenaient le courage de se
mettre au-dessus d'une telle répulsion pour profiter de
leurs bienfaits. « Quoique la pâle multitude, dit un autre
poète du même temps, subisse le danger de mort en
descendant au fond de cet abime, elle ne s'arrête pas
cependant, tant il importe de jouir d'un corps valide et
de se délivrer des maux qui nous assiègent ! i>
Aussi les malades, une fois arrivés à l'établissement,
n'étaient-ils pas pressés d'en sortir avant que leur cure
ne fût complètement achevée. On demeurait dans le
bain toute la journée, pour en finir plus vite, et même
y restait-on quelquefois toute la nuit. Il résultait d'une
immersion aussi prolongée , comme il est aisé de le
pressentir, des accidents morbides de diverses natures,
et particulièrement de la fièvre, des éruptions et finalement
des ulcérations développées sur une grande échelle.
En résumé , on se donnait une véritable maladie du
tissu cutané, mais cette maladie n'était que passagère,
et en attirant les humeurs à la périphérie, elle les déournait
souvent de l'intérieur et devenait cause de la
guérison. On pouvait dire, en toute rigueur, que les malades
rajeunissaient en faisant peau neuve. Cette médication
violente est tombée peu à peu en désuétude, et
aujourd'hui, loin de prendre, comme jadis, des bains
d'une quinzaine de jours, on les prend tout au plus
d'une quinzaine de minutes.
Du reste, les affections qui faisaient afiluer de toutes
parts les malades à Pfâfers étaient à peu près les mêmes
que celles qui continuent toujours à les y attirer : l'efficacité
des eaux à ce sujet a donc pour elle la voix des
siècles. Voici ce que dit là-dessus Pascalis : a Ceux dont
les membres sont paralysés, dont les muscles sont roidis,
que tourmente la goutte, chez lesquels une vieille cicatrice
se rouvre et fermente, dont la tête ou les reins
LE TOUR DU MONDE.
sont sujets à des douleurs aiguës, dont la mémoire commence
à se troubler, dont les yeux s'affaiblissent ou
sont malades, dont la peau est ulcérée, dont les membres
sont contractés, dont le cerveau laisse découler dans
les organes qui lui sont soumis quelque chose de nuisible,
dont l'estomac desséché éprouve des défaillances
et des dégoûts, n'ontqu'à se rendre là et se plonger dans
ces eaux médicales. Qu'ils y fassent aux nymphes d'abondantes
libations et qu'ils sollicitent les naïades en
vidant en leur honneur de nombreuses coupes, ils sentiront
quelle puissance possèdent ces eaux, quoique plongées
dans une nuit épaisse. » On voit que les maladies
de poitrine, pour lesquelles les médecins s'accordent aujourd'hui
à éviter les eaux de Pfâfers, n'y élaient pas
non plus traitées autrefois.
Ce singulier établissement, unique au monde assurément,
dura jusqu'au commencement du dix-septième
siècle. Mais dans l'hiver de 1627, il fut enlevé en partie
par un éboulement de neiges et de glaces, et bientôt
après un incendie en consuma les derniers restes.
C'est alors seulement qu'au lieu d'envoyer les malades
chercher les eaux avec tant de peine, de tristesse et de
danger dans le fond de cet abîme, on eut l'idée bien
simple d'amener au contraire les eaux vers les malades.
Malheureusement, l'idée ne se développa d'abord qu'à
moitié. On se borna à pratiquer une entaille dans le
bas des escarpements, au débouché de la grotte, de manière
à pouvoir y construire à ciel ouvert un bâtiment
d'une étendue suffisante pour les besoins. On y descendait
par une rampe taillée dans l'escarpement, et finalement
l'amélioration consistait en ce qu'on se trouvait
au fond d'un paits et non plus au fond d'une caverne.
La vallée était coupée à pic et entièrement occupée dans
sa partie inférieure par le torrent; aucune promenade
n'était possible, à moins de remonter péniblement le
long des parois jusque dans les pâturages; l'habitation,
collée en partie contre le rocher, soumise à une humidité
constante, à peine visitée pendant quelques heures
par le soleil, n'offrait poiut toute la salubrité désirable
;
le séjour était plus que sévère et l'on s'y ennuyait. Au
commencement du dk-hiiitième siècle, les bâtiments
étant en mauvais état, et devenant d'ailleurs insuffisants
pour l'affluence sans cesse croissante des malades, il
fallut les reconstruire, et dès lors, la question se posa de
les transporter plus loin. Rien n'était plus naturel : on
avait fait un premier pas vers la lumière et l'on s'en
était bien trouvé, tout conseillait d'en faire un second.
Mais les moines sont rarement novateurs, et le chapitre
décida que le nouvel établissement s'élèverait à
la même place que l'ancien. Cet établissement, empreint
d'un style si monastique, qu'on le prendrait à
première vue pour un couvent ou pour un hôpital, subsiste
encore : c'est la maison actuelle de Pfâfers.
Le monastère ayant été sécularisé en 1838, une ère
nouvelle s'ouvrit immédiatement pour l'administration
de ces eaux précieuses sous la direction éclairée du
gouvernement du canton. On revint à l'idée de les amener
en pleine campagne et de convier les malades, non