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LE TOUR DU MONDE 1864 viaje a españa

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s'y épaissit, et dans ces ténèbres voltigent des spectres.

Un torrent s'y jette avec d'horribles mugissements et

semblable k un furieux, précipite ses eaux boueuses du

haut des montagnes, et rongeant la base de ces ardus

rochers, il perce la caverne et en jaillit lui-même. Ici

ni Pan, ni les Faunes, ni les satyres lascifs ne prennent

leurs ébats. Quiconque, ayant oublié les amours, ayant

oublié les jeux, s'approche de l'entrée et aperçoit les

formes redoutables dans lesquelles s'enveloppe cet antre,

tombe dans le tremblement et plus rapide que l'Eurus,

il s'enfuit en arrière. C'est ici en effet que les inhumaines

divinités de Pluton , la Terreur et l'Horreur semblent

avoir fixé leur séjour. ^

Il est difficile de trouver un contraste plus authentique

et en même temps plus frappant entre les sentiments

qu'inspirait la nature sauvage à l'époque du

moyen âge et même de la Renaissance et ceux qu'elle

nous inspire depuis que les régions abruptes sont devenues

un objet de plaisir et d'admiration pour tous ceux

qui les visitent. Les vers de Pascalis rajjpellent la lettre

de Boileau, sur son passage dans les Alpes, qui ne suscitaient

en lui qu'épouvante et horreur. Quoi qu'il en

soit, on peut aussi voir là une preuve de la haute estime

dans laquelle étaient tenues dès ce temps-là les eaux de

Pfâfers, puisque les malades prenaient le courage de se

mettre au-dessus d'une telle répulsion pour profiter de

leurs bienfaits. « Quoique la pâle multitude, dit un autre

poète du même temps, subisse le danger de mort en

descendant au fond de cet abime, elle ne s'arrête pas

cependant, tant il importe de jouir d'un corps valide et

de se délivrer des maux qui nous assiègent ! i>

Aussi les malades, une fois arrivés à l'établissement,

n'étaient-ils pas pressés d'en sortir avant que leur cure

ne fût complètement achevée. On demeurait dans le

bain toute la journée, pour en finir plus vite, et même

y restait-on quelquefois toute la nuit. Il résultait d'une

immersion aussi prolongée , comme il est aisé de le

pressentir, des accidents morbides de diverses natures,

et particulièrement de la fièvre, des éruptions et finalement

des ulcérations développées sur une grande échelle.

En résumé , on se donnait une véritable maladie du

tissu cutané, mais cette maladie n'était que passagère,

et en attirant les humeurs à la périphérie, elle les déournait

souvent de l'intérieur et devenait cause de la

guérison. On pouvait dire, en toute rigueur, que les malades

rajeunissaient en faisant peau neuve. Cette médication

violente est tombée peu à peu en désuétude, et

aujourd'hui, loin de prendre, comme jadis, des bains

d'une quinzaine de jours, on les prend tout au plus

d'une quinzaine de minutes.

Du reste, les affections qui faisaient afiluer de toutes

parts les malades à Pfâfers étaient à peu près les mêmes

que celles qui continuent toujours à les y attirer : l'efficacité

des eaux à ce sujet a donc pour elle la voix des

siècles. Voici ce que dit là-dessus Pascalis : a Ceux dont

les membres sont paralysés, dont les muscles sont roidis,

que tourmente la goutte, chez lesquels une vieille cicatrice

se rouvre et fermente, dont la tête ou les reins

LE TOUR DU MONDE.

sont sujets à des douleurs aiguës, dont la mémoire commence

à se troubler, dont les yeux s'affaiblissent ou

sont malades, dont la peau est ulcérée, dont les membres

sont contractés, dont le cerveau laisse découler dans

les organes qui lui sont soumis quelque chose de nuisible,

dont l'estomac desséché éprouve des défaillances

et des dégoûts, n'ontqu'à se rendre là et se plonger dans

ces eaux médicales. Qu'ils y fassent aux nymphes d'abondantes

libations et qu'ils sollicitent les naïades en

vidant en leur honneur de nombreuses coupes, ils sentiront

quelle puissance possèdent ces eaux, quoique plongées

dans une nuit épaisse. » On voit que les maladies

de poitrine, pour lesquelles les médecins s'accordent aujourd'hui

à éviter les eaux de Pfâfers, n'y élaient pas

non plus traitées autrefois.

Ce singulier établissement, unique au monde assurément,

dura jusqu'au commencement du dix-septième

siècle. Mais dans l'hiver de 1627, il fut enlevé en partie

par un éboulement de neiges et de glaces, et bientôt

après un incendie en consuma les derniers restes.

C'est alors seulement qu'au lieu d'envoyer les malades

chercher les eaux avec tant de peine, de tristesse et de

danger dans le fond de cet abîme, on eut l'idée bien

simple d'amener au contraire les eaux vers les malades.

Malheureusement, l'idée ne se développa d'abord qu'à

moitié. On se borna à pratiquer une entaille dans le

bas des escarpements, au débouché de la grotte, de manière

à pouvoir y construire à ciel ouvert un bâtiment

d'une étendue suffisante pour les besoins. On y descendait

par une rampe taillée dans l'escarpement, et finalement

l'amélioration consistait en ce qu'on se trouvait

au fond d'un paits et non plus au fond d'une caverne.

La vallée était coupée à pic et entièrement occupée dans

sa partie inférieure par le torrent; aucune promenade

n'était possible, à moins de remonter péniblement le

long des parois jusque dans les pâturages; l'habitation,

collée en partie contre le rocher, soumise à une humidité

constante, à peine visitée pendant quelques heures

par le soleil, n'offrait poiut toute la salubrité désirable

;

le séjour était plus que sévère et l'on s'y ennuyait. Au

commencement du dk-hiiitième siècle, les bâtiments

étant en mauvais état, et devenant d'ailleurs insuffisants

pour l'affluence sans cesse croissante des malades, il

fallut les reconstruire, et dès lors, la question se posa de

les transporter plus loin. Rien n'était plus naturel : on

avait fait un premier pas vers la lumière et l'on s'en

était bien trouvé, tout conseillait d'en faire un second.

Mais les moines sont rarement novateurs, et le chapitre

décida que le nouvel établissement s'élèverait à

la même place que l'ancien. Cet établissement, empreint

d'un style si monastique, qu'on le prendrait à

première vue pour un couvent ou pour un hôpital, subsiste

encore : c'est la maison actuelle de Pfâfers.

Le monastère ayant été sécularisé en 1838, une ère

nouvelle s'ouvrit immédiatement pour l'administration

de ces eaux précieuses sous la direction éclairée du

gouvernement du canton. On revint à l'idée de les amener

en pleine campagne et de convier les malades, non

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