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LE TOUR DU MONDE 1864 viaje a españa

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LE TOUR DU MONDE.

Depuis, j'ai fait plusieurs ascensions aux cimes des

environs, et des excursions par le chemin de fer à Coire,

où j'ai acheté quelques livres italiens, — à Wallenstadt,

où j'ai eu plaisir à -contempler le lac des heures entières,

— à Glaris (Glarus) l'une des villes les plus pittoresques

du monde, située au pied d'un mont géant,

détaché et isolé comme le Righi. Aucune de ces promenades

ne m'a pris plus d'un jour.

On éprouve un bien-être indicible dans les piscines :

cette eau de Pfâfers a la douceur du lait.

Ce matin j'ai rendu visite au vénérable abbé Fédérer,

doyen de Ragaz.

On reconnaît sa maison, éloignée de l'église, à une

grille en bois et à une petite allée bordée de vignes,

qui conduit à la porte d'entrée, cintrée et de couleur

rouge pâle . A droite et à gauche deux petits aloës, indices

du voisinage de l'Italie, couronnent deux piliers sans

art; au-dessous, des fuchsias et deux figuiers. Je tirai un

anneau de cuivre, et à une petite fenêtre du premier

étage parut la tête d'une bonne femme bien âgée, qui

me fit en patois allemand une question plus facile à deviner

qu'à comprendre. — Je désire, répondis-je, parler

à M. le doyen. — Aussitôt la porte s'ouvrit. La bonne

femme descendit prestement l'escalier et me fit signe de

le remonter avec elle. Puis elle se retira en m'indiqtiant

du doigt, avec respect, une porte au fond du corridor

dont les murs blanchis sont ornés de quelques pauvres

estampes religieuses.

La porte de la chambre était ouverte. Le doyen écrivait

sur un registre; il se leva dès qu'il m'aperçut et

vint au-devant de moi.

C'est un petit vieillard, à figure un peu épaisse, mais

où l'intelligence et la bonté respirent. Il n'a point de

tonsure : ses cheveux gris sont séparés au milieu par une

raie. Il jiarle avec beaucoup de sens et de sensibilité ; ses

yeux, sous ses lunettes, se mouillent aisément de larmes.

Il était vêtu de noir : sa redingote m'a paru bien usée.

Après l'avoir prié d'accepter, en guise de carte de

visite, quelque peu d'or pour ses œuvres de charité, je

lui avouai qu'un sentiment de curiosité peut-être indiscret

m'avait surtout amené vers lui.

«J'ai vu, lui dis-je, dans le cimetière un monument

de marbre élevé à la mémoire de Schelling. Avant de

mourir, s'était-il donc converti au catholicisme ?

— Non, me répondit le doyen. Les protestants ne sont

pas encore nombreux à Ragaz. Il est vrai que ce sont les

plus riches de la commune , les aubergistes, les marchands

et les industriels, et qu'un temps viendra, sans

doute, où ils auront leur temple et leur cimetière : mais

jusqu'à ce jour, ils portent leurs morts à la terre sainte

des catholiques. J'assiste, de leur consentement, à la dernière

cérémonie et je prononce quelques paroles d'adieu

qui sont toujours bien écoutées. Voilà comment il

se fait

que nous avons la tombe de Schelling à côté des nôtres.

Le célèbre professeur était depuis un mois ici. 11 avait

près de (juatre-vingts ans; on espérait que les eaux

prolongeraient encore quelque temps sa vie. Son ami,

le jurisconsulte Savigny et sa famille, et aussi Brentano,

l'avaient accompagné. Mme Savigny, qui est catholique

ainsi qu'un de ses fils, aurait bien voulu me faire

admettre près de Schelling, mais cela n'a pas été possible

: il nous aurait répugné d'user d'aucune surprise.

» Avez-vous remarqué, ajouta-t-il, parmi les ornements

de la grille qui entoure la fosse, des faisceaux

semblables à ceux qu'on figure d'ordinaire sur les monuments

funèbres des généraux? Ce sont les armes du

canton. L'Etat a voulu ainsi faire honneur au grand philosophe

et au roi de Bavière qui a élevé la tombe. Il y a

deux ans, le roi est venu à Ragaz', il est cathobque.

Dès son arrivée il est allé seul devant le tombeau de

son ancien maître, s'est agenouillé le chapeau sous le

bras, et a prié longtemps. Ensuite il est venu me visiter

et m'a demandé le nom de la personne qui avait si

bien pris soin d'orner de verdure et de fleurs la tombe

de son ancien maître. Je lui nommai ma sœur (c'est

elle que vous avez dû voir en entrant). Il me pria de la

faire venir et il la remercia bien poliment.

m Quelques mois après, il m'envoya.... mais permettez-moi

d'ouvrir cette armoire. »

Il tira d'une boîte un petit bénitier , haut d'environ

trente centimètres, orné d'une jolie peinture

en émail,

représentant Jésus et la Vierge. Derrière est une inscription

en allemand: «Présent du roi de Bavière,

« Maximilien, à Elisabeth Fédérer, pour les soins qu'elle

I donne au tombeau de Schelling. »

<t Ce n'est pas tout, ajouta le doyen. Le roi avait

remarqué un de mes défauts, ma mauvaise habitude de

priser. Il n'en avait rien dit, mais voyez. »

Et il me montra une belle tabatière d'or, portant eu

relief les initiales du nom royal couronnées.

« Vous ne paraissez pas vous en servir habituellement,

dis-je en souriant.

— De l'or! non, monsieur. Je suis fils de paysan, ma

sœur Elisabeth est une paysanne, et presque tous mes

paroissiens sont des paysans. j>

Il me donna quelques autres détails au sujet de

Schelling. Toutes ses paroles étaient pleines de tolérance

et de douceur.

Ce bon prêtre est h. Ragaz depuis longtemps.

a II y a vingt ans, me disait-il, toutes les maisons

ici étaient semblables à celle que vous voyez devant la

mienne. (Et il me désignait de la main une pauvre maisonnette

en bois dont l'on défendait assez mal la toiture

contre les violences du vent en l'écrasant sous le poids de

grosses pierres). Depuis, on a construit plus de soixante

belles maisons, sans compter les hôtels, et le nombre

s'en accroît chaque année. »

M. le doyen Fédérer m'a parlé avec satisfaction des

conditions morales de la commune. Jusqu'ici les étrangers

qui viennent prendre les bains sont d'honnêtes

Allemands qui n'apportent jias avec leur argent le luxe et

la corruption.

1. Joseph Maximilien II, roi de Bavii-re, mort il y a peu de

temps.

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