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LE TOUR DU MONDE.
attaquée par les infidèles, et serait tombée entre leurs
mains sans la miraculeuse apparition de saint Georges,
qui combattit en personne dans les rangs des chréliens.
La veille de la fête du saint, chaque village de la Comarca
ou district d'Alcoy, envoie une députation de
musiciens qui, après s'être réunis devant la maison de
Vayunlamieido, parcourent dès le malin les rues de la
ville pour annoncer la cérémonie du lendemain : cet
orchestre, d'un genre tout particulier, se compose principalement
de dulzaynas, petits hautbois d'un son
criard, assez semblables à l'instrument des pifjferari
romains ou napolitains ; on y voit aussi des tambours,
des trompettes, des bandurrias, des citaras, et l'inévitable
guitare. A la suite des musiciens, on voit défiler le
cortège des chrétiens et celui des Mores qui doivent
figurer dans la grande lutte du lendemain.
La fùte commence par le défilé du clergé, qui fait son
entrée dans la ville, et se rend processionnellement à la
Plaza maijor, sur laquelle on a élevé un château fort,
— castillo, — en planches recouvertes de toile peinte.
Le clergé pénètre dans le castillo, devant Itquel vient
défiler le cortège des chrétiens et des Mores, les uns
à pied , les autres à cheval , armés de pied en cap et
munis de tous les harnois de guerre et de campement.
Après avoir parcouru la ville, les deux troupes ennemies
se débandent et se divisent en différents groupes, qui
vont exécuter les danses nationales devant la demeure de
l'alcalde et chez d'autres personnages de distinction.
Le lendemain , les différentes députations parcourent
de nouveau les rues, musique en tête, et se rendent à
Jacques; on en retire l'image et les reliques du laint,
l'ayutilamienlo, où les attendent les autorités constituées;
celles-ci, fermant la marche, se joignent au cortège,
qui se rend en procession à l'oratoire de Saint-
et on les transporte en grande pompe à l'église paroissiale,
où se célèbre une grand'messe en musique,
après quoi on les ramène h l'oratoire avec le même cérémonial.
Arrive enfin le troisième jour, où a lieu le simulacre
de combats entre les chrétiens et les infidèles, et qu'on
appelle cl alardc, mot qui vient sans doute de l'arabe et
qui siguifie la revue ou la parade. Dès le matin, les
troupes des deux cam|)s ennemis se réunissent sur la
Plaza mayor , les chrétiens d'un côté, les IMores de
l'autre ; ceux-ci se retirent bientôt en bon ordre et
se dirigent vers une des portes de la ville, dont ils se
proposent de faire le siège : ayant choisi en dehors des
murs l'emplacement de leur camp, ils envoient un parlementaire
au commandant des troupes chrétiennes; ce
parlementaire, monté sur un cheval magnifiquement
harnaché, se dirige vers le caslillo, et, après avoir salué
à la manière orientale le chef ennemi, lui remet le pli
dont il est chargé. Celui-ci en prend connaissance, mais
il le déchire en morceaux et déclare qu'il ne consentira
jamais à capituler avec les ennemis du nom chrétien.
L'envoyé se retire et va rendre compte aux siens de ce
refus, qui sert de prétexte à une grande ambassade officielle,
à laquelle prenuent pari ceux des figurants qui
portent les plus riches costumes. Le chef de l'ambassade
est introduit, les yeux bandés, auprès du général chrétien,
et lui adresse un discours assez long, pour l'engager
à se rendre ; mais celui-ci refuse avec indignation
et l'ambassadeur se relire, suivi de tous les siens, menaçant
de mettre bientôt la ville à feu et à sang.
Chacun se prépare donc au combat , et les Mores ne
tardent pas à entrer dans la ville : ils sont reçus par
de nombreuses décharges de mousqueterie, moyen de
défense qui nous parut un peu risqué, car il ne faut
pas oublier que l'action se passe en f257. Cependant
cet anachroni.sme ne semble pas trop effrayer les Mores,
qui continuent à s'avancer en bataillons serrés et
obtiennent, pour commencer, quelques avantages. Le
général chrétien encourage ses troupes de la voix et du
geste, et elles recommencent l'attaque en poussant le
vieux cri de guerre contre les Mores : Santiago, y a
ellos! le Montjoie Saint-Denis des Espagnols du moyen
âge. Néanmoins les infidèles tiennent bon ;
pour les entamer,
il faudra le secours de la cavalerie : le chef espagnol
fait donc appel à ses preux et à ses paladins, qu
viennent se ranger autour de lui en faisant caracoler
leurs fougueux palefrois. Ici se place une véritable scène
de carnaval : les paladins sont habillés à la antigua cspafiola,
c'est-à-dire en costume du moyen âge ; ces
costumes, qui laissaient beaucoup à désirer sous le rapport
de l'exactitude archéologique, étaient en revanche
des plus divertissants, car ils nous rappelaient assez les
troubadours de pendules à la mode sous la Restauration :
tunique abricot serrée sous les bras par une large ceinture
à nœud bouffant, toque à crevés et bottes à relroussis,
rien n'y manquait. Quant aux fougueux palefrois,
ils
étaient tout simplement en carton, comme ces chevaux
qu'on voit chez les marchands de joujoux, et une housse
tombant jusqu'à terre dissimulait à peu près les pieds
des paladins.
Le costume des Mores n'était pas moins réussi : on
eût cru voir des mamelouks du mardi gras, ou de ces
Turcs de fantaisie au turban démesuré , à la veste courte,
échancrée , ornée d'un grand soleil dans le dos, au large
pantalon flottant, serré à la cheville, comme les Mores
que Goya a si naïvement tracés dans sa suite des combats
de taureaux.
La formidable cavalerie s'ébranla donc, et fit sur-lechamp
de profondes trouées dans les rangs des infidèles;
alors la mêlée devint générale, l'infanterie appuya la
cavalerie, et les malheureux mamelouks furent aussi
maltraités que les Autrichiens dans les batailles du
Cirque-Olympique. La victoire appartenait décidément
aux Espagnols : les chants de triomphe commencèrent,
les prisonniers furent promenés par les rues de la ville,
guitares et dulzaynas en tête, et les danses conlinuèrent
pendant toute la soirée.
Les fêtes n'étaient pas encore terminées, car en Espagne
on ne se met pas en liesse pour si peu ; le lendemain,
chaque corps reconduisit les chefs jusque chez eux,
et vers le milieu de la journée eut lieu une grande
procession dans laquelle figuraient les mourants et les