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LE TOUR DU MONDE 1864 viaje a españa

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LK TOUR IJU MONDE 95

est la fille de, l'empereur détrôné vient exposer ses chagrins

;

elle sacglotte à fendre le cœur, elle s'arrache les

cheveux, et ne veut pas être consolée. Les actrices paraissent

fort jolies et cependant ce sont des jeunes gens,

car l'empereur Hien-long a défendu aux femmes de paraître

sur la scène, la profession de comédien étant regardée

comme déshonorante. Ils sont si Lien frisés, si

bien habillés, ils trébuchent si naturellement sur leurs

pieds chaussés du brodequin de théâtre qu'il est impossible

de ne pas se faire illusion. Voici le prince chinois

(l'inévitable amoureux) qui s'est introduit furtivement

dans le palais pour enlever sa fiancée ! Surprise, duo d'amour

moitié chanté, moitié parlé; la princesse, s'approchant

de la rampe et mettant la main sur son cœur,

exprime sa joie par une psalmodie monotone, qui se termine

en une noteaigué qu'elle conserve sur le même ton

et sans respirer pendant quelques minutes. Ce tour de

force musical hautement apprécié par les connaisseurs

excite un enthousiasme indescriptible ;

les spectateurs se

lèvent; on entend sortir de toutes les bouches l'exclamation

/iao (bon), et en même temps on frappe de grands

coups sur les tables avec les tuyaux des pipes; c'est la

manière d'applaudir. Mais, ô trahison ! le conquérant

tartare se précipite dans la salle suivi de ses gardes! il

voit tout, il sait tout! il roule des yeux furieux, brandit

un sabre d'une main, une hache de l'autre, et marche à

grandes enjambées alternatives comme les traîtres de nos

mélodrames. La princesse sejette à ses genoux; il la repousse

brutalement et fait charger de chaînes le prince

amoureux, son rival. Le conquérant tartare s'est fait une

figure efl'royable; il a des sourcils hérissés comme des

poils de sanglier, et une barbe noire en soie tressée qui

tombe en anneaux sur sa vaste poitrine. Les costumes

sont magnifiques, éclatants d'or, d'argent et de broderies,

et imitent avec une exactitude rigoureuse ceux de

l'époque où s'est passé le drame qu'on représente. Mais

je ne continuerai pas cette énumération des scènes,

d'autant plus que, ne sachant pas le chinois, et l'intrigue

allant toujours en se compliquant, je finis par en

perdre le fil : il me parait seulement que, méprisant la

règle des trois unités, l'auteur fait entre deux scènes

franchir à ses personnages plusieurs années de leur

existence. Enfin au dénoûment l'usurpateur étianger

vainqueur de tous ses ennemis vient mettre sa gloire et

sa couronne aux pieds de la fille de l'empereur chinois

qu'il avait détrôné, et celte dernière, oublieuse de son

amour et du sang de son père qui crie vengeance, accepte

la main et la moitié du trône ofl'ertes par le galant

vainqueur, consacrant ainsi le pouvoir impérial dans une

nouvelle dynastie.

K La pièce s'était jouée sans interruption ni entr'actes :

dès qu'elle fut finie,

le directeur de la troupe nous récita

une moralité historique, dans laquelle il annonça au

milieu de l'approbation générale qu'il avait voulu démontrer

dans ce drame la légèreté et l'inconstance des

femmes dont tout citoyen sensé doit se défier.

<i Dans la seconde pièce , allégorie du mariage de

l'Océan et do la Terre, les acteurs ont tous des masques

plus ou moins singuliers. Il y a des diables, des génies,

des licornes, deshi|)pogriffes,des poissons; les figurants

changés en plantes marines ont caché leurs têtes sous

des enveloppes de carton peint représentant des fleurs

de licn-iva et de nénuphar avec les corolles ouvertes

; d'autres, portant les flots de la mer en guise de

tête, exécutent à un moment donné une danse de caractère

en s' agitant en mesure scus leurs surtouts de

carton, tandis que l'orchestre gronde; c'est l'Océan en

courroux.

« Mais la journée s'avançait; la foule se retira avec

un ordre et une décence admirables, sans bruit, sans

disputes. La nuit est faite pour dormir, a dit le législateur

chinois, et aucun théâtre ne doit rester publiquement

ouvert après le coucher du soleil.

y> Cette représentation chez Tchoung-louen est analogue

à celles que j'ai dt-jà vues dans les maisons de

thé à Tien-tsin : là, on paye cent sapèques d'enti'ée

(environ un franc), mais on a le droit de consommer un

certain nombre de tasses de thé, de petits gâteaux et de

fruits secs. Le théâtre est moins luxueux, mais la salle

est entourée de vastes galeries où vont se placer en

dehors de la foule les lettrés et les riches négociants. »

Outre les théâtres véritables, il y a à Pékin quantité

de bateleurs , de saltimbanques , d'escamoteurs , des

troupes d'acrobates, des danseurs et danseuses de corde,

et enfin des hippodromes ambulants.

Certains industriels montrent les marionnettes qui sont

absolument semblables à celles d'Europe, l^cquel des

deux peuples a enseigné à l'autre cette invention singulière?

Le mot d'ombres chinoises dont nous nous servons

semblerait prouver que les Chinois ont eu la priorité.

Le bateleur qui met les poupées en mouvement, monté

sur un tabouret, est enveloppé jusqu'à la cheville du

pied dans de larges draperies de cotonnade bleue. Une

boite représentant un petit théâtre est appuyée sur ses

épaules et s'élève au-dessus de sa tête; ses mains agissent

sans qu'on devine le moyen mécanique qu'il emploie,

pour imprimer des allures de comédie à de trèspetits

automates.

Les marchés de Pékin ne présentent rien d'extraordinaire

aux recherches d'un amateur européen. Dans les

derniers temps du séjour de M. et de Mme de Bourboulon,

l'immense curiosité c{ui les avait accueillis à

leur arrivée s'étant émoussée peu à peu, il leur devint

facile de parcourir toute la ville en voiture et à cheval,

et de pénétrer plus en détail les mœurs intimes des

habitants. Une vieille Galloise, femme de charge du

ministre d'Angleterre, allait chaque jour en charrette

faire ses emplettes au marché, disputant et criant après

les marchands, au milieu d'une population paisible et

courtoise. Elle y fut plus d'une fois ^-ictime de l'astuce

des vendeurs qui dépasse tout ce qu'on voit en ce genre

dans les marchés européens : un jambon de magnifique

apparence n'était souvent qu'un morceau de bois enveloppé

d'une terre grasse et rouge artistement recouverte

d'une peau de cochon, des volailles empaillées avec soin

avaient en ])la<'i' de chair de l'étoupe et des lailloux.

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