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CRITIQUES

Le calme au cœur des tempêtes

ne perle d’humanité.

U Les mots manquent pour traduire la profondeur

de ce roman. À première vue relativement

banal, le récit habituel d’une enfant qui grandit et

voit apparaître des fissures dans la façade de sa vie

de famille, le roman se révèle d’une justesse et d’une

douceur pénétrantes. Vu au travers des yeux d’une

enfant qui grandit, tout change de perspective. À

l’image de son regard sur ce petit frère un peu gênant,

avec ses bégaiements et ses maladies imaginaires,

qu’elle commence peu à peu à comprendre

et qui lui devient un ancrage essentiel. Ou de son

jugement sur sa voisine, d’abord compagne de jeu

puis tortionnaire cruelle sur les bancs d’école. Ou

même de sa vision de la Vieille, figure historique de

la ville dont plus personne ne se soucie vraiment et

qu’elle aide le temps d’un été.

Une certitude : l’existence de Betty n’a rien d’un long

fleuve tranquille, et ce, avant même qu’elle ne commence.

Sixième enfant de parents qui en ont perdu

deux, elle vit bercée des récits de son père, n’aimant

rien tant que de rester à ses côtés. Ce n’est qu’à ses

sept ans que sa famille, élargie par la naissance de

deux benjamins, décide de mettre un terme à sa vie

nomade et de se fixer une fois pour toutes. Mais pas

avant que Betty n’ait pu être témoin des violences

faites à son père, un Indien.

Cet héritage, elle le porte aussi et devra lutter, non

seulement pour le faire accepter, mais aussi, et surtout,

pour l’assumer pleinement elle-même. Ce roman

est le récit de ce processus, alimenté par les

drames individuels de son entourage, mais aussi

par sa propre force, son propre talent. Inspirée par

son père, elle rédige ses propres histoires, se déchargeant

ainsi de son vécu, libérant son âme par

ce biais, afin de pouvoir continuer son bonhomme

de chemin, malgré les épreuves qui la frappent, sans

rien oublier pour autant.

Mais son histoire n’est pas que la sienne. C’est l’histoire

de toute une famille, une histoire de douleur et

de résilience, de deuils et de joies partagés.

Michèle Dussex

Betty

Tiffany McDaniel

Gallmeister

2020

716 pages

Le Nouvel Évangile : celui de la

révolte

l’occasion de l’édition virtuelle du Festival du

À Film et Forum International sur les Droits

Humains, le metteur en scène et cinéaste helvétique

Milo Rau présente son dernier long-métrage

en compétition, Le Nouvel Évangile. Comme à son

habitude, le réalisateur brouille les frontières entre

le genre documentaire et le récit fictionnel en nous

emmenant dans une ville italienne où s’écrit un cinquième

évangile, sur fond de critique sociale.

Si Pasolini faisait déjà de Jésus une figure politique

dans son film Il vangelo secondo Matteo (1964), Milo

Rau va plus loin en présentant un casting diversifié

qui regroupe cette fois-ci de vraies personnes impliquées,

autour du Jésus incarné par Yvan Sagnet – le

premier Jésus noir dans l’histoire du cinéma européen.

On compte en effet quelques femmes parmi

les apôtres, pour le plus grand nombre de confession

musulmane. Ainsi que des acteur·ice·s confirmé·e·s,

qui ne sont autres que Maia Morgenstern – Marie

dans la Passion of the Christ de Mel Gibson – et le regretté

Enrique Irazoqui qui incarnait le Christ dans

le film de Pasolini. Le long-métrage repose sur une

série de mises en abyme qui dressent des parallèles

et des correspondances entre plusieurs scènes bibliques,

ou plusieurs séquences de films adaptés de

la vie de Jésus. Ainsi, lors d’une scène de répétition,

Enrique Irazoqui donne des conseils à Yvan Sagnet

sur sa manière d’interpréter le Christ.

Avec son Nouvel Évangile, le cinéaste bernois fait à

nouveau résonner un texte ancien avec des problématiques

contemporaines. Partant du problème des

sans-papiers travaillant dans l’agriculture italienne, il

réinvestit la figure du Christ, grâce à l’activiste Yvan

Sagnet, pour en faire une figure révolutionnaire appelant

à la révolte au nom de la dignité humaine et

de l’amour de son prochain. Par sa contestation de

l’ordre social et religieux, notamment en insistant

sur l’égalité entre tous les hommes, Jésus de Nazareth

s’est attiré les foudres des pharisien·ne·s. Par sa

contestation de l’ordre social et politique, le Jésus

de Milo Rau suscite la même animosité chez des

exploiteurs qui s’enrichissent sur le dos de travailleur·euse·s

agricoles sans-papiers. De la tomate à la

révolution, il n'y a qu'une impasse : la Bible.

Indra Crittin

Le Nouvel Évangile

Milo Rau

Allemagne/Suisse/Italie

2020

107’

Trailer:

28 spectrum 05.21

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